« Touche pas à mon steak ! » - La désanimalisation des régimes

Le 30/09/2021

Si elles ont l’avantage de mettre en lumière une question d’une grande importance, les actions de l’activisme animaliste (reportages dans les coulisses des abattoirs, vandalisme visant des boucheries, campagnes de stigmatisation sur les réseaux sociaux…) risquent de faire oublier qu’il existe de très bonnes raisons de promouvoir une baisse de la consommation des aliments d’origine animale et une augmentation de la part des végétaux dans nos assiettes. La restauration des plus petites comme des plus grandes collectivités a ici un rôle central à jouer.

 

Une désanimalisation croissante des régimes alimentaires

On observe en France, depuis plus de deux décennies, une désanimalisation des régimes alimentaires. Les aliments d’origine animale, comme la viande et les produits laitiers, perdent du terrain. Va-t-on vers un végétarisme généralisé ? Certes non. Mais nul besoin d’en arriver là pour que les conséquences à en tirer soient d’actualité.

La désanimalisation est un processus social observable sur le plan des pratiques. La consommation globale de viande par habitant décroît lentement mais progressivement depuis la fin des années 1990. Les hausses de consommation (volailles, produits élaborés, plats cuisinés contenant de la viande…) ne compensent pas les baisses (boeuf, viande ovine, porc, abats…). La désanimalisation correspond également à une dévalorisation des aliments marqués par une forte animalité (viandes rouges, sang, parties rappelant l’animal vivant).

Comment expliquer ce processus de désanimalisation ?

Les crises dites de la vache folle, en 1996-1997 et 2000-2001 marquent un tournant. Ces crises ont mis en lumière l’industrialisation à outrance des filières alimentaires et la réduction des animaux à des objets sécrétant du lait ou produisant de la viande. La viande est devenue l’emblème de cette logique industrielle devenue hégémonique, non sans raisons.

À partir des années 2000, la forte empreinte environnementale de la consommation des aliments d’origine animale a été mise en lumière scientifiquement, avant que les conséquences de sa consommation pour la santé ne soient progressivement documentées par la recherche, soulignant les risques associés à une forte consommation. Plus récemment, la question de la dignité des animaux, de leur bien-être et de la légitimité de leur mise à mort pour se nourrir est entrée dans le débat public.

Une consommation d'aliments d'originale animale très élevée en France

L’apport en protéines, auquel est souvent réduit la viande, n’est pas un enjeu pour la population française : en dehors de situations d’extrême précarité alimentaire, il est assuré. D’ailleurs, les connaissances en nutrition permettent d’affirmer qu’en dehors de cas pathologiques individuels, il n’existe pas de régime alimentaire, y compris végétarien, qui couvrirait les besoins énergétiques minimaux sans réussir à couvrir les besoins minimaux en protéines. Rappelons que la consommation de viande et plus largement d’aliments d’origine animale reste, en France, l’une des plus élevées au monde.

Par ailleurs, nous savons aujourd’hui que la réduction de la consommation des aliments d’origine animale est, avec la réduction de la ration calorique, le principal levier de réduction de l’empreinte environnementale de notre alimentation, que l’on parle des émissions de gaz à effets de serre ou des ressources nécessaires (surface, eau…).

Rappelons enfin que l’obésité, facteur de risques sanitaires majeurs, a atteint des niveaux préoccupants et continue de progresser (17 % des adultes aujourd’hui, bien plus pour le surpoids). Il n’est donc pas invraisemblable de réfléchir aux consommations sur lesquelles jouer pour améliorer cette situation sanitaire.

Retour vers le passé

Dans le passé, les cuisines de peu n’accordaient pas à la viande la place centrale qu’elle occupe aujourd’hui dans nos habitudes alimentaires. Le plus souvent, elle n’était pas accompagnée : au contraire, c’est elle qui accompagnait, ingrédient parmi d’autres d’un plat de haricots, de pommes de terre, de feuilles de blettes ou d’une soupe. Elle ne se retrouvait au centre de l’assiette que dans les moments extra-ordinaires, comme lors de l’abattage saisonnier des animaux, les ruptures de jeûnes religieux (carême…), les fêtes locales, le dimanche, etc.

Il n’est pas illégitime de s’interroger sur la centralité qu’a pris la viande dans les habitudes communes. Est-elle si nécessaire, si elle n’est pas de qualité ? Ne faut-il pas encourager ce mouvement pour le “moins mais mieux” qui s’observe dans les consommations et favorise un élevage mieuxdisant sur le plan éthique ? 

Réduire sa consommation de viande : un phénomène qui touche tous les milieux

Si seuls 5,2 % des Français s’identifient végétariens, végétaliens ou végans, et s’ils ne sont sans doute pas beaucoup plus de 2 % à ne réellement jamais manger de viande, ils sont 20 % à déclarer limiter volontairement leur consommation de viande pour des raisons autres qu’économiques (étude France Agrimer et OCHA 2018).

Contrairement aux idées reçues, ce phénomène n’est pas cantonné aux catégories urbaines à haut niveau d’instruction. Il touche tous les milieux sociaux. Chez les plus âgés, il est sans doute plus motivé par des préoccupations sanitaires, tandis que chez les plus jeunes, les préoccupations éthiques et environnementales priment.

La revalorisation des aliments végétaux, conséquence de cette désanimalisation

Les personnes qui tâchent de limiter leur consommation de viande se tournent plus volontiers vers la richesse des aliments végétaux, à commencer par ceux qui prennent naturellement leur place dans l’assiette à côté des céréales ou féculents : les légumes secs, qui peuvent être déclinés de mille façons.

Cette revalorisation des aliments végétaux, autre face de la désanimalisation, résonne avec les recommandations environnementales de l’ADEME, les enjeux agricoles et même géopolitiques du “Plan protéines” du ministère de l’Agriculture, et les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS).

Réussir à offrir plus d’aliments d’origine végétale et moins de viandes, mais de meilleure qualité et sourcée localement pour faire vivre les acteurs du territoire, tout en respectant les recommandations nutritionnelles : voilà le défi excitant de la restauration collective d’aujourd’hui. Un défi qui remet assurément le métier de cuisinier au centre du jeu.

Olivier Lepiller

Sociologue, spécialiste de l’alimentation, il étudie sous l’angle du changement social, les critiques de l’alimentation industrialisée, les mouvements autour des alimentations alternatives ainsi que les formes de valorisation du naturel et la politisation des produits et marchés de masse, la consommation des aliments d’origine animale ou encore les innovations pour les systèmes alimentaires urbains durables. Il est membre du conseil scientifique de la Chaire Unesco Alimentations du Monde et du comité éditorial des Cahiers de nutrition et de diététique.

Il a été expert pour l’INRAE et l’ANSES, et enseigne à Toulouse et à Montpellier.

Olivier Lepiller