Quand l’inflation redonne espoir aux éleveurs… et fragilise les cantines

Le 09/10/2025

Pour la première fois depuis près de 40 ans, les éleveurs couvrent enfin leurs frais de production grâce à l’inflation. Une avancée historique, synonyme de juste rémunération et de survie pour de nombreuses exploitations. Mais ce rééquilibrage, vital pour le monde agricole, révèle un paradoxe inquiétant : la restauration collective, pourtant levier important pour structurer les filières locales, se retrouve aujourd’hui en grande difficulté pour suivre les prix et sécuriser ses approvisionnements.

Une victoire historique pour les éleveurs

Depuis quatre décennies, les éleveurs attendaient ce moment : voir leur travail rémunéré à sa juste valeur. Sébastien Valteau, président d’Interbev Pays de la Loire, l’a rappelé lors de la table ronde : « Pour la première fois, nous couvrons nos frais de production. »
Ce basculement n’est pas anodin : pendant des années, la filière bovine a survécu tant bien que mal, souvent en vendant à perte, au prix de découragements et d’abandons. L’inflation, douloureuse pour les consommateurs et les collectivités, agit comme un rattrapage vital pour les exploitations.

Le revers de la médaille : des acheteurs mieux armés

Si les éleveurs respirent enfin, le marché s’est durci. Face à la flambée des prix, la logique est simple : ils choisissent les acheteurs les plus offrant : Grandes enseignes, exportations ou acteurs privés mieux dotés passent en priorité. Dans ce contexte, la restauration collective – cantines scolaires, hôpitaux, Ehpad – peine à suivre. Ses budgets, déjà contraints et la pression pour maintenir des repas accessibles au plus grand nombre, ne permettent pas d’aligner les offres.

Les cantines en première ligne de la fracture

Or, la restauration collective joue un rôle stratégique : elle représente un débouché certes limité en volume, mais symboliquement fort pour structurer des filières locales durables.
Le paradoxe est cruel : au moment où l’on demande aux cantines d’intégrer davantage de bio, de local et de qualité, la réalité économique les pousse à décrocher. Comment concilier objectifs politiques et contraintes financières dans ce nouveau contexte ?

Contractualiser pour sécuriser

Une piste revient avec insistance : la contractualisation pluriannuelle entre éleveurs, opérateurs et acheteurs publics. Elle pourrait garantir des volumes et stabiliser les relations, même en période de forte volatilité.
Mais encore faut-il que les collectivités disposent d’outils juridiques adaptés et d’un soutien budgétaire clair. Car sans un minimum de visibilité, difficile pour elles de rivaliser avec des marchés plus rémunérateurs pour les éleveurs.

Qui paiera le vrai prix de la viande durable ?

La question de fond est là : qui doit assumer le coût réel d’une viande locale, tracée et durable ? Les éleveurs ne peuvent et ne doivent pas travailler à perte. Les collectivités n’ont pas les moyens de supporter seules la hausse. Mais comment convaincre les familles de payer plus pour une cantine sociale de qualité, quand on leur a vendu le rêve des repas à 1 euro ? Le défi : faire comprendre que la bonne alimentation a un coût… et que ce coût en vaut la peine.

Sans nul doute, un partage de responsabilité s’impose, associant pouvoirs publics, filières et territoires. Faute de quoi, le risque est grand : voir s’éloigner des services de restauration collective les viandes françaises, parfois des territoires régionaux, surtout de qualités et durables, que tout le monde appelle pourtant de ses vœux.

Un moment charnière

Cette situation inédite met en lumière un choix de société. L’inflation a offert une victoire longtemps attendue aux éleveurs, mais menace de fragiliser un pilier de l’alimentation collective et sociale.
Soit la restauration collective reste sur le bord de la route, incapable de suivre. Soit elle devient un levier stratégique, à condition d’inventer de nouveaux modes de coopération et de financement.

Laurent Terrasson

L'autre cuisine