Table ronde : Les approvisionnements - Défis & Controverses de la restauration collective

Le 29/10/2019

Les approvisionnements alimentaires : comment les collectivités vont-elles faire pour atteindre les 50% de produits possédantun signe de qualité dont 20% de produits bios, en prenant en compte que les territoires ne sont pas égaux, et queles budgets alimentaires s'atrophient ?

Participants à cette table ronde :

 Bernardette Loisel, chargée de mission, Chambre d'agriculture de Bretagne

Florent Guhl, directeur de l’Agence bio

Etienne Gangneron, vice-président de la FNSEA, membre du CESE, président de la section de l’agriculture, de la pêche et de l’alimentation

Luc Mary, directeur de l’entreprise SICABA, représentant d'INTERBEV BIO

Laurent Grandin, président d'Interfel

Alain Perelstein, direction du management stratégique, Région Hauts-de-France

Jean-Marc David, directeur des achats, Centre national des oeuvres universitaires et scolaires, CROUS

 

Bernadette Loisel :

Les chambres d'agricultures sont des organisations consulaires, présentes sur tout le territoire, qui sont au service de l'agriculture mais aussi des territoires. Dans ce cadre là, j'ai été amené à travailler sur l'approvisionnement de la restauration collective, très en attente depuis de longues années de produits locaux. Nous avons démarré la structuration de l'offre en circuits courts en2009 en ayant pour objectif de bien comprendre le secteur de la restauration collective qui est un marché assez complexe. Tout d'abord, nous avons quantifié, qualifié l'offre locale, repéré les petits producteurs qui avaient des offres et aussi professionnalisé les vendeurs directs, puisque tous les producteurs en vente directe, en circuits courts, n'ont pas cette capacité à aller vendre en restauration collective qui est un marché de professionnels. On a une commande à prendre, une facture à faire, parfois une livraison à prévoir dans des délais précis, et on constate que seulement un producteur sur dix va vers ce débouché. Nous avons mis en relation les producteurs et le secteur de la restauration collective.

Nous avons aussi été amenés à travailler au niveau national financé par le CASDAR sur l'organisation d'une logique de proximité pour la restauration collective.

De ce travail préparatoire, nous avons ressenti le besoin de formation de la part des producteurs à la réponse aux marchés publics, avec une frilosité de certains producteurs qui ne veulent pas aller sur ce marché parce qu'il est vu comme un marché de prix. D'autres sont intéressés par ce marché pour ces volumes. Résultats, nous avons parfois des gammes très déséquilibrées, par exemple à Rennes, nous avions fait un recensement de l'offre, et nous n'avions pas de producteur pour vendre de la viande, essentiellement pour des raisons de prix. Nous nous sommes trouvés face à une pénurie d'offres.

Aujourd’hui, nous avons vraiment des commandes qui augmentent en collectivités. Nous avons aussi des start-up qui sont présentes pour apporter du service sur les questions de logistique locale et sur les plateformes de mise en relation informatique. Il y a de tout et nous devons faire très attention aux outils proposés. Beaucoup de producteurs fermiers s'installent en bio, et on peut imaginer que ces producteurs profiteront de la loi Egalim. Nous avons aussi des distributeurs qui sont à la recherche de produits fermiers, près à se plier en quatre pour trouver des partenariats avec des producteurs, et cela est aussi assez récent, et des SRC qui nouent de nombreux partenariats. Je souligne ces évolutions depuis 10 ans.

Toutefois, nous nous sommes dits que cela n'allait pas faire beaucoup de volumes, et nos agriculteurs en Bretagne, sont à 80, 85% sur des circuits longs. Nous avons donc commencé à travailler avec nos coopératives locales. Au démarrage, nous avions 5 Ille et Vilaine que avons fédéré car ne se connaissaient pas. Et nous avons regardé comment nous pouvions faire une offre commune. Il y avait une coopérative qui venait d'investir dans une plateforme de logistique. Comme c'est le nœud central du sujet, il était crucial de prendre appui sur cette coopérative. Nous avions une gamme très variée, très intéressante, des produits bio, labels, du HVE précurseur. Nous y avons mis beaucoup d'énergie et je cite notre partenaire, la société Ansamble qui nous a aidé au développement de cette structure.

Cette question logistique est centrale et complexe. Lorsque nous avons une logistique en froid, pour transporter du poulet, et que l'on y met des légumes, cela n'est pas très rentable, parce que l'on a un suréquipement par rapport au transport des produits.Ensuite, lorsque l'on commence à vendre de l'agneau en restauration collective, on nous répond que l'on souhaite de l'agneau découpé... et nous faisons quoi du reste ? Les industriels nous disent qu'il faut le vendre entier ou en demi-carcasse, mais nous n'allons pas pouvoir concurrencer l'agneau de Nouvelle-Zélande qui n'est pas à ce prix. Nous avons donc fait une croix sur l'agneau.

Concernant la viande et ce qu'avait fléché la coopérative, la viande prévue d'être commercialisée, était la même que pour les boucheries, sauf que pour les connaisseurs, la viande de grande qualité, pour les bouchers, c'est de la "R", et ce type de viande est trop cher pour la restauration collective. Finalement, nous n'avions que le poulet qui était adapté à ce marché. Il faut bien mesurer que le marché de la restauration collective a des exigences qui ne sont pas celles d'un autre marché.

Mais une fois que nous avons fait cela, nous avons continué, et en 2016, avec la région Bretagne, nous avons créé une démarche qui s'appelle Breizh Alim. L'idée était de se dire que nous avons des Industries agroalimentaires locales.Nous avons identifié celles qui avaient des gammes pour ce marché.Nous avons réalisé un guide, avec du bio, du label rouge, du Bleu Blanc Cœur…

Nous nous sommes dits ensuite que cette offre là devait être visible des acheteurs, et en particulier des grands acheteurs, car nous en avons beaucoup en Bretagne. Nous avons de nombreux groupements d'achat, des gros marchés, et en face il faut une organisation bien adaptée. Nous avons fait se rencontrer des acheteurs et des fournisseurs, sans les distributeurs. Nous avons donc réunis les grandes entreprises avec pour chacun un producteur. L'acheteur se rend compte de la façon dont s’organise la production et ses évolutions. Même les standards de base ont évolué, sur les produits phytosanitaires, les antibiotiques, par exemple.  Nous avons promu cette démarche au salon international du SPACE à Rennes... Nous sommes persuadés que cette rencontre de l'offre et de la demande ne se fait que par la relation humaine. Comment savoir comment évolue le marché, mieux comprendre les nouvelles attentes, si on ne rencontre pas les personnes ?Nous avons fait cela pendant deux ans. Cela implique d’aller sur le terrain, dans les élevages, dans les exploitations.

Nous avons fait un travail très concret de guide pour des filières viande à destination de la restauration collective. Par exemple  nous avons valorisé des éleveurs de vache normande, car cette de race disparaissait au profit des vaches laitières de la race Holstein. Or, la qualité de la viande n'est pas du tout la même. Une vache de pâturage est aussi très intéressante pour le stockage carbone, une externalité positive qu'il faudra valoriser d'ailleurs.

Aujourd’hui, nous avons des collectivités territoriales très engagées. Mais Il faut du temps et des moyens, et nous avons mis notre expertise en montage de filières dans ce travail. Nous sommes à l'origine du projet mais il faut que cela continue sans nous, comme une démarche économique. Il faut aussi avoir prévu un budget pour qu'un organisme puisse continuer à accompagner les agriculteurs. Aujourd'hui, ils sont autonomes sur cette gestion. Il y a 8 bêtes par semaine, et la démarche vient de démarrer il y a 6 mois, et nous avons un potentiel de développement important.

La question que l'on se pose : comment l'acheteur public peut-il s'assurer que cette rémunération pour le producteur est équitable, et garantit ? Le gros risque, c'est cette pression à l'achat, en particulier ces 50% qui ne seront pas dans la loi Egalim, et qui pourront être acheté à l'import.

De quel outil dispose-t-on pour cela ? Il existe un moyen complètement sous-utilisé, c'est le critère de garantie de rémunération équitable des producteurs comme critère de choix des offres. C'est rentré dans le cadre de la commande publique qu'en 2016 et aujourd'hui, il n'y a pas de jurisprudence pour l'utiliser. Pourtant, on sait que c'est possible de l’utiliser, et nous sommes en train de commencer avec la région Bretagne. Notre idée, c'est que la construction inversée des prix de la loi Egalim, partie 1 de la loi, ne soit pas uniquement réservée à la grande distribution comme c'est le cas aujourd'hui, mais qu'elle soit aussi s’étendre aux produits de RHF, ce qui nous permettrait d'avoir ce lien qui n'existe pas entre la partie 1 et la partie 2, sécurité, qualité, etc., de la loi Egalim.

Débats

Florent Guhl :

A l'agence Bio, nous avons une étude que l'on a publiée en novembre dernier, durant le débat sur la loi Egalim, comportant deux volets. Le premier est une sorte de point à date sur l'introduction des produits bio en restauration collective. Nous sommes arrivés à 3% en valeurs des achats aujourd'hui de l'ensemble de la restauration collective, visée par la loi qui est en produit bio. Nous avons au-moins le point de départ de l'exercice, si nous partons de 3% et que nous souhaitons atteindre les 20% en 2022. Mais je voudrai insister sur cette deuxième partie de l'étude qui consistait à interroger par voix de sondage une population représentative, d'élus locaux. Cette étude consistait malgré les étonnements de cette démarche, en plein débat d'une loi, à demander aux élus ce qu'ils pensent d'une loi.Nous leur avons demandé s'ils étaient au courant qu'il y avait un volet de la loi Egalim qui portait sur cette question des 20%. La première bonne nouvelle, est qu'ils étaient majoritairement au courant, et ils avaient un regard attentif et plutôt positif sur les questions de restauration collective et de l'alimentation dans ces restaurants. Nous les avons ensuite interrogé sur les freins et les leviers à ce développement, à leurs intentions et ce qui allaient favoriser ou pas l'atteinte de ces objectifs de la loi. Ils ont commencé par nous dire que finalement au-delà de la loi, ils avaient une demande assez forte de la part de leurs concitoyens. 42% des élus, nous ont dit que l'introduction de produits bio en restauration collective constituait une attente très forte.

Sur les freins, l'exemple de la Bretagne était très éclairant. Il y a trois points de blocage, le prix pour 82% des élus, ensuite 70% des élus privilégient plutôt des produits locaux que des produits bio. Troisième frein :nous avons des problèmes pour trouver des produits et des fournisseurs. 63% des élus n’identifient pas bien les méthodes. Dans le groupe de travail que j'anime avec Isabelle Maincion au CNRC, nous essayons de résoudre cette question.

Concernant les leviers, je retiens comme réponse à la question, Pourquoi en tant qu'élu, vous souhaitez introduire du bio en restauration collective ? Pour 90%, parce que cela va permettre de valoriser les produits locaux. Cela nous permet de faire le lien avec les freins. On commence avec le local, mais on voit bien que la question si on introduit des produits bio, c'est parce que l'on veut valoriser l'agriculture de nos territoires.A 87%, les élus nous ont dit que cela permettait de lutter contre le gaspillage alimentaire. Il y a un lien fort entre une alimentation de meilleure qualité et davantage de produits consommés par le convive. Et c'est une façon de résoudre la question économique posée au départ.

Enfin pour 79 % des élus, c'est une façon d'articuler d'autres politiques que nous avons sur le territoire, en particulier des politiques de santé publique et d'éducation. Finalement, la restauration collective est un espace de convergence de ces problématiques sur le terrain.

Etienne Gangneron :

Agriculteur en bio depuis 22 ans, avec des vaches allaitantes et des poules pondeuses, la majorité de mes produits est vendu dans un magasin de producteurs qui a aussi la caractéristique d'être une plateforme de distribution. Nous travaillons avec la RHF, et nous répondons à un certain nombre d'appels d'offres dans le cadre d'AgriLocal. En écoutant ce que dit Florent, je trouve ce sondage très intéressant. Les élus caractérisent bien ce que nous mettons en avant, car l'essentiel est de trouver des projets alimentaires de territoire. C'est notre objectif, et cela nous permet de refaire de la valeur, de raccourcir les circuits, de lutter contre le gaspillage alimentaire, d’essayer de lutter contre le dérèglement climatique à notre niveau, et ce n'est pas simple car nous avons une véritable difficulté en matière de logistique car on se retrouve plus sur des démarches très artisanales.

Naturellement, la logistique pèse énormément sur la distribution des produits alimentaires. Lorsque les élus parlent de local, cela me parle, parce que lorsque l'on parle local, le bio arrive tout de suite après. C’est important en terme d'accompagnement et de développement. L'exemple de la Bretagne le montre bien. Lorsque l'on retravaille sur les circuits courts, il y a des interactions entre les consommateurs et les producteurs, avec une sensibilisation des producteurs sur les signes de qualité, notamment la bio.

Autre réaction, dans la profession agricole, nous avons mis énormément d'espoir dans la loi Egalim et dans les EGA. Nous avons investis pendant 6 mois à travers des tables rondes et des ateliers passionnants, mais au final, cela accouche d’un décret qui ne parle pas de local. On nous explique que la réglementation ne nous le permet pas, mais pour nous c'est une véritable catastrophe !

Des EGA qui prônent la montée en gamme, l'aspect environnemental, mais en terme d'application directe, ne prend pas en compte la rémunération des producteurs. C'est exactement le contraire de ce que nous voulions ressortir de ces EGA. C'est la construction du prix d'une manière différente, ce n'est pas prendre le producteur comme le dernier maillon d'une chaine de construction de prix. On se donne encore du temps, on ne dit pas les EGA n'amènent rien, mais il y a énormément de travail qui doit se faire à travers la construction de filière plus équitable.

Nous avons réussi aux EGA à parler enfin plus équitable nord-nord, et pas que nord-sud. Nous avons une partie des producteurs français qui ne gagnent pas leur vie. Et cela n'est pas acceptable en tant que représentant des producteurs. Nous gardons espoir car le sujet essentiel, c'est celui du territoire. Il y a à la fois une évolution globale de la restauration qui ne nous satisfait pas, mais il y a beaucoup d'initiatives locales qui sont très intéressantes.

Luc Mary :

Je suis directeur d'une Sicaba, depuis 20 ans, une coopérative, les viandes du Bourbonnais qui appartient à 300 éleveurs, au nord de l'Allier, en pleine zone herbagère et s'il ne se fait pas d'élevage, il ne se fait plus rien dans notre département. Il y a plus d'animaux que d'habitants. Produire bio est essentiel pour l'économie de notre territoire, et ces éleveurs ont décidé d'avoir leur outil de transformation, ce qui n'est pas aussi fréquent, d'abattage et de commercialisation. Ils ont été les pionniers en label rouge, le 1er label rouge en France, et nous faisons du bio depuis 1992. Nous cohabitons avec les deux signes de qualité.

Très naturellement, la restauration collective est arrivée dans l'activité de notre structure.J'interviens pour le collectif des éleveurs bio d'Interbev et nous avons la volonté de dire que s'il y a du dialogue, du partenariat, il y a de nombreuses possibilités de fournir en viande bio une grande partie de la restauration collective, mais cela réclame des efforts.

La particularité de la filière viande est que nous faisons un métier de démontage. Je réceptionne un animal vivant et nous en ressortons pleins de morceaux, des petits morceaux, cela s'appelle l'équilibre matière. Nous devons permettre de ramener de la valeur à l'éleveur en fonction de tous les petits morceaux que l'on aura su vendre. Cela fait partie de nos difficultés comme les méthodes de production, l'augmentation des coûts de l'abattage, le retour des 5e quartiers (abats, os, graisse...), qui n'est plus un retour et la baisse du marché des cuirs. Les cuirs sont déconsommées comme la viande et nous subissons de plein fouet 30 centimes d'augmentation à répercuter aux clients sans en donner 1 centime à l'éleveur, parce que les cuirs ne valent plus rien. Les déchets nous coûtent encore plus chers. Des éléments que nous devons savoir expliquer dans les mécaniques tarifaires.

Evidemment, la RHF nous permet ce point d'équilibre parce que les restaurations sont amateurs de viande à cuisson lente, moins prisée par le consommateur. La viande à griller représente 52% de la consommation française, et surtout, du steak haché. Nous atteignons 57% en produits élaborés en bœuf, ce qui est énorme, et nous devons nous adapter à cela. La RHF est un point majeur d'équilibre pour nos animaux.

A la coopérative, nous avons des logiques différentes selon les espèces, car nous faisons les 4 viandes : boeuf, agneau, veau et porc. Depuis 2002, avec Auvergne Bio, nous avons décidé d'investir en restauration collective, tous les secteurs scolaires où nous avons développés des repas bio. Cela a eu beaucoup de succès et nous avons décidé de créer une plateforme Auvergne Bio distribution, dont nous sommes actionnaires. C'est une SCIC. Cette plateforme a l'avantage de collecter les produits bio régionaux et de les redistribuer dans les établissements scolaires auvergnats. Un seul véhicule, un seul fournisseur, une seule facture et les établissements peuvent ainsi avoir tous les produits régionaux. Chaque année, depuis 10 ans, nous connaissons une croissance à 10%. Nous croyons beaucoup à cette solution qui répond à une attente régionale. Depuis la création de la grande région, nous avons un partenariat avec les plateformes en Isère, en Savoie, dans la Drôme et l'Ardèche. Nous arrivons souvent en soutient pour le marché de la viande.

Pour arriver à obtenir des produits bio, en évitant les ruptures, il faut faire des partenariats. Par exemple, nous n'avons pas d'agneau à Pâques, c'est une race herbagère. Si vous en voulez cela ne passera que par le surgelé. Cela veut dire que dans les appels d'offre, il faut prévoir le surgelé. Il faut anticiper ses besoins, 6, 8, 10 mois à l'avance et cela ne posera pas de soucis. A un prix qui est plus accessible car on n'a respecté le travail de l'éleveur.

Pour améliorer l'équilibre matière, nous réalisons des produits élaborés comme des saucisses, toute où partie de l'animal. Et cela passe par un dialogue. C'est un élément fondamental. Chaque partie doit comprendre la réalité de l'autre, et nous trouverons les solutions. Nous devons nous adapter et trouver des solutions ensemble.  Par exemple je refuse de faire du sauté de boeuf en paleron. Il y a 6 kilos de paleron dans un bovin. Si la centrale d'achat souhaite 2 tonnes de paleron, elle aura 2 tonnes de paleron à Rungis et de toute l'Europe... C'est un échange, un apprentissage !

De plus dans une viande bio, nous avons moins de rebus. Très clairement, produire bio, c'est plus coûteux pour un producteur, un prix que nous devons répercuter à la vente. Pour les grosses structures d'achat, nous faisons aussi des plannings de production, et les chefs font la planification des menus en fonction de cela. La production bio augmente régulièrement, de façon importante, puisque c'est plus de 20% en terme de production. Par rapport à la loi Egalim et aux achats, il me semble primordial que l'on travaille dés le départ sur l'équilibre matière, et nous tarifons sur l'ensemble de la bête et non plus sur un type de morceau.

Laurent Grandin :

La restauration collective est au centre du déclenchement dans le cadre de la loi Egalim. Interfel regroupe 14 familles, soit toute la filière des fruits et légumes, les syndicats agricoles, des coopératives mais aussi, de droit plein, l'ensemble de la restauration collective, ce qui facilite les débats.

Dans le cadre de la loi Egalim qui prônait la montée en gamme de l'ensemble des produits dans un but de transition écologique et d'augmentation des producteurs basé sur le contrat, nous avons à la demande du président de la République, élaboré un plan de filière extrêmement ambitieux qui explore les différentes possibilités pour appréhender ces questions. On a un engagement de 50% dans les 5 ans d'exploitations HVE, sur les Sico (Signes de l'Identification de la Qualité et de l'Origine) dans le bio de 25%, et sur la réduction des pesticides important et de contractualisation pour la filière. Cela veut dire que l'ensemble des opérateurs de la distribution, de la restauration et de la production c’est mis d'accord sur un plan dont tout porte à croire qu'il sera exécuté convenablement. Dans la poursuite de ce plan, nous nous sommes investis à côté des autres organisations et du Ministère de l'agriculture, au CNRC, et nous avons travaillé sur le décret portant sur la restauration.

Dans le cadre de ce décret, nous avons un principe de ne pas opposer les divers modes de production bio ou conventionnelle, ou les divers circuits de distribution.Nous avons poussé pour que la conversion au bio soit pris en compte parce que c'est un élément important de transition pour les producteurs, assurant une visibilité dans la période transitoire et c'est aussi un palier économique possible pour la restauration. Là où nous avons une réserve, c'est sur ces fameuses externalités environnementales, dont le but est de dire que l'on va faire du local, et qui pousse quelques fois à nous éloigner de nos productions de proximité, simplement parce que les impacts CO2 de production, notamment en terme de serres, éloignent de très loin les productions de la nation française.

Nous avons porté une proposition Interfel devant les députés et ministères qui vise à considérer que 30% des marchés, dans le cadre d’une dérogation aux droits de la concurrence au niveau européen, pourraient être mis en concurrence localement, ce qui règlerait le problème de manière claire. On suppose que lorsque l'on est en Andalousie et que l'on fait le meilleur jambon, on n'a pas envie d'acheter un jambon en Pologne, en Hollande ou même en Bretagne. On considère que cette solution sur les produits frais qui seuls possèdent une traçabilité complète sur leur produit et sur leur origine, pourrait être de nature à répondre à cette question. Nous sommes engagés dans le cadre du CNRC, dans le cadre des CRALIM, dans ce contexte, à développer les comités régionaux que d'autres interprofessions comme la viande ont créées de longues dates. Ces comités régionaux de l'interprofession permettent d'avoir des outils de correspondance entre le formatage des régions et les questions qui sont posées dans le cadre de la loi Egalim.

Jean-Marc David

L'achat est plus complexe en restauration collective que dans d'autres secteurs, étant soumis au code des marchés publics qui ne nous permet pas de dire ou d'écrire tout ce que l'on souhaite dans un appel d'offre public. A l’échelle locale, on ne peut pas écrire que l'on souhaite un produit origine France ou de telle ou telle région. Au sein des Crous, nous avons une clientèle assez particulière qui par définition est volatile, contrairement aux hôpitaux ou encore l'armée, une clientèle qui veut toujours des expériences nouvelles, de la naturalité, des produits sains, qui veut savoir l'origine des produits et comment ils ont été fabriqués.

Je pense aussi que les acheteurs doivent être intégrés à chaque étape de la production à la transformation, ainsi que la distribution, pour justement accompagner, informer, comprendre les enjeux de chacun, voire que l'on puisse partager ensemble les risques. Prenons l'exemple de l'élevage de poule en plein air car du jour au lendemain, nous n'avons plus voulu de poules en cages. Nous devons rassurer et soutenir les éleveurs quant à la mise en place de nos exigences. En élaborant des partenariats avec nos fournisseurs, la notion de "donneur d'ordres" n'a plus aucun sens. Il faut travailler main dans la main pour développer avec eux les outils qui nous permettront d'atteindre les objectifs de la loi. Il faut que nous modifions nos cahiers des charges, mais sans que cela ressemble à une usine à gaz, avec des critères environnementaux ou d’externalités négatives ou positives.

Alain Perelstein :

Nous sommes une région, les Hauts-de-France, plus modeste en tant qu'acheteur que le CNOUS, mais nous sommes quand même une grosse machine soumise au code des marchés publics, avec une particularité, c'est que les lycées sont des établissements autonomes, sous responsabilité budgétaire des régions.

Je vous donne quelques chiffres pour situer les choses : la région c'est 230 établissements, 125.000 repas servis chaque jour dans ses établissements. Nous représentons un restaurateur de taille. C'est 119 tonnes de produits achetés chaque jour. Soit nous faisons un appel d'offres à l'échelle de la région, et nous avons un seul groupe qui est capable de répondre à l'appel d'offres, soit on fait des achats plus localisés, par bassin ou par établissement, et là nous sommes capables d'avoir des interlocuteurs locaux de meilleure qualité. C'est la voie qui a été choisie à l'échelle de la région.

Nous parlons beaucoup questions financières et je vais vous donner nos chiffres : le coût de production d'un repas à l'échelle de la région des Hauts-de-France, c'est 9 euros. On retrouve cet ordre de grandeur dans beaucoup d'établissements collèges ou lycées entre 9 et 10 euros. Sur ce coût de production, il y a 4,4 euros de coût salarial, 2,1 de coût matière, et 1,2 pour les fluides et 1,3 pour les amortissements. Ce qui m'interpelle c'est l'écart entre les établissements les mieux gérés et les moins bien gérés. C'est à dire qu'à l'échelle de nos 230 établissements, il y a des établissements qui produisent des repas à 5 euros, et d'autres à 15 euros. Pour moi, cela un vrai sujet !

Cela veut dire que nous avons des marges de manœuvre énorme, ici nous sommes du simple au triple. Qu'est-ce que cela veut dire 10, 20, 30 euros de plus si nous avons de la qualité alimentaire en face ? En tant que contrôleur de gestion, cela ne me gêne pas de payer 0,20 euros en plus si j'ai plus de qualité et si j'ai une approche globale à l'échelle du processus. D’autant que je sais regagner ces 20 cts en modifiant les modes de production, en les améliorant et en m'alignant sur les meilleures pratiques de ma propre collectivité.

Il y a un vrai travail pédagogique à faire de la part des fonctionnaires, vis à vis des élus. On est focalisé sur un coût matière alors qu’il faut penser processus de production et avoir une vision globale.

On essaye de travailler en anticipation de la loi Egalim, autour de 3 axes sur les achats. On ne favorise pas l'achat local mais nous ne l'écartons pas non plus de nos appels d'offres. Par exemple, on fait un appel d'offre pommes d'un côté, et bananes de l'autre, pour permettre à nos producteurs locaux de pouvoir répondre à nos appels d'offres. Au-moins, ils ont une chance. Nous travaillons avec la chambre d'agriculture et on aimerait rattraper nos collègues de Bretagne qui sont très en avance. On organise aussi des rencontres pour nos acheteurs et nous avons développé une plateforme sur internet, où les acheteurs peuvent trouver ce qu'il a à sa disposition comme fournisseurs locaux.

Intervention du public

 

Isabelle Maincion, maire de la Ville aux Clers, conseillère régionale,

Nous devenons complètement schizophrènes entre les règles de marchés public et la réglementation de 2011 qui impose un équilibre alimentaire dans les repas. Nous l'avons dit au Ministère de la Santé, dans notre désir de manger localement pour faire vivre nos agriculteurs. Il va falloir revoir la logistique, même si la part du transport est finalement minime. Une des difficultés à surmonter c’est que les collectivités organisent lorsqu'il y a carence de l'initiative privée. Donc, je me tourne vers les grossistes, il va falloir que nous travaillons ensemble, parce que si nous voulons revoir le prix qui revient à l'agriculteur, il va très certainement falloir modifier nos circuits logistiques, savoir comment on peut travailler ensemble et comment on peut servir à la fois les petites collectivités et à la fois travailler avec les petits producteurs, voire allez les chercher.

Florent Guhl

Nous avons vu les résultats en 2018 de conversion vers l'agriculture biologique qui se confirment d'années en années en France. La restauration collective n'est pas toute seule, mais çà fait partie des moteurs de ce développement. Nous sommes dans une situation où avec la restauration collective on peut améliorer les choses, sur les questions agroécologiques et de meilleure rémunération et reconnaissance des agriculteurs. Nous renouons les liens entre les agriculteurs et les consommateurs. Grâce à ce que l'on fait tous ensemble, nous sommes acteurs de ce changement, et un des moteurs vers l'agroécologie et la meilleure reconnaissance du travail des agriculteurs.

Etienne Gangneron :

Tous les territoires, mêmes les territoires urbains doivent travailler à mettre en place des projets alimentaires territoriaux. Il faut retrouver de la confiance dans notre alimentation, du lien de la pédagogie. Pleins de choses qui viennent à manquer lorsque l'agriculture devient résiduelle.

Le coup de gueule, c'est le tout bio idéologique. On a rencontré les maires de deux arrondissements de Paris, 2e et 5e. Le 2e s’est positionné tout bio, 100% tout de suite, tout import, pas de problème, Le 5e travaille pour sa part avec les producteurs, les accompagne dans la conversion vers l'agriculture bio, fait rencontrer les producteurs et les parents d'élèves tous les ans. Une démarche exemplaire, pédagogique.

L'interrogation que nous avons par rapport aux objectifs de la loi Egalim, parce que nous avons pu voir un certain nombre d'exemples très délétères, c'est que nous mettons des moyens complémentaires sur les 50 premiers pour cents, et puis sur le reste c'est la foire. On achète n'importe quoi, n'importe où, au moindre coût, et cela n'est pas acceptable. Et nous avons vu quelques expériences de ce type qui vont complètement à l’encontre de ce que l'on souhaite mettre en oeuvre.

Laurent Grandin :

Nous avons une vision assez positive des lois qui ont été passées, notamment dans la restauration, pour plusieurs raisons, elle pousse à la conversion agroécologique du monde agricole qui s'est saisi de la HVE notamment pour aller dans ce sens là. C'est un complément important à l'agriculture biologique parce que l'on n’imagine pas qu'elle couvre 100% des besoins, un jour. Cela va commencer en 2022, cela n'empêche pas les uns les autres de s'y préparer. Mais on n’est pas encore dans la loi Egalim. Il faut rappeler que le contrat tel qu'il était prévu dans cette loi, c'est une réponse qui n'a pas encore été mis en oeuvre dans les fruits et légumes pour des raisons techniques, parce que l'ancienne loi n'avait pas été abrogée jusqu'à présent. Donc nous allons pouvoir commencer à mettre en place des contrats du prix des producteurs. C'est à la production de faire des propositions aux acheteurs dans ce domaine.

La restauration collective pèse à peu près 10% de la totalité de nos filières. Il faut très peu de production pour satisfaire le besoin. Donc, nous serons au rendez-vous de 2022 pour cette partie. Nous aurons les volumes pour honorer les attendus de la loi Egalim et du décret spécifique pour la restauration.

Luc Mary

Nous connaissons de grosses avancées indéniablement, en particulier avec la restauration collective. Mais un secteur est très en retard, et il n'y a pas beaucoup d'actions qui sont portées, c'est la restauration commerciale. Il y a là un vrai déficit. On oublie ce créneau, et on ne le mobilise pas vraiment.

L'autre cuisine