Table ronde : La Formation - Défis & Controverses de la restauration collective

Le 29/10/2019

Quelles qualifications et compétences attendre des équipes de cuisine ?

L'emploi dans la restauration collective est pour une grande part un emploi social, important pour les collectivités et les élus. Comment pouvons-nous développer la formation professionnelle pour ces populations et pour l'ensemble des équipes de la restauration collective ? Pouvons-nous imaginer une intégration culturelle par la cuisine ?

Intervenants contactés et prévenus :

Témoignage : Véronique Carrion, Directrice Cuisine Mode d'emploi

Michel Lugnier, inspecteur général de l'Education nationale en charge de la formation professionnelle (sous réserve)

Yvan Cadou, directeur du développement RH chez Elior, président de la commission formation au Syndical national de la restauration collective

Christophe Hébert, président d’Agores

Samira Benammar, référente restauration collective Ecole nationale des industries du lait et de la viande, Le Pont-de-Claix

Eric Malaprade, formateur &référent post-bac à l'Ecole de Paris des métiers de la table

 

Témoignage : Véronique Carrion, Directrice Cuisine Mode d'emploi

Cuisine & Mode d'emploi est un projet social, un projet de formation et un projet qualifiant, des formations en boulangerie, cuisine et métiers du service, pour des personnes sans-emploi, loin de l'emploi, qui aspirent à intégrer ces métiers. Notre mission, c'est rapprocher l'offre de la demande. Notre public a une moyenne d'âge de 30-35 ans, ce sont des personnes déjà engagées dans la vie, et pour eux, le temps est précieux. Ils ne peuvent pas consacrer une année ou deux en formations.

Thierry Marx est à l'initiative de ce réseau d'écoles, avec pour l'instant 8 en France, et de prochaines ouvertures prévues. Une formation de 11 semaines, 8 semaines à temps pleins à raison de 35 heures par semaine, de façon intensive, suivi de 3 semaines en entreprises, avec à la clé un diplôme reconnu par l'État et la branche professionnelle. Nous trouvons les entreprises et veillons à ce qu'ils soient accueillis dans de bonnes conditions, et surtout que ce stage colle à leur projet professionnel. A la fin de cette formation, les stagiaires obtiennent un CQP, un diplôme de niveau CAP. Ensuite, nous les accompagnons dans la recherche d’un emploi. Cela fonctionne dans plus de 90% des cas, parce qu'en amont de l'intégration dans la formation nous allons valider avec eux la réalité de la motivation. Nous sommes vigilants à ce que les jeunes entament la formation en évitant les malentendus.Certains n'ayant pas forcément pris conscience de la réalité du métier. Une fois ce cap franchi, que nous avons bien compris leurs attentes et validés leur intérêt pour ces métiers, les choses se font rapidement.

Lorsque les stagiaires nous contactent, ils ont un projet professionnel. Ce peut-être la restauration gastronomique ou collective. Même si la grande majorité souhaite intégrer la restauration traditionnelle, certains évoluent en cours de route vers la restauration collective, y découvrant certains avantages, comme les horaires, plus compatibles lorsqu'ils sont à charge de famille, et habitent dans des grandes villes. Certains trouvent dans la restauration collective des moyens de mieux évoluer, et c'est souvent un environnement professionnel plus sécurisant.

Table ronde

A l'heure de la réforme de la formation, de la création de nouvelles organisations, de nouveaux organismes de formation, quelle est la vision de l'Éducation Nationale ?

Michel Lugnier : la question centrale dépasse le seul secteur de la restauration collective, puisqu’il touche toute l'activité humaine. A côté de la réforme de la formation professionnelle, de la loi relative à la liberté de choisir son avenir professionnel, le ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, avait lui-même engagé une réforme en profondeur de la formation professionnelle sous statut scolaire.

Avant d'évoquer la façon dont le ministère s'inscrit dans ces évolutions, soulignons les caractéristiques du modèle français de l'enseignement professionnel. Au XIXe siècle, la question que se posaient les décideurs politiques, était de savoir sous quel ordre d'enseignement il fallait faire reposer l'enseignement professionnel, primaire ou secondaire, sous l'autorité de l'instruction publique où du ministère du Commerce ?

Dans un premier temps, le choix fut pris de confier au ministère du Commerce ces futures écoles dédiées à l'enseignement technique naissant. Au lendemain du premier conflit mondial, c'est au ministère de l’Instruction publique que ces écoles ont été confiées. A l'époque il était décidé, de mettre en place un apprentissage complet et méthodique : on forme une femme ou un homme, une citoyenne ou un citoyen, et enfin une travailleuse ou un travailleur. Ces 3 dimensions posent la question de la scolarisation des apprentis, car c'est bien de cela dont il s'agit lorsque l'on parle des blocs de compétences, de CQP ou de diplômes professionnels. C'est à dire, quelle est la place de ces enseignements généraux qui sont censés conférer au détenteur de ces certifications une culture générale, humaniste, qui leur permet d'entrevoir une insertion professionnelle future.

Dans le cadre de la transformation de la voie professionnelle, le ministre a souhaité faire évoluer en profondeur le système de manière à ce qu'il soit beaucoup plus réactif, plus progressif, et qu'il soit beaucoup plus en phase avec le monde professionnel actuel.

Trois difficultés sont apparues, si on en revient à la formation en restauration.

> Tout d'abord, la représentativité des milieux professionnels. Pour résumer, la profession nous dit dans quelle mesure il est nécessaire de créer, de supprimer ou de faire évoluer, d'amender un diplôme, une certification professionnelle. Et avec le temps, il est plus facile de créer que de supprimer. A l'arrivée, nous nous retrouvons avec 300 spécialités pour les niveaux 5 et 4. Donc, en terme de prescription en matière d'orientation, il est tout à fait impossible de délivrer une information stabilisée aux générations de collégiens qui vont irriguer les établissements d'enseignements professionnels.

> 2e point, le référentiel d'activité professionnelle. Quelles sont les activités professionnelles qui vont être confiées au détenteur de ce diplôme ? Dans le cas de la restauration collective et d'un cuisinier, il va falloir faire la démonstration que ce cuisinier maitrise les savoirs de base. D’autant que nous sommes dans un secteur particulier, régit par des règles qui lui sont propres. Et sur ce point, je travaille avec les représentants de la profession pour que l'on identifie ce complément de formation.

> Enfin, 3e difficulté toujours liée aux caractéristiques du secteur d'activité de l'hôtellerie-restauration. Il représente 800.000 salariés, 200.000 entreprises, dont les 2/3 sont de très petites entreprises. Mais il existe aussi  de grands groupes, avec des demandes naturellement très différentes. Notez que les 2/3 des jeunes employés aujourd'hui n'ont jamais mis les pieds dans une école hôtelière. La question de la formation est bien évidemment la question de la rotation des personnels à l'intérieur des structures. Nous avons une question de fidélisation des acteurs et des personnels dans ces secteurs d'activité.

Autre difficulté, une entreprise sur deux ne dépasse pas les 5 années. C'est la raison pour laquelle j'ai fait évoluer la totalité des formations pour qu'elles tiennent compte de ces dimensions et qu'elles prennent en compte au-delà des aspects purement techniques, des dimensions qui font péricliter un certain nombre d'entreprises.

Ce secteur se caractérise aussi par l'adéquation entre l'offre et à la demande. D'un côté 300 spécialités niveau CAP, niveau Bac, et ce que l'on observe, c'est que seulement 29 spécialités au niveau 5 (CAP) captent à elles seules 85% des jeunes. A la question, est-ce que cette différenciation de l'appareil de formation de l'appareil de production, et ce nombre de spécialités répond à la demande sociale et des familles ? La réponse est non ! Les jeunes se concentrent dans quelques spécialités. Le niveau 4 est beaucoup plus emblématique. Les 2/3 des jeunes qui sont dans le secteur des services, 300.000 jeunes sur les 650.000 jeunes qui sont dans l'enseignement professionnel sous statut scolaire, sont dans 3 baccalauréats professionnels. Il y a une centaine de spécialités. Enfin, la moitié des spécialités de niveau 5 dans le secteur de la production accueille moins d'une centaine d'unités, apprentis ou élèves, à l'échelle nationale.

A travers toutes ces considérations, vous constatez que ceux qui ont en charge l'espace régional en matière d'offres de formation, se trouvent confrontés à de véritables problématiques.

Concernant la construction des diplômes, si l'on rentre par les activités, il est clair que l'on va distinguer les formations et arriver à un nombre de spécialités extrêmement importantes, et si l'on rentre par les compétences on va être sur un niveau de gradualité un peu plus élevé.

Interrogeons-nous, est-ce que ces activités définissent très clairement la notion de métier à laquelle nous faisons référence. Ne sont-elles pas plutôt génériques pour certaines d'entre elles ? N'y aurait-il un processus de rationalisation, de diminution de spécialités qui permettraient de répondre de façon plus efficace à la certification des jeunes ?

A l'heure de la digitalisation de la société, on demande à l'appareil de formation de préparer des jeunes à des compétences dont nous ignorons même la nature. Quelles sont les activités pédagogiques de natures à développer des compétences dont certaines sont visibles, en « mode projet », le travail en réseaux… Enfin, tout ce que l'on appelle des compétences douces ou transversales.

Concernant la restauration collective, la difficulté majeure tient à sa représentativité. La commission professionnelle consultative (CPC), en charge de la construction des diplômes, a fait en sorte que l'on focalise des diplômes essentiellement sur le mode de restauration traditionnelle. Aujourd'hui, il n'est plus possible de faire l'économie des gisements d'emplois qui sont majeurs dans tous les autres modes de restauration. C'est la raison pour laquelle nous faisons évoluer tous les diplômes de l'Éducation Nationale. Il y a 18 spécialités. Je me suis attelé à la tâche, il y a maintenant 6 ans. Tous les diplômes seront revus, et ces révisions seront beaucoup plus fréquentes des quelque 500 diplômes existants. La volonté du ministre étant une plus grande réactivité. Adaptons la modalité, la durée de formation, 1, 2 ou 3 ans en fonction des acquis et du parcours de l'expérience des jeunes, dérogeons au principe qu'un diplôme doit être obtenu en2 ans.

Les métiers de la cuisine bénéficient d'une forte image médiatique. Celui des services un peu moins, par essence. Ce que nous cherchons à développer au ministère, ce sont des jeunes qui développent l'estime d'eux-mêmes, "qui s'autorisent à". Vous savez que lorsque l'école française est comparée sur le plan international, on souligne que nos petits français sont ceux qui ne prennent pas de risque, c'est la question de l'erreur et du statut de l'erreur dans le cadre de la formation. Nous tentons de développer des formations et des contenus programmatiques, puisque tous les programmes de l'enseignement ont été revus, de façon à développer des compétences qui permettent aux jeunes de s'autoriser à investir tous les secteurs de l'activité économique, et pour cela nous avons besoin de travailler sur les représentations, les préjugés qui entourent un certain nombre de formations et de métiers.

Samira Benammar: enseignante à l'Ecole nationale des industries du lait et de la viande : je dépends du ministère de l'Agriculture. Nos établissements scolaires développent et mettent en œuvre des diplômes qui ne sont pas de leur ministère. En étudiant les besoins du territoire, nous avons identifié des besoins dans la restauration et le commerce. Notre établissement a donc développé les diplômes qui étaient demandés par le secteur. Le CAP agent polyvalent de restauration qui vient de l'Éducation Nationale, fait parti de notre enseignement. Tous les jeunes de notre établissement sont des apprentis, et cela fait 20 ans que nous les accueillonsen restauration collective. Pour le CAP agent polyvalent de restauration, nous avons des sections de minimum 24 places, et cela fait deux ans que nous avons 36 places, parce que nous avons une demande très importante des entreprises.

Depuis 20 ans, plus de la moitié des jeunes effectuent leur apprentissage en restauration collective. Donc oui, la restauration collective accueille des apprentis, c'est simplement une question de territoire, de contacts, de volonté. Les sections sont pleines et le taux d'insertion est très important au niveau du CAP. Nous avons un deuxième diplôme qui est le certificat de spécialisation (CS) cuisinier de restauration de collective, initié par l'association Restau'co et le ministère de l'Agriculture. Dés le démarrage la section était pleine, et cela fait 8 ans que nous avons chaque année 12 apprentis. Les entreprises du secteur font le constat qu'ils ont des problèmes de recrutements, de personnes qualifiées, à la base des cuisiniers. La sécurité alimentaire arrivée en 1997 a modifié le paysage. On constate que dans le secteur de la santé, en restauration collective, lorsqu'un établissement forme un jeune, il le garde par la suite. Chaque année nous faisons des vérifications de contenus avec les professionnels. Ce qui est intéressant par rapport aux compétences, c'est que les apprentis et les adultes sont évalués sur leur lieu de travail, en situation réelle.

Christophe Hébert : je partage une partie de l'analyse de Michel Lugnier. Cela fait plus de 35 ans que je travaille dans la restauration traditionnelle et collective : en école hôtelière, puis formateur pendant une dizaine d'année, et cette question de la formation a traversée toute ma carrière. Aujourd'hui, il y a urgence. Si l'on prend que la production des repas, et en particulier depuis la loi Egalim, on constate que nous ne trouvons plus de jeunes formés, compétents, capables d'assurer les missions dont nous avons besoin. Il faut entre 8 mois et 1 an et demi pour trouver un chef de production. Je cherchais un second de cuisine. Impossible. J'ai du faire une mutation en interne avec un plan de formation conséquent pour remplir le poste.

Il y a urgence car au niveau de la formation initiale, de l'Education Nationale, on ne forme pas de jeunes à la restauration collective, et ceux qui entre dans notre secteur, arrivent souvent par défaut. Travaillant avec l'école hôtelière du Havre, et faisant visiter ma structure, je n'arrive pas à motiver des jeunes. La dernière réforme avait mis en avant ces fameuses compétences transversales indispensables au détriment des compétences "cœur de métier". La restauration traditionnelle a imposé sa formation, et la restauration collective a imposé des référentiels.

Je me souviens très bien, à l'époque du démarrage de la 4e gamme (produits lavés, épluchés, coupés), d'un séminaire à l'institut Pasteur de Lille où ils nous étaient vendus très clairement des cuisines d'assemblage qui faisaient appel à deux compétences. La première, maitriser les conditions d'hygiène, la seconde, être le moins qualifié possible pour pouvoir répondre à une industrie naissance dans ce domaine là, un schéma économique basé sur l'assemblage de produits industriels. Notre association Agores s'est toujours battue contre cela, et nous revendiquons la nécessaire formation des cuisiniers.

Heureusement, cette stratégie n'a duré qu'un temps, et n'a pas répondu aux besoins, même s'il y a encore un décalage entre la réalité et les attentes consommateurs. Si l'on veut qu'un jeune acquiert un minimum de compétences, il faut qu'il s'essaye dans diverses structures. Cela suppose entre 5 et 8 ans pour former quelqu'un apte à appréhender les missions de la restauration collective. Nous devons travailler sur ces compétences transversales mais également sur les compétences psycho-sociales que vous mentionnez, c'est indispensable.

La restauration publique territoriale va traiter deux aspects de la formation, la formation initiale et la formation continue qui vient apporter cette notion de spécialisation et d'adaptation au poste de travail.

La formation initiale se réfère aux diplômes de l'Éducation Nationale mais elle comporte trois aspects : la production qui occulte un peu le reste, la distribution et les services, et les missions de direction (production, distribution, services...). Il y a aussi les missions transversales (diététiques, animations...). En aucun cas la formation professionnelle ne doit se substituer à la formation initiale. Cette dernière étant le socle.

En temps que responsable de la restauration des collectivités, nous devons embrasser de multiples compétences, maîtrise de l'ingénierie, maîtrise de l'hygiène et de la santé publique, maîtrise des procédures et managériale. Nous ne disposons pas toujours de toutes ces compétences, et c'est là où intervient la mutualisation. Il est important, voire indispensable, de développer des partenariats entre collectivités - une diététicienne pour 1000 repas n'a aucun sens.Nous avons un problème de massification de la formation initiale, de la formation continue, et si je salue le travail du CQP, cette cession de 12 stagiaires par an, est largement insuffisante au regard des besoins. Nous avons réellement besoin de développer, au niveau de la formation initiale en tout cas, des formations adaptées au secteur.

Éric Malaprade : la complexité du secteur de la restauration collective est source d'opportunités. Le secteur est vraiment en demande de personnels, de recrutement sur des profils très variés, avec des tâches multiples. C'est autant d'opportunités d'apprentissages. L'École de Paris des Métiers de la Table, EPMT, reçoit aux alentours de 1.300 apprentis par an. Nos programmes commencent aux agents polyvalents de restauration (APR), pour des jeunes de 16 ans, voire 15 ans dans des dispositifs d'insertion. Pour les dispositifs d'initiation aux métiers en alternance(DIMA), nous allons jusqu'au niveau 1. A tous les niveaux, nous avons des personnes qui vont en restauration collective.

Yvan Cadoux : nous souffrons d'un déficit de collaborateurs dans la restauration au sens large, plusieurs dizaines de milliers de postes. Le secteur est trop méconnu et pêche par un déficit d'image. Nous avons besoin de personnes qui ont les compétences de base, et on ne peut pas se priver, en ayant ce déficit de ressources, de l'apprentissage. Dans les SRC, les collaborateurs peuvent évoluer, aller vers de nouvelles compétences. Nous avons une batterie de CQP dans la branche professionnelle qui nous sont extrêmement importants. Le socle et les compétences comportementales de base que l'Éducation Nationale apporte, nous allons les compléter avec des compétences techniques professionnelles au-travers de ces CQP.

Chez Elior, nous avons prévu de multiplier par deux le nombre d'apprentis l'année prochaine, pour répondre à nos réels besoins. Notre difficulté, le sourcing. Le recrutement reste et nous devons nous donner tous les moyens, y compris par la promotion interne. Nous avons la capacité d'absorber un nombre de candidats important. La capacité que nous donne la réforme de recruter des apprentis tout au long de l'année, se rapproche de notre démarche avec les CQP. Cela permet d'avoir cette ressource tout au long de l'année. Nous travaillons également au découpage par bloc de compétences  pour les améliorer  et enrichir les formations.

Christophe Hébert : le recrutement de personnes plus âgées, plus motivées, se pose aussi. Actuellement, lorsque nous recrutons c'est que l'on va piquer quelqu'un chez un voisin, chez un collègue, où bien nous allons chercher d’anciens artisans, pour remplir les postes. C'est une conduite relativement provisoire, car ces personnes vont finir par faire valoir leur droit à la retraite. J'envisage le développement de la formation sous 3 axes : l'initiation, le rôle de l'Éducation Nationale, la maîtrise, le rôle des entreprises, des collectivités, et le tutorat. Nous avons l'expertise, nous devons la transmettre au-delà des missions qui nous sont confiées. Il y a effectivement une problématique de sourcing, de recrutement de jeunes, mais je vois plutôt une problématique de fidélisation avant tout. Former c'est bien, fidéliser c'est mieux. Ceci est lié à la valorisation de nos savoir-faire et aux rémunérations.

Yvan Cadoux : il faut valoriser les conditions de travail, les horaires, rappeler que nous cuisinons, pour une restauration engagée, sociale, responsable. C'est donner du sens à leur travail, pour ceux qui vont cuisiner pour des enfants, des personnes âgées, leur préciser qu'ils font de la pédagogie alimentaire pour les enfants, créer un moments de plaisir pour les malades, les seniors, leur faire prendre conscience de ce que représente leur apport.

Michel Lugnier : tous les secteurs nous disent connaître un problème d'attractivité, mais s'ils ne se posent pas la question dans les mêmes termes entre l'industrie du luxe et la restauration. Manifestement, il y a une exagération de la part des professionnels qui l'avouent eux-mêmes. Les arguments ne manquent pas, nous ne retrouvons pas dans les diplômes certifiés, les compétences censées êtres certifiées, nous ne savons pas parler à la génération Y...

Effectivement, cette génération entretient un rapport au monde, au moment, à la temporalité, à l'espace qui n'a rien à voir, avec celui du vieille inspecteur général que je suis. Difficile de proposer à un jeune de se projeter dans 15 ans dans une profession alors qu'il a du mal à se projeter la semaine suivante.

J'entends qu'il y a un problème d'attractivité, mais il va falloir m'expliquer qu'il y a 300.000 jeunes qui se dirigent vers des formations, où certains de dire, à longueur de journée qu'elles ne mènent nulle part, et pourtant, il y reste autant de gisements d'emplois non pourvus. Oui, il y a des problèmes de rémunérations car pour un jeune en-dessous de 3000 euros ce n'est pas un salaire. Cela commence à rappeler la hiérarchie des normes et,"au pays du diplôme" chacun préfère asséner aux jeunes "passe ton bac d'abord".

L'enseignement professionnel permet l'insertion plus que tout autre segment. Ce n'est donc pas un problème d'attractivité des métiers, c'est un problème de connaissance des métiers, en remettant l'humain au coeur des formations et faire en sorte de construire des humains qui pensent. Dans la filière dont je suis en charge, je fais en sorte que les formations s'attachent à développer chez les jeunes de la réflexion, sur les techniques, sur les organisations, d'où elles viennent, pour qu'ils puissent les critiquer au bon sens du terme, pour se rendre compte de la formation qu'ils sont entrain de vivre. La restauration souffre de sa hiérarchie implicite au lieu de parler de compétences.Il faut valoriser les métiers, oui, à condition de savoir ce que l'on met dans cette notions. Nous

Véronique Carrion : je m'étonne de cette opposition que l'on peut faire encore entre la formation initiale et continue. Ce sont des vieux schémas qui n'ont plus raisons d'être. La formation continue c'est la possibilité pour toutes les personnes, tout au long de leur vie, de se former, voire de se réorienter. Avec Cuisine & mode d'emploi, nous n'avons pas ces critères d'âge. Si l'on pense que la voie royale serait la formation initiale, nous allons avoir du mal à recruter et cela ne va pas aller en s'améliorant. Certes la démarche de l'Éducation Nationale est de donner un socle de culture générale, sauf qu'à un moment donné lorsque les personnes ont quitté la scolarité et que l'on veut les replacer dans un schéma d'insertion professionnelle. Il faut accepter d'avoir une formation beaucoup plus condensée et rapide. Notre programme de formation est très simple et pratique. Au cours d'un CAP, vous avez 280 heures de pratiques professionnelles, ce que nous proposons en 8 semaines. Pour nous, il n'y a pas de différences entre la théorie et la pratique. Nous n'avons pas de salle de cours. L'hygiène et la sécurité s'apprennent sur le terrain.

Samira Benammar: nous formateurs, devons nous interroger sur comment nous adressons-nous aux jeunes, comment nous parlons des diplômes, des métiers, des secteurs de la restauration, et de la restauration collective en particulier ? Pourquoi ne pas nous autoriser des passerelles, voire des simples visites, entre les lycées professionnelles, pourtant nous sommes deux ministères du même gouvernement ? Dans notre région, les établissements publics ne prennent pas de mineurs, et tant que cela persistera, nos formations en apprentissage, ne pourront pas fonctionner. Pour les formations d'adultes, idem, les établissements publics ne peuvent pas prendre de contrat professionnel pour des personnes de plus de 30 ans. De plus, ces contrats représentent une différence de salaires, de coût pour les entreprises, par rapport à un jeune apprenti. Cela complique énormément la mise en place de formation continue pour adulte.

Yvan Cadoux : nous devons valoriser le secteur, à travers des échanges et des  visites d'établissements, entre les élèves et les parents. Rappeler que nous avons la possibilité de travailler sur des vrais plans de carrière, sur la qualité de vie au travail, sur la mobilité, sur l'évolution vers d'autres métiers y compris les fonctions supports. Nous devons faire rêver un peu plus les jeunes en montrant des exemples et les beaux atouts que nous possédons.

Michel Lugnier : la sensibilisation des personnels est bien évidemment un des premier facteurs à donner à lire la restauration collective. Il ne faut pas laisser les professeurs complètement démunis par rapport à ces connaissances des secteurs de la restauration.Le CERP propose des stages aux enseignants quelque soit les disciplines.

Il faut développer les stages en restauration collective pour les jeunes. Dans toutes les séquences pour l'enseignement, nous faisons en sorte pour qu'ils soient également dans le cadre de la restauration collective, quelque soit le niveau de qualification. Car il ne suffit pas de dire qu'il y a des emplois dans un secteur pour que les jeunes s'y dirigent.

Nous voulons que les jeunes soient conscients qu'il y a une foultitude de modalités de restauration et qu'il ne tient qu'à eux d'investir ces emplois, avec des plans de carrière ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres activités de la restauration. Je suis pour une formation tout au long de la vie pour peu que le parcours prenne comme définition : un itinéraire organisé et sécurisé d'acquisition de connaissances et de compétences.

Questions du public

Agnès Caso, dirigeante de Créons du Sens : finalement la formation, est-ce que ce n'est pas apprendre à apprendre ? Pour moi, la restauration collective n'a pas d'identité, on la décrit par défaut par rapport à la restauration commerciale.

Christophe Hébert : je partage totalement votre avis.

Yvan Cadoux : Nous l'avons évoqué, nous avons une grosse difficulté de visibilité, c'est une activité de B to B. En évitant de parler aux consommateurs, nous réduisons notre identité. C'est un point important.

Eric Malaprade : Je suis d'accord avec vous. Lors des visites d'entreprises, les élèves ont du mal à trouver une image, entre la restauration d'entreprise, un hôpital, une cantine.

L'autre cuisine