Restauration collective et commensalité

Le 14/01/2021

Une commensalité variable en fonction des pays

 

Nous savons, grâce aux anthropologues, que la commensalité a été pendant très longtemps, et sous différentes formes, une caractéristique commune à l’humanité. Mais que l’individualisme alimentaire est aussi l’une des pratiques qui a connu le plus fort développement dans les sociétés modernes. Chaque société a donc son propre gradient de commensalité. Chez nous, la valeur de ce gradient est, comme on va le voir, toujours très élevée. Mais elle peut aussi être très faible ailleurs. C’est le cas aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne par exemple. On constate, en effet, que ce qui importe le plus à un Américain ou à Britannique aujourd’hui, ce n’est pas de manger avec les autres, mais la possibilité de pouvoir manger ce qu'il veut, quand il veut et où il veut. Cette liberté permettant, en désocialisant le temps du repas, une meilleure adaptation aux contraintes de la vie moderne. Et cela en dépit de tous les problèmes que ce mode d’alimentation peut avoir sur le plan de la santé notamment.

Thibault de St Pol nous a donné une illustration de ces particularismes alimentaires en comparant la distribution des prises alimentaires chez les Britanniques et les Français sur une journée. Nous avons d’un côté, une majorité de Français qui font le choix de suspendre toutes leurs activités pour manger en même temps à trois moments-clefs de la journée et, de l’autre, les Britanniques avec des prises alimentaires qui s’étalent sur toute la journée. C’est ainsi qu’à 12h30 « pile » par exemple, on a près de 55 % des Français qui sont en train de manger contre près de 15 % seulement pour les Britanniques.

Le rôle joué par la restauration collective

 

Quelles sont les raisons qui permettent d’expliquer cette différence de comportement ? Les chercheurs ont en identifié plusieurs. Et il est intéressant de voir que c’est, en partie, grâce à la restauration collective que la forme commensale du repas a pu se maintenir en France en dehors du foyer. Et grâce à la possibilité qui a été donnée à beaucoup de Français de pouvoir prendre, pendant cette pause, un repas dans un restaurant collectif à l’école, à l’usine ou au bureau. Les convives se retrouvent donc dans une situation où ils sont amenés à manger ensemble et, le plus souvent, et à quelques accommodements près, presque la même chose. Et c’est un point particulièrement intéressant à souligner puisqu’il met l’accent sur le rôle que la restauration collective peut avoir, en plus de sa fonction nourricière, dans la préservation d’un mode de sociabilité qui est étroitement lié à notre histoire sociale et qui se caractérise par une commensalité de type égalitaire et centrée sur la convivialité. La question qui se pose toutefois est celle de savoir comment on peut adapter ce modèle pour répondre aux exigences d’aujourd’hui sans en perdre l’esprit.

Les effets bénéfiques du modèle français

 

On peut aussi se demander si le modèle de la restauration collective « à la française » a d’autres fonctions et, éventuellement, d’autres vertus. Les chercheurs n’ont pas fini d’examiner l’ensemble des effets positifs qu’il peut avoir au travail et à l’école notamment. S’agissant du travail, on constate, sans être exhaustif, que le restaurant collectif permet d’abord de réserver un temps pour le déjeuner, ce qui permet une meilleure régulation de la prise alimentaire. Il permet aussi, et de ce fait, de pouvoir manger « en pleine conscience », autrement dit de manger sans être occupé à faire autre chose en même temps. Mais également de favoriser les échanges informels, et donc une meilleure circulation de l’information, une meilleure régulation des conflits, etc.

Quel rôle ont les collectivités dans ce modèle de restauration collective ? L'Autre Cuisine et Cantines Responsables en parlent le 2 mars, de 17 h à 18 h 30, lors du webinaire Défis & Controverses sur "Le rôle des collectivités dans la restauration collective". Inscription gratuite et obligatoire.

Les effets bénéfiques que l’on peut attribuer à la restauration collective au travail sont donc loin d’être négligeables. Mais c’est surtout à l’école que ces effets sont, aujourd’hui, les mieux documentés. On en trouvera une synthèse dans le rapport qui a été publié sur les cantines scolaires par Terra Nova. Ce rapport montre que la cantine scolaire remplit d’abord une fonction nourricière de premier plan en proposant tous les jours aux enfants un menu varié et nutritionnellement équilibré. Que ce repas est aussi, et pour un grand nombre d’enfants issus des catégories sociales les plus modestes notamment, le seul repas complet et équilibré de la journée. Mais que la cantine scolaire joue également un rôle très important dans la socialisation et l’éducation alimentaire des enfants ; puisque c’est là qu’ils apprennent à manger en respectant les autres et avec les autres, à découvrir, à goûter et à aimer de nouveaux aliments, tout en évitant que leur attention soit captée par les écrans.

On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que la fréquentation de la cantine scolaire puisse avoir aussi, et pour toutes ces raisons, un rôle essentiel dans la lutte contre le surpoids et l’obésité chez les enfants

 
Convaincue de l'importance de l'éducation alimentaire, la commune de Sceaux a décidé de faire de la pause méridienne un véritable temps d'échange et de sensibilisation. A lire dans notre précédent article.

 

Mohamed Merdji
Socio-anthropologue de l’alimentation, professeur émérite à Audencia Nantes, Mohamed Merdji est président de l’Institut Danone France. Ses travaux portent plus spécifiquement sur l’analyse des mécanismes psycho-sociologiques de formation et d’évolution des goûts et des préférences alimentaires.

Mohamed Merdji