Aux commandes du restaurant d’Airbus Helicopters : avant et depuis la crise sanitaire

Le 10/06/2021

Le siège d'Airbus Helicopters est installé dans le sud de la France à Marignane, près de Marseille, son principal site de production en France. Il réunit plus de 8 000 salariés permanents, auxquels s’ajoutent les sous-traitants et les stagiaires, et accueille les clients internationaux de la société.

Avant la crise, l'équilibre délicat d'un restaurant d'entreprise

Lors de la pause méridienne, ce sont autant de bouches à nourrir, au sein de l’un des plus importants restaurants d’entreprise de France, et sans doute « le plus grand à n’avoir qu’un seul prestataire », selon les propos de Ludovic Le Bescond, responsable de secteur pour Elior et en charge du périmètre Airbus Marignane.

Au moment de notre 1re visite en janvier 2020, la mission restauration revêtait de multiples défis pour les quelques 165 personnes employées dans les 5 restaurants du site : 3 restaurants avec self, répartis sur le site et servant environ 7 000 couverts chaque midi, 1 restaurant dédié aux stagiaires en formation (« Le Régalon »), et 1 restaurant gastronomique pour les clients d’Airbus (« Le Club »), sans oublier les 2 boulangeries Paul installées sur les lieux, dont Elior apporte le personnel et demeure l’interlocuteur en cas de nécessité.

Une mission en changement pour les restaurants collectifs

Si Le Régalon et Le Club proposaient des prestations particulières, comme un affichage bilingue, des menus allant de 10 euros (Le Régalon) à 40 euros (Le Club), ou encore des partenariats avec des chefs étoilés, les 3 restaurants principaux accueillant la plus grande partie des salariés avaient également dû s’adapter afin d’offrir aux convives des services et des produits de qualité.

Pour Ludovic Le Bescond, « la mission d’activité de service est en changement. Avant, les convives étaient « captifs », ils n’avaient pas d’autre choix que de manger sur site, mais les habitudes alimentaires changent, et il faut adopter, pour les « retenir », les codes de la restauration commerciale. » Et cela commence par « dire tout simplement bonjour ! Je viens de la restauration commerciale, et j’ai été choqué par certaines choses en arrivant dans la restauration collective en 2013. Alors les employés polyvalents ont suivi les formations du groupe Elior, « nouvelles pratiques de service ». J’ai aussi mis en place un briefing avant le service, car il faut pouvoir répondre aux convives sur l’origine des produits, par exemple. »

Et les plats, ici, étaient nombreux ! Au sein des 3 cuisines alimentant les 3 restaurants principaux dédiés aux salariés, chaque midi 12 plats chauds étaient proposés, ainsi que 6 desserts pâtissiers fait maison, pour un menu au grammage supérieur aux alentours de 4 euros, grâce à la tarification sociale et la participation du CSE (comité social et économique).

 

Pour tous les goûts, tous les budgets
 

Parmi l’offre proposée, il existait un stand végétarien, séduisant environ 10 % des convives, en augmentation constante, ainsi qu’un stand de pâtes fraiches et de pizza, dont les pâtes étaient produites tous les jours sur place avec de la farine bio. Le pain frais était également 100 % bio, ainsi qu’une majeure partie des fruits et légumes. Ceux-ci étaient achetés via la plateforme « Localizz », basée sur Aix-Les Milles, regroupant plus de 150 producteurs locaux. Les viandes, labellisées françaises, et les poissons, issus de la pêche MSC, étaient essentiellement frais, les fromages venaient du Col Bayard, près de Gap, et 80 % des légumes étaient frais et préparés pour le lendemain.

La diversité des types de fonction des employés offre un panel de population très varié, allant des ouvriers aux cadres supérieurs et regroupant sur un même terrain hommes et femmes, jeunes et moins jeunes. Alors pour satisfaire les goûts et les habitudes alimentaires de chacun, l’offre était variée. Et pour éviter la lassitude, il existait une fois par semaine une animation. Les animations pouvaient être calendaires, thématiques, ou avec des producteurs, locaux la plupart du temps, venant présenter leurs produits servis ce jour-là.

De nombreux impératifs à satisfaire

Changer les habitudes alimentaires

Des exigences auxquelles Elior s’efforçait de répondre, mais qui n’étaient pas toujours simples à mettre en œuvre, comme nous l’expliquait Ludovic le Bescond lors de notre première visite: « En 2018, le CSE voulait des kiwis locaux…Résultat, un mois plus tard, il n’y avait plus un seul kiwi dans la région ! Nous avons de vraies problématiques de volume ».

Le CSE, qui gère le quotidien et la stratégie des menus et des prix, et dont Elior est ici un sous-traitant, avait en effet mis en place un certain nombre d’impératifs en matière de suivi de la loi EGalim, de la promotion du bio et des circuits courts. Il souhaitait faire « changer les habitudes alimentaires, pour le développement durable, mais aussi pour ceux qui prennent toujours la même chose au repas. Le CSE est vraiment dans cette éthique, et ici nous allons même au-delà des exigences de la loi EGalim », nous indiquait alors Marc Hervé, le secrétaire adjoint du CSE.

Sortir du plastique

Cette question des quantités se retrouve au sein du projet résultant de la volonté du CSE de sortir du plastique. En janvier 2020, seul le restaurant gastronomique « Le Club » bénéficiait du 100 % sans plastique, avec des gobelets en amidon de maïs ou en bagasse. « Il y a une volonté d’extension sur les selfs, nous disait Ludovic Le Bescond, mais on a des difficultés à trouver les produits de substitution en quantité suffisante. De plus, ce n’est pas toujours ce que veut le convive ! Il y a souvent une suspicion du client dès qu’il y a suppression de quelque chose, comme les bouteilles d’eau individuelles en plastique par exemple. Le CSE veut quelque chose, le client autre chose, et Elior est au milieu. C’est comme la fois où on avait pris du poulet Label Rouge, qui était plus jaune. Il y a eu des plaintes d’une partie des convives, pas habituée à cette couleur d’un poulet de meilleure qualité, alors on a dû revenir à un poulet plus bas de gamme pour qu’il soit blanc ».

Réduire le gaspillage

Pour un restaurant de cette taille, l’attention portée au gaspillage est un véritable défi : les différents restaurants nourrissaient environ 60 % des salariés, et il existait une grande difficulté à prévoir les repas, « même Airbus ne sait pas toujours combien de personnes rentrent sur le site ! Dans les 3 selfs, il n’y a pas de système de réservation, c’est compliqué. On fait attention à prévoir au plus près les quantités. On essaie aussi de faire 80 % de la production avant le service, et 20 % pendant, en direct, pour être au plus près du nombre de convives. On peut aussi représenter certains produits une 2e fois. Le système Too Good To Go, qui permet d’acheter les produits restants, pourrait être une solution. Il est à l’étude le vendredi, et est testé à Paris ».

Pour Ludovic Le Bescond, il est en effet primordial de se rapprocher des codes de la restauration commerciale, les personnes attendant de plus en plus de services autour de la restauration, et souhaitant pouvoir manger à toute heure en fonction des besoins... telle était la route à suivre !

Après le confinement, un restaurant d'entreprise en réinvention

Cependant, depuis plus d’un an, la crise sanitaire a perturbé l’organisation habituelle de cette restauration. Les changements induits par le recours massif au télétravail, mais aussi par la mise en place d’équipes différenciées au sein de l’usine de production, ou encore les divers protocoles sanitaires et la distanciation sociale pèsent fortement.

Les salles et les cuisines ont été entièrement fermées du 17 mars au 15 juin 2020. Les salariés de l’usine de production se sont retrouvés dans un système de roulement par équipes du matin ou du soir, et aucune ne s’est plus située alors sur les créneaux du déjeuner. Tous les salariés dont le poste le permettait ont quant à eux été placés en télétravail.

Une réouverture graduelle des restaurants

A l’issue du premier confinement, le 11 mai 2020, Elior a mis en place un système Click’nCollect, via une application locale (Time Chef), qui consiste à commander son repas à une certaine heure, et à aller le récupérer sur les différents points de collecte du site. Seule la restauration rapide de l’offre Paul était alors concernée.

Le 15 juin 2020, les restaurants d’Airbus Helicopters ont rouvert leurs portes, avec cependant une offre réduite : un plat de viande, un plat de poisson et un plat végétarien. « On a fait avec ce qu’on trouvait ! Les repas étaient composés avec les produits disponibles, car certains des fournisseurs étaient en chômage partiel, ou en difficultés. L’approvisionnement a retrouvé une stabilité depuis septembre 2020 seulement », nous dit Ludovic Le Bescond lors de notre seconde visite en avril 2021.

Le Click’nCollect s’est alors étendu à deux autres types d’offres de repas à emporter, rendus possibles et nécessaires à la fois grâce au retour des beaux jours, et à l’obligation pour les salariés bénéficiant d’un bureau individuel d’y prendre leur repas.

Une offre limitée et réglementée

Il existe donc actuellement trois types de restauration à emporter, mis en place par Elior et accompagnés par le CSE :

  • Offre Paul : composée de sandwiches et salades, cette offre touche environ 100 personnes par jour
  • Offre des terrasses : le principe est celui d’une salade à composer soi-même, avec des ingrédients contenus dans des bacs, puis conditionnée dans une boite en carton biodégradable (financée par le CSE), et la possibilité d’aller manger sur les terrasses des restaurants, avec distanciation. Quelques 600 personnes par jour choisissent cette option.
  • Manger au bureau : le convive vient prendre son plateau classiquement, au sein du self, et le contenu du plateau est ensuite conditionné en boites en carton. Ce mode de restauration est obligatoire pour tous les employés possédant un bureau individuel, et concerne 150 personnes par jour en moyenne.

... et moitié moins de convives qu'avant

Quant à la fréquentation des salles de restaurant, elle ne concerne plus que 3 000 personnes par jour environ. « On est loin des 7 000 couverts habituels ! Depuis septembre, nous sommes revenus dans un fonctionnement à peu près normal, mais nous constatons une perte de la fréquentation du restaurant de 50 % », nous confient Ludovic Le Bescond et Marc Hervé, du CSE.

Les causes ? « Elle sont multiples. Tout d’abord, nous avons été contraints de réduire l’offre alimentaire proposée, car il faut dans les restaurants des flux de personnes sans interférence, les directions d’entrée et de sortie, de passage au self etc., devant être différenciés. Il y a eu, malgré les efforts déployés, pas mal d’insatisfaction des convives car l’offre est devenue plus faible et moins variée. Le micro-ondes est aussi interdit, donc les plats peuvent souvent être froids », nous explique Marc Hervé.

Sans parler de la convivialité, qui n’est plus au rendez-vous avec les règles de distanciation sociale. Ludovic Le Bescond estime que « ce qui nous a vraiment fait mal, ce sont les 8 m2 par convive imposés à la fin octobre. On est passé de 4 personnes à table à 2, et plus récemment, depuis ce 3e coup d’arrêt, des mesures se sont ajoutées, avec la nécessité de mettre un plexiglas entre les 2 convives seuls à la même table ». Difficile, dans ces conditions, de faire de la pause déjeuner un moment privilégié de socialisation. Elior multiplie donc les efforts afin que l’offre reste attractive, même si les convives ne mangent pas sur place, avec la mise en place des repas à emporter.

Un accroissement nécessaire de la main-d’œuvre

Une offre qui n’est pas sans coût supplémentaire pour le prestataire, qui a enregistré un accroissement de la main-d’œuvre.  Le CSE accompagne Elior, afin que le prix du repas à emporter ne soit pas supérieur au prix d’un repas consommé sur place. Et à chaque nouvelle mesure sanitaire s’ajoute des contraintes : « Il faut un service assisté pour chaque service, pour le moindre morceau de pain ou de sucre ! Donc du personnel en plus, comme pour la désinfections des tables, et maintenant le nettoyage des plexis. Les moyens sont démultipliés, mais pas dans l’offre culinaire. Les effectifs sont variables en fonction de l’activité, mais nous avons l’obligation de faire tourner les équipes au chômage partiel, car 84 % du salaire, cela commence à se sentir au fil des mois ! Il faut donc aussi augmenter la polyvalence des équipes. Bref, rien n’est simple », nous raconte Ludovic Le Bescond.

Malgré tout, les projets en faveur du développement durable continuent et s’adaptent, comme la mise en place de l’utilisation de tote bag pour les repas à emporter, avec une offre promotionnelle : si la personne revient avec son sac, une remise de 5 centimes d’euro sur le repas sera effectuée. A l’étude également : des contenants consignés en verre, ainsi que des couverts réutilisables, avec un système d’automates pour récupérer les contenants. Ces projets devraient être déployés d’ici le mois de juin.

« Les comportements changent, et vont changer, et si on veut retenir nos convives, nous devrons nous adapter et nous réinventer »

Si pour Marc Hervé, la situation est transitoire et qu’il n’a aucune crainte sur un retour à la normale pour la sortie de crise, Ludovic Le Bescond est plus nuancé. « Des accords sur le télétravail, qui étaient en cours, se sont grandement accélérés. Cela change les habitudes de consommation des personnes, et il est très compliqué d’avoir une offre pour les télétravailleurs. Une solution de repas à emporter la veille pour le lendemain est en réflexion. Les solutions de repas pour les télétravailleurs ne sont pas évidentes ici, contrairement aux grosses agglomérations, car les employés habitent souvent à 30 ou 40 km du site, donc il est très difficile d’effectuer des livraisons, et encore plus si on souhaite qu’elles se fassent à vélo ! Cette habitude de télétravail s’instaure, une à deux fois par semaine pour les salariés dont le poste le permet, et il n’y aura sans doute pas de retour en arrière. On ne retrouvera pas un fonctionnement normal. Nous réfléchissons à une prestation pour le soir, et il va falloir effectuer une réfection de nos offres, et voir comment nous allons pouvoir continuer à proposer des services. Les comportements changent, et vont changer, et si on veut retenir nos convives, nous devrons nous adapter et nous réinventer ».

Claire Marlange