restauration collective responsable
Tendre vers le zéro plastique en restauration collective : réflexion, concertation, action
Les collectivités poursuivent leur forte mobilisation autour de la suppression des contenants alimentaires en plastique. Selon un rapport de 2020 de l’association des maires de France, ils ont déjà été bannis par 54 % d’entre elles. Une solution est donc à trouver pour les autres, qui se posent encore beaucoup de questions. Quelques retours d’expériences.
Avec, chaque année, autour de 365 millions de tonnes produites, le plastique est devenu le troisième matériau le plus fabriqué au monde. L’arrivée des conditionnements en plastique dans les années 80 a permis de réduire les TIAC (toxi-infections alimentaires collectives), mais aussi les TMS (troubles musculo-squelettiques). Et nous ne nous sommes pas posé davantage de questions. Aujourd’hui, les preuves sont là. Des plastiques peuvent contenir des substances reconnues nocives comme des perturbateurs endocriniens. La migration des molécules de synthèse (additifs, dont les bisphénols) dans l’alimentation est favorisée par la chaleur. Le phénomène est aggravé en cas d’usure des plastiques. Le temps est à l’action et pas uniquement pour des raisons réglementaires.
Réemploi, la démarche s'accélère
Les initiatives en faveur du réemploi se multiplient sur tout le territoire. Parmi les programmes les plus aboutis, RECOLIM pour le REemploi des COntenants alimentaires, dans les restaurants scolaires franciliens. Démarré en 2019, pour anticiper la loi EGAlim, celui-ci est né de la rencontre entre Uzaje, une entreprise de l’économie sociale et solidaire, avec trois syndicats intercommunaux de restauration collective franciliens, le Siresco, le Sivuresc et le Syrec, tous les trois membres du groupe de travail national piloté par l’association Agores sur la recherche d’alternatives aux conditionnements en plastique. Des expérimentations grandeur nature qui ont permis de pointer diverses problématiques.
Fermeture des contenants et lavage des produits, deux problématiques à prendre en compte
Ainsi, la fermeture des contenants à l’aide de couvercles réemployables n’étant pas automatisée, contrairement au scellage des barquettes en polypropylène, la durée de conditionnement a été multipliée par deux. L’opacité des couvercles entraîne une plus grande difficulté à identifier le produit, notamment en phase d’allotissement. Des joints de couleurs différentes pourraient constituer une solution. Le remplacement des poches sous-vide par des contenants inox augmente peu la charge de travail de lavage en fin de service, essentiellement pour le nettoyage des couvercles. Par contre, pour les restaurants initialement livrés en barquettes à usage unique, le lavage constitue une nouvelle charge de travail évaluée entre 1 h 30 et 2 h. Lorsque ces derniers n’ont ni la place, ni le personnel nécessaire, l’externalisation du lavage peut être envisagée.
Quid des kilomètres et de la pollution qui va en découler ? « Nous maillons le territoire d’infrastructures de lavage optimisées pour consommer le moins d’énergie et d’eau possible. Les bacs font moins de 30 km, précise François Satin, directeur commercial restauration chez Uzaje. Plus d’une centaine de produits en inox, en verre et même en plastique sont acceptés par les équipements de lavage. Avoir des modèles de contenants identiques est impératif pour développer le réemploi. Il s’agit de rendre possible les échanges entre différents acteurs d’un même secteur. »
Cas à part, celui du portage à domicile
Il n’a lui d’autre choix que l’emploi de contenants réutilisables au plus tard le 1er janvier 2022. « Cet amendement à la loi Agec s’est fait sans collaboration avec les intervenants, rappelle Paul Tronchon, président fondateur de Saveurs & Vie. Aucune souplesse ne nous a été accordée et ce segment étant peu représenté par les syndicats professionnels, nous avons dû travailler sur des solutions, mais pour le moment le choix n’est pas encore tranché. Avec le verre par exemple, subsiste le problème de fermeture hermétique, il faudrait un système plus industriel. »
Comment les destinataires ont-ils perçu le changement ? « Notre clientèle, constituée de personnes handicapées ou âgées, a bien perçu le réemploi. Ces dernières apprécient, elles ne sont absolument pas dérangées par le fait de devoir faire la vaisselle et elles sont en faveur de la consigne, un système qu’elles ont connu dans leur jeunesse. Afin de réduire les temps de stockage de vaisselle sale aux domiciles des personnes et de garder une compétitivité par rapport aux autres acteurs de livraison de repas à domicile qui ne sont pas soumis à cette législation, j’ai pu discuter de la fréquence de livraison. »
La restauration d'entreprise, elle aussi engagée
La restauration d’entreprise, sans pour autant être dans une obligation réglementaire, s’engage aussi vers la sortie du plastique et opte volontiers pour le réemploi, comme le confirme Catherine Rouanet, co-fondatrice de NoWW (No Waste in my World), une start-up de l’économie sociale et solidaire, qui se positionne sur toute la chaîne de valeur du réemploi des contenants consignés.
« Si l’on prend le cas d’une cafétéria d’entreprise, le fait d’installer des bornes dans lesquelles peut être déposée la vaisselle sale, peu importe la taille et la forme, simplifie le parcours client. Impensable de les rapporter à la caisse, ni d’encombrer les poubelles du restaurant. On est dans le domaine du ressenti, la poubelle remplie au bout d’un repas, ce n’est plus possible. On note une réelle prise de conscience des consommateurs dans le cadre de la réduction des déchets. Pour un restaurant, s’engager dans une telle démarche peut constituer un axe différenciant et une façon de fidéliser une clientèle qui a souvent beaucoup d’offres de restauration à proximité. Une étiquette personnalisable rappelle aux consommateurs finaux que le contenant est consigné et qu’il sera lavé pour réemploi. Différents “rendus consigne” sont possibles : compte fidélité, bons d’achat, don à une association... On peut tout envisager. » Histoire de boucler la boucle, les contenants sont collectés et lavés par des personnes en recherche d’insertion, localement, s’il n’y a pas de possibilité de lavage sur place.
« Le réutilisable est l’avenir du conditionnement et il faut tout faire pour faciliter sa mise en place, estime Shu Zhang, CEO et cofondatrice de Pandobac. Comme ils ont peur de faire le mauvais choix, des dirigeants ne bougent pas et ne seront pas prêts pour les prochaines échéances, alors qu’ils peuvent se faire accompagner par des acteurs de l’économie sociale et solidaire, dans leur transition vers des modèles réutilisables, depuis l’étude en amont (faisabilité, coûts...) jusqu’à la mise en place. »
Et l'option barquettes ?
Une fausse bonne idée ?
L’emploi de barquettes en bambou, en feuilles de palmier... déchaîne les passions. Il n’y a pas encore si longtemps, nous les pensions au-dessus de tout soupçon. Les résultats récents, puisqu’ils datent du printemps 2021, de l’association 60 millions de consommateurs, ne vont pas dans ce sens. Dans les produits testés, les analyses ont fait apparaître la présence de composés perfluorés, pour permettre à la vaisselle de résister à l’eau et aux graisses, des dérivés chlorés, des résidus de pesticides ou encore des métaux lourds. Des substitutions qui peuvent donc s’avérer contre-productives, voire dangereuses pour l’environnement et la santé humaine.
Il est de fait impératif d’utiliser des matériaux connus et documentés quant au risque sanitaire. Si, pour certains, le marché en matière de conditionnements alimentaires vertueux va proposer à terme de nouvelles alternatives vertueuses, d’autres pensent au contraire, qu’il est inutile d’aller plus loin dans la recherche, puisque de toute façon les plastiques seront interdits en 2040.
Une solution aujourd'hui viable ?
À l’automne 2021, il est toutefois possible de trouver des contenants qui répondent aux exigences sanitaires, environnementales et des professionnels de la restauration collective. « Nos barquettes PP pour la restauration collective sont 100% recyclables, conçues pour les applications froides ou chaudes, précise Jean-Luc Joulaud, directeur de Rescaset. Nos barquettes GN en cellulose moulée haute pression compostables sont issues de ressources renouvelables (forêts labellisées FSC). Elles offrent un scellage étanche et une parfaite résistance à l’eau et aux graisses grâce à la présence d’un film intérieur compostable. Elles peuvent donc être éliminées directement, sans tri préalable, avec les bio déchets. Nos barquettes sont fabriquées en Europe, dans nos usines ou des usines partenaires, la traçabilité est assurée. Elle ne contiennent ni de composé fluoré, ni de pesticides, ni de bisphénol. Si en France, nous devons répondre à beaucoup de règles d’interdiction, d’autres pays sont moins rigoureux. »
En février 2019, la première ville de France qui ait adopté, pour ses 86 restaurants scolaires, des barquettes biocompostables en cellulose végétale, 100 % valorisables a été Montpellier. « Nous avons adopté une approche systémique, évoque Luc Lignon, directeur de la politique alimentaire à la ville de Montpellier. Cette démarche fait partie de la politique engagée par la ville. Nous n’avons pas attendu la loi EGAlim pour agir, puisque nous avons construit notre propre projet innovant en 2015. Cette loi a boosté cette orientation. Dès 2016, nous avons géré le tri des bio déchets sur nos restaurants. Ces derniers sont ensuite valorisés dans l’usine de méthanisation Améthyst de Montpellier et transformés en biogaz ou compost pour le secteur agricole. »
« Seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin »
De multiples acteurs
Ce proverbe africain résume parfaitement le principe d’intelligence collective. Plus que l’addition d’intelligences, elle permet de faire naître des solutions inédites lorsque des personnes possèdent chacunes une partie de l’information, ou des compétences spécifiques. Dans le cas de la suppression des contenants plastiques, les acteurs sont multiples. Parmi les acteurs phares, les industriels. Le marché du contenant réemployable pour la restauration collective est considérable et puis d’autres restrictions vont certainement suivre. Des industriels mettent donc les moyens en recherche et développement. Le travail sur la réduction du poids des contenants en verre et une solution de fermeture qui impacte peu le poids total est bien avancé.
Autres compétences à intégrer, celles des scientifiques. Impulsé par le SIVU de Bordeaux-Mérignac, un programme de recherche interdisciplinaire est ainsi en cours d’élaboration, réunissant des épidémiologistes, chimistes des matériaux, ingénieurs agroalimentaires, sociologues, etc., de l’université de Bordeaux et de centres de recherches Inserm et CNRS. Ce consortium intitulé Rescosafe souhaite générer des productions scientifiques autour des enjeux de restauration collective et d’alimentation durable au sein de l’université de Bordeaux.
Les échanges avec les fédérations et les associations de parents d’élèves doivent se poursuivre. Leur voix a compté et elle continue de compter. Selon Christophe Simon, directeur général du SIVU de Bordeaux-Mérignac, « c’est bien sous la pression des parents que nous avons débuté en 2018 notre réflexion sur les plastiques et il n’y avait pas de parcours fléché à l’époque. Aujourd’hui encore il faut se nourrir des expériences des autres. »
En Île-de-France, plusieurs possibilités
Effectivement, cela aurait été trop simple, il n’existe pas de solution clés en main. Dans une interview publiée le 11 octobre dernier par notre confrère 20 Minutes, Audrey Pulvar, adjointe à la maire de Paris en charge de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts, affirme: « Nous supprimerons le plastique en restauration collective d’ici à 2026. »
Quels types de solutions sont envisagées ? « Les possibilités sont diverses. Les gestionnaires de chaque arrondissement multiplient les expérimentations et nous font des retours. Nous regardons, essayons, comparons, et certaines ressortent. Par exemple, dans certaines écoles du 12e arrondissement, le plastique a été supprimé des plateaux. Mais un verre en verre, un bol ou une assiette en porcelaine, cela pèse. Ils ont donc été remplacés par un plateau unique, en inox, alvéolé... Nous utilisons déjà des emballages fabriqués à partir de déchets organiques recyclés. Pour les barquettes de repas que nous utilisons dans le cadre des repas à domicile, ou pour les pique-niques de sorties scolaires, il y a plusieurs possibilités pour remplacer le plastique : la fibre de bambou, la fibre de banane. Nous envisageons aussi le chanvre. Nous bénéficions d’une filière d’excellence de chanvre en Île-de-France. C’est une piste à explorer. »
A chacun sa voie pour innover
Lorsque l’on reprend l’objectif du projet Recolim, il est bien question de déployer à grande échelle une alternative aux contenants en plastique, dans des unités centrales de production spécifiques aux problématiques en Île-de-France. Même constat pour Luc Lignon, petit-fils d’agriculteur : « La meilleure action pour mon territoire a été la valorisation des bio-déchets, parce que nous avons l’usine de méthanisation. Nous aurions peut-être envisagé une autre option si nous ne l’avions pas eue. Notre démarche va dans le sens du pacte de Milan que nous avons signé avec plus de 200 villes, réunies autour de trois engagements principaux : préserver les terres agricoles, favoriser les circuits de proximité et ne pas gaspiller l’alimentation. À chacun sa voie, il ne faut pas uniformiser la restauration collective. »
« Le côté positif de la loi c’est de nous pousser à aller vite, reconnaît Paul Tronchon, mais la trajectoire est trop rapide. Les consommateurs seront sensibles à l’effort d’innovation que nous mettons en place et rendrons le modèle économique possible en acceptant de payer un peu plus cher le service associé. En B to C, nous pouvons augmenter les prix et créer un segment premium. » La gestion doit s’effectuer de manière globale, avec néanmoins une analyse détaillée des coûts et des surcoûts finaux et globaux et la répartition et l’acceptation de leur charge sur les différents acteurs de la filière, jusqu’au consommateur final.
« La restauration collective est un cheval de Troie, assure Christophe Simon. Elle est un terrain d’études, nos expérimentations sont regardées à la loupe, même par l’Ademe. La santé, l’environnement... la restauration collective est le creuset de tous ces sujets. Elle ne doit pas passer à côté de cette aventure extraordinaire. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière mais d’un bon en avant. La restauration collective est au carrefour d’une révolution. »
Qu'en est-il du rendu dans les assiettes ?
Selon les premiers résultats d’expérimentations menées dans le cadre du programme Recolim, les contenants inox offrent une bonne tenue à la cuisson sous vide et permettent une qualité du produit fini identique à celle obtenue par la cuisson en poches plastique. Une adaptation des cuissons en cuisine centrale sera nécessaire pour certaines préparations qui ont tendance à recuire dans les contenants réemployables (par exemple la purée). La température des contenants en verre à la sortie du four et leur inertie importante peut engendrer un risque de brûlure. En revanche, ce matériau garantit un meilleur maintien en température pendant le service.
Controverse sur la cellulose
Composée de 98 % de bois, de dérivés du pétrole pour imperméabiliser et d’un film plastique scellable à 130 °C, son autorisation fait débat. Un rapport du CNA publié le 10 mars 2021 concernant l’adoption de l’avis N°87 indique notamment : « Il n’y a pas, à date, de “contenant alternatif à usage unique” qui ne soit pas en plastique et qui puisse être utilisé en restauration collective. »
Hélène Dorey