Les ingrédients du changement - Le maraîcher bio des chefs

Le 15/11/2021

Passionné par les légumes depuis son plus jeune âge, Nicolas Jardin lance son activité de maraîchage bio en 2018 à Neuvillalais (Sarthe). Il a la chance (elle ne sourit qu’aux audacieux) de faire des rencontres décisives :  Alain Passard, Jean-Sébastien Monné, William Ledeuil, tous chefs étoilés.

Il se forme chez le premier, les deux autres deviennent rapidement ses clients. Accompagné pendant 18 mois par la Coopérative d’installation en agriculture paysanne (CIAP), il prend le temps de transformer sa passion en métier et crée en janvier 2020 “Les Jardins de Nicolas”. Depuis le début, il propose également ses produits à une clientèle grandissante, du village et des communes environnantes. S’il a longtemps utilisé une partie de son garage pour cela, il dispose depuis juillet 2021 d’un espace dédié à la vente.

Nicolas, même si votre patronyme vous prédestinait à devenir ce que vous êtes, vous n’avez pour autant pas eu un parcours linéaire

En effet, même si je fais pousser des légumes depuis que j’ai 10 ans et que j’en ai toujours fait profiter mon entourage, ma famille m’a plutôt dissuadé d’en faire mon métier. Comme j’avais de bons résultats à l’école, j’ai été encouragé à poursuivre des études : bac horticole d’abord puis un BTS Comptabilité et gestion agricole ensuite. J’ai débuté ma carrière dans une ferme expérimentale en nutrition animale, mais ce n’était pas mon truc. J’ai travaillé ensuite deux ans en cuisine dans un restaurant gastronomique, puis 5 ans comme conseiller financier dans une banque !

En 2017, je me suis cassé le pied en jouant au football. J’ai été immobilisé 4 mois. Ça m’a donné le temps de réfléchir à ce que je voulais vraiment faire de ma vie. C’est à ce moment que j’ai décidé de m’orienter professionnellement vers le maraîchage bio.

Quels mots résumeraient le mieux votre parcours ?

Je dirais passion et valeurs. J’aime ce que je fais et j’aime le partager. Je m’emploie avant toute chose à être en accord avec mes convictions et à transmettre ce que j’ai moi-même reçu. Je m’applique à satisfaire mes clients avec le même degré d’exigence, qu’ils soient restaurateurs ou particuliers. Et au-delà de cultiver des légumes et de les vendre, je cherche à valoriser des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, à avoir un impact positif sur la santé des gens, à créer du lien social sur mon territoire. J’aimerais un jour fournir également la cantine de l’école du village en légumes frais.

Je ne cherche pas à devenir riche, mon ambition est de continuer à vivre de mon métier sans augmenter la taille de ma surface cultivée. Rester à taille humaine, c’est important. Cela passe par des améliorations techniques et une recherche permanente d’efficacité, dans mes interactions avec le sol, le choix des variétés de légumes, la planification des cultures, les conditions de récolte.

A quels changements êtes-vous confronté dans le cadre de vos activités ? 

C’est une prise de conscience cruelle pour nombre d’agriculteurs qui sont par ailleurs entravés dans leur capacité de transition par leur niveau d’endettement et l’orientation productiviste du système de subventions.

Depuis plusieurs années, l’agriculture des pays dits développés est confrontée à une double problématique : des enjeux environnementaux d’une part et de santé publique d’autre part. Et de manière paradoxale, ces deux défis découlent du besoin de nourrir le monde au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L’agriculture traditionnelle a été entraînée vers un mode de production intensive, à grand renfort de technologie et de chimie, au détriment de l’environnement et de la santé des consommateurs.

De leur côté, les consommateurs cherchent à influencer par leurs comportements d’achat l’ensemble des acteurs de la filière. Ils veulent « bien manger » et réclament une transparence et une traçabilité plus importante pour garantir la qualité et la saveur des produits. 

Cette tendance s’est d’ailleurs accentuée avec la crise de la Covid. Le bio et les circuits courts en ont profité. Il est de plus en plus important pour le consommateur de mettre un visage sur un produit. La vente directe – c’est-à-dire la relation sans intermédiaire entre le producteur et le client – permet de tisser et de renforcer avec le temps un lien de confiance. Le consommateur a les moyens d’être rassuré sur le mode de culture et de récolte des produits.

Pour ce qui me concerne par exemple, tous les légumes que je vends passent par mes mains. Je suis acteur de bout en bout de la qualité et du goût de mes produits. Mes clients (restaurateurs ou particuliers) peuvent m’interroger et me faire des retours à tout moment.

Pour revenir à votre question, je dirais que le changement c’est ce qui se passe autour de nous et ce que chacun en fait. Le changement c’est une prise de conscience. C’est une disposition d’esprit, il faut être ouvert sur le monde pour capter ce qui se passe et y apporter une réponse.

Comment passer de l'intention aux résultats ?

Le changement est inéluctable, alors mieux vaut s’y préparer que de le subir. Quand je me suis installé, un de mes voisins m’a demandé « tu crois que ça va marcher ? », je lui ai répondu « tu crois que les gens mangent des légumes ? ». Le confort de la routine, c’est l’ennemi du changement. Oser la remise en cause, anticiper, aller de l’avant, c’est éviter d’être dépassé.

Lorsque j’initie quelque chose, je ne me demande pas si je vais réussir mais comment je vais y parvenir. Je ne me lance pas tête baissée, je balise mon chemin, je prépare mon entreprise.

Les appréhensions sont naturelles face à l’inconnu et l’incertitude. Il faut donc développer une vision, passer en revue tous les risques et scénarios plausibles, identifier les réponses possibles. Mais surtout, il faut accepter de se remettre en cause et rester flexible pour ajuster avec lucidité son plan d’actions face à la réalité du terrain.

Quelles sont, selon vous, les urgences de changement ? 

D’autre part, et comme évoqué plus tôt, le consommateur doit disposer d’informations simples, claires, sans ambiguïté pour qu’il puisse s’orienter dans ses choix alimentaires. Le bio ne rime pas nécessairement avec saveur, et le local ne veut pas toujours dire sain.

De mon point de vue, l’urgence réside dans l’aide à apporter aux agriculteurs dits conventionnels pour faciliter leur transition vers le bio. Pas des aides permanentes, ce qui reviendrait à maintenir artificiellement la viabilité de ce mode de culture, mais des aides ponctuelles et ciblées pour sécuriser leur conversion. Je pense à un accompagnement financier, mais également à des parcours de formation.

Le consommateur doit pouvoir se repérer en fonction notamment du mode de production (bio ou conventionnel), de la provenance et de la saisonnalité du produit, de sa valeur nutritive, sans oublier sa qualité gustative. Il faut créer des labels qui prennent en compte l’ensemble de ces dimensions.

Pourriez-vous nous raconter une histoire personnelle marquante de changement ?

Cet accident qui m’a immobilisé 4 mois en 2017 est assurément l’événement qui m’a fait basculer. À toute chose malheur est bon. Mais tout était en gestation depuis bien longtemps. Cet événement n’a été que le déclencheur de mon projet.

Et ce qui m’a permis de réussir mon entreprise, c’est le temps que j’ai eu pour y réfléchir et la mettre en oeuvre, ma soif d’apprendre, les rencontres que j’ai faites, l’accompagnement pas à pas dont j’ai bénéficié. Sans tous ces ingrédients, cela n’aurait sans doute pas été possible.

 

Philippe Prunier

Enseignant à l’ESSEC et à l’ESCP, consultant spécialisé dans le pilotage de projets complexes et la conduite du changement, Philippe Prunier accompagne les PME, PMI, ETI dans leurs réflexions stratégiques et la mise en œuvre des évolutions à apporter (chaîne de valeur, modèle opérationnel, fonctionnement des équipes). 

Retrouvez sa dernière chronique sur Les ingrédients du changement : Anticiper pour ne pas subir, innover pour survivre

Philippe Prunier