restauration collective responsable
Food ambitions, une journée pour l'avenir alimentaire
L’avenir alimentaire ? C’est le sujet que de nombreux acteurs de la restauration abordaient au Palais de Fervaques, à Saint-Quentin, le 2 mars dernier, à l'occasion de la première édition de Food ambitions, une journée consacré aux enjeux et stratégies de l'avenir alimentaire. Projet « chef d’œuvre séminaire » piloté par les CAP en hôtellerie-restauration de la section hôtelière du Lycée Colard Noël en collaboration avec l’Agglo du Saint-Quentinois, l’implication et l’investissement des jeunes donnaient à cette journée de séminaire une dimension toute particulière.
C’est aussi bien l’avenir de l’alimentation et de la restauration que celui des jeunes qui ont pu être abordés au cours de cette journée de conférences. Une journée qui s’est déroulée en deux parties, conférences le matin et ateliers l’après-midi, avec entre les deux un cocktail déjeunatoire proposé par les jeunes du CAP hôtellerie-restauration, belle mise en pratique des savoir-faire et savoir-être qui leur seront professionnellement demandés. « Un chef d’œuvre qui répond parfaitement aux évolutions de la profession » comme l’affirmait Anne Brasseur au cours de la matinée.
Quels défis pour la restauration et le territoire ?
Frédérique Macarez, Maire de Saint-Quentin et Présidente de l’Agglo du Saint-Quentinois, Jasmine Oven, Proviseur du lycée Colard Noël, Agnès Potel, Vice-présidente en charge des politiques de Développement Durable et de l’environnement, ont introduit la journée avec des mots forts. Pour revenir sur les besoins constants de main d’œuvre, dans la production et la fabrication de produits alimentaires comme dans le service, sur la sensibilisation nécessaire à la lutte contre le gaspillage alimentaire, notamment dans le contexte législatif. Difficile en effet d’aborder l’avenir de l’alimentation sans évoquer en même temps, les dernières lois qui concernent la restauration, EGAlim et AGEC. Mais en termes de gaspillage et de tri, les collectivités comme les professionnels sont également concernés par la loi anti-gaspillage qui leur impose de mettre en place un tri à la source des biodéchets dès 2023, ce qui demandera un effort supplémentaire, des équipements et une réelle adaptation. Avec le réseau REGAL, les cantines du territoire mettent déjà des expérimentations en place pour répondre à toutes ces demandes.
Un autre engagement est pris à l’échelle du territoire pour le faire vivre et réfléchir : le Projet d’Alimentation Territorial. Il rassemble déjà 49 partenaires, avec la volonté de réunir le plus grand nombre d’acteurs du territoire autour de l’alimentation et sensibiliser le plus de personnes possibles.
S’interroger sur l’avenir alimentaire, enfin, c’est également s’interroger sur l’avenir des jeunes de l’hôtellerie-restauration, présents en nombre lors de cette journée de réflexion et qui ont fait de ce séminaire un projet pédagogique d’envergure.
Une matinée pour explorer les mutations de la restauration
Anne Brasseur, Inspectrice de l’Éducation Nationale en charge de la filière hôtellerie-restauration, a ensuite introduit les propos de Bernard Boutboul, président de Gira Conseil et consultant en Hôtel Café Restaurant, expert de la restauration depuis plus de 30 ans.
Pour Bernard Boutboul, la restauration traverse une période de mutation profonde qui n’a rien à voir avec la crise sanitaire de la Covid, et qui a commencé plusieurs années avant 2020. Par définition, ce secteur est en perpétuelle évolution, notamment parce que c’est un des seuls secteurs où l’offre et la demande varient en même temps.
Du côté de la demande, les dernières phases de mutation ont pour conséquence une forte exigence de transparence de la part des consommateurs qui veulent voir le plat se faire sous leurs yeux. Plus de transparence, également, du côté de l’origine des produits, de leur qualité, de leur fabrication, et cela va de pair avec une forte attente d’engagements de la part des restaurateurs. Récemment, une troisième attente vient compléter ces éléments : l’envie de vivre une expérience en allant au restaurant. Cette attente est si forte et à tel point croissante, selon Bernard Boutboul, que viendra un jour où seuls les restaurants qui proposent de vivre une expérience tridimensionnelle (le lieu, l’assiette, le personnel) existeront encore. Les autres seront digitalisés, livrés à domicile ou en vente à emporter.
On observe une dichotomie entre ce que les Français mangent chez eux, leur mode de vie « à la maison », et ce qu’ils recherchent en allant au restaurant. Si on fait attention au domicile à avoir une alimentation saine, pas trop sucrée ni trop grasse, c’est l’inverse qui prime au restaurant, moment exceptionnel où l’on peut bien se lâcher pour se « faire plaisir ».
En termes d’évolution et de réinvention, l’offre n’est pas en reste. Deux nouveaux profils de restaurateurs se sont faits leur place dans le secteur au cours des dernières années, des acteurs innovants qui viennent bouleverser ce même secteur :
- La bistronomie, des pointures d’école hôtelière qui détournent les codes de la haute gastronomie en proposant une cuisine proche du consommateur, avec un style vestimentaire détendu et des cartes courtes qui changent régulièrement.
- Des restaurateurs qui ne viennent pas du monde de l’hôtellerie-restauration mais plutôt des grandes écoles de commerce et modifient, eux, le modèle économique classique du restaurant.
Quelles tendances pour demain, pour les restaurateurs ? Le sens et la transparence, le goût dans le respect des produits et des saisons, le vrai dans la convivialité, le plaisir et le partage.
Comment penser l'avenir de la restauration ?
Après ce tour d’horizon des mutations en cours ou à venir dans la restauration, les participants se sont répartis en quatre ateliers. Pour chacun d’entre eux, l’objectif était de réfléchir ensemble à comment penser l’avenir de la restauration sur un sujet précis :
- L’évolution des formations en hôtellerie-restauration : les pratiques enseignées à l’école sont-elles adaptées au marché du travail ? avec Bernard Boutboul, président de Gira Conseil et consultant en Hôtel Café Restaurant
- L’avenir de la restauration commerciale : devra-t-elle être écoresponsable pour fonctionner ?
- La précarité alimentaire : où en est-on sur le territoire saint-quentinois ? avec Florence Hachez-Leroy, maîtresse de conférences HDR, Université d’Artois
- La restauration sociale : quelles évolutions pour la restauration collective ? avec Laurent Terrasson, directeur de L’autre cuisine.
La restauration sociale : quelles évolutions pour la restauration collective ?
Ce temps consacré à la restauration collective a permis de la resituer dans le paysage de la restauration. Hors domicile et très hétérogène, elle se distingue de la restauration commerciale par deux aspects :
- Un public défini et captif : les personnes extérieures au lieu concerné n’ont pas accès à la restauration en question (sauf pour les restaurants d’entreprises où jusqu’à 10 % des personnes peuvent venir de l’extérieur).
- La responsabilité des collectivités : ce sont les collectivités qui gèrent ces restaurants collectifs, ou qui en sont responsables en cas de gestion concédée.
Il y a aujourd’hui 101 521 restaurants collectifs en France, qui correspondent à 55 000 sites de production alimentaire (un site peut fournir plusieurs restaurants). Deux grands syndicats rassemblent ces restaurants collectifs, le SNRC et le SNERS. Quatre sociétés de restauration dominent le marché, Elior, Sodexo, Compass et API Restauration.
Ce secteur était très rentable jusqu’à il y a peu mais est actuellement traversé par de nombreux bouleversements, de nombreuses mutations, tout comme la restauration dans son ensemble. Ce n’est pas un hasard si la FNSEA, la CGI, GECO Food Service, La Coopération Agricole, Restau’Co, le SNERS et le SNRC ont récemment signé une tribune dans Les Echos pour interpeller les pouvoirs publics et affirmer : « La restauration collective est en danger ».
De quels bouleversements s’agit-il ? Les lois EGAlim et AGEC, images d’une restauration collective idéale, plus respectueuse de l’environnement, des agriculteurs, des convives, exigent des changements forts de la part des différents acteurs, ce qui représente naturellement un coût et demande un temps d’adaptation. Nouveaux équipements, nouveaux approvisionnements, renégociation des contrats, changement des prix à faire accepter aux convives… chacun fait face à ses propres défis.
A ce contexte législatif vient s’ajouter celui de l’inflation et de l’augmentation des coûts des matières premières en France et dans le monde, qui frappe naturellement l’ensemble du secteur. La guerre en Ukraine, l’incertitude européenne et les sanctions contre la Russie vont à présent renforcer les pénuries et l’ensemble de ces difficultés.
N'oublions pas, enfin, que la restauration scolaire, par exemple, est un modèle où les restaurants ne sont ouverts que la moitié de l'année, seulement à midi. Et si pour faire face à ces difficultés la raison d'être des restaurants collectifs évoluait ? Et si on les ouvrait aux précaires, en en faisait un outil de justice sociale ?