Toujours plus... avec moins ?

Le 20/12/2022

Si 2022 a été très mouvementée, 2023 augure de nombreuses difficultés pour le secteur de la restauration collective, en particulier pour la restauration scolaire.

Les températures baissent et tout le reste augmente : les denrées alimentaires, l’énergie, les transports, les ruptures d’approvisionnement, le manque de personnel et la recherche de compétences dans un secteur qui voit se développer les contraintes et auquel on demande, enfin, plus de qualité et de durabilité, comme si toutes ces contraintes et ces exigences étaient neutres sur le plan économique.

Tout augmente et aussi la précarité, comme celle des étudiants qui sont de plus en plus nombreux à fréquenter les restaurants universitaires, souligne Dominique Marchand, présidente du Cnous : « On constate 17 % d’augmentation d’activité (cldr : en octobre-novembre par rapport à la même période l’année dernière). Soit 1,5 million de repas supplémentaires distribués. Pour la seule année 2022, de janvier à fin octobre, nous avons déjà servi 27,6 millions de repas. La France est le seul pays au monde à proposer une restauration à tarif social à tous les étudiants »¹.

Mais alors comment peut faire la France pour préserver ce service social unique au monde ?

Surtout que, depuis les États Généraux de l’alimentation (2017), l’État s’attache à développer et à initier une restauration sociale de qualité. Les objectifs de la loi EGAlim (2018) et les contraintes environnementales accroissent la pression sur tout le secteur : fin des plastiques, par exemple. Les échéances se resserrent, les tolérances se réduisent, les solutions sont limitées. Déjà en ce début d’année, tout restaurant collectif se doit d’assurer la collecte et le traitement de ses biodéchets². Dans deux ans, le plastique devra avoir disparu³. Sans parler des efforts qui doivent être déployés pour atteindre les objectifs de 50% de produits de qualité dont 20% de bio dans les achats alimentaires.

Tout ce qui était envisageable en 2018 pour que la restauration collective devienne plus vertueuse est finalement, quatre ans plus tard, freiné par des crises sans pareilles qui s’accumulent : inflation, difficultés d’approvisionnement, manque de compétences, augmentation de l’énergie…

Mais alors, quelles vont être les solutions pour ce service public de la restauration collective sociale qui, depuis des années, n’a fait que rogner des centimes sur les prix de l’alimentation, sur les compétences des ressources humaines, allant jusqu’à discréditer son image en communicant essentiellement sur le prix « du coût denrée par repas » tellement bien négocié ? Non, la lutte contre le gaspillage alimentaire ne règlera pas tout. Et les acteurs du secteur, pour la grande majorité, agissent déjà sur ce sujet.

Face à ces conditions sans précédent, la présidente de région Pays-de-la Loire, Christelle Morançais, déclare : « Le quoi qu’il en coûte est terminé ». Résultat, de nombreuses collectivités ne veulent pas revoir leur contrat et donc refusent d’ajuster le prix de la prestation de restauration. Les petites sociétés de restauration sont dans une phase critique : « Nous sommes passés en mode survie ! »⁴ et les mois prochains seront déterminants pour eux. Même les grands acteurs du secteur « crient famine »⁵.

Dans certains cas, les conflits vont droit aux ruptures de contrats, comme nous l’avions annoncé dès juin 2022.⁶ Après la fermeture partielle de certains services de restauration, nous risquons de connaître des arrêts purs et simples de certaines prestations. Pour le secteur privé, des dépôts de bilan s’annoncent déjà pour le début de l’année.

Côté fournisseurs, la situation est identique, même si les trois circulaires et en particulier la dernière⁷ « va dans le bon sens »⁸ : celle-ci autorise, sous certaines conditions, la modification des contrats en cours.

Preuve de l’accentuation de ces difficultés, le taux d’appels d’offres infructueux dans les marchés d’approvisionnement ou de prestations, c’est-à-dire ceux pour lesquels l’acheteur ne trouve pas de réponse satisfaisante, ne cesse de croître et a explosé ces derniers mois. Pour les denrées alimentaires, il est passé de moins de 8% en 2018 à 23% sur le troisième trimestre 2022⁹ ; en d’autres termes, pratiquement un appel d’offres sur quatre ne trouve pas de réponse. Il faut ajouter à cela le fait que près d’un tiers seulement des marchés exécutables en 2023 vont pouvoir être renégociés. On comprend alors que certains patrons de sociétés de restauration adressent des courriers à leurs clients leur demandant de résilier les contrats en cours, ou que les acteurs de la filière s’adressent aux plus hauts responsables de l’État pour « obtenir 40 centimes d’euro supplémentaires par repas. »

Problème, l’État, même s’il apparaît de plus en plus concerné par ce secteur, n’a pas la compétence de la gestion de la restauration collective, en particulier scolaire. Seules les collectivités territoriales peuvent et doivent décider.

Mais les édiles semblent plus concernés par des questions d’infrastructures que par des questions alimentaires et de restauration scolaire, à l’instar de David Lisnard, président de l’Association des maires de France, qui préfère parler du rôle des ronds-points que des coûts du repas des enfants.¹⁰

Il reste donc un gros travail à faire pour convaincre les élus de l’importance du service de la restauration scolaire, avant qu’il ne s’interrompe complètement.

Si l’essentiel se décidera au cas par cas, localement, il est nécessaire d’initier une prise de conscience nationale, de mener des réflexions croisées sur le rôle de la restauration collective sociale, sur son mode opératoire basé sur les achats alimentaires, sur son modèle économique et ses objectifs, sur les compétences et l’organisation de la formation des emplois sociaux, sur la dimension de ce service public. Car comme me l’avouait discrètement le dirigeant d’une grosse société de restauration : « Nous sommes tous responsables de cette crise. Nous avons tellement tiré le prix de la restauration et de l’alimentation vers le bas. »

Pour ne pas s’enfermer dans un simple constat d’échec et imaginer des jours meilleurs, nous vous proposons donc, dans ce numéro, un bond en avant, et nous vous donnons rendez-vous avec les services de la restauration collective dans dix ans.

 

Sources : 

¹Les Crous constatent une fréquentation historique dans les restaurants universitaires, Ouest- France, 04/12/2022.

²Dès le 1er janvier 2023, tous les professionnels produisant plus de 5 tonnes par an de biodéchets ont l’obligation de trier leurs biodéchets et de les faire valoriser dans des filières adaptées. Cette mesure sera étendue à l’ensemble des acteurs professionnels, sans seuil minimum, à la date du 1er janvier 2024.

³Au plus tard le 1er janvier 2025, il sera mis fin à l’utilisation de contenants alimentaires de cuisson, de réchauffe ou de service de matière plastique dans les services de restauration collective d’établissements scolaires et universitaires, ainsi que des établissements d’accueil des enfants de moins de 6 ans. Dans les collectivités territoriales de moins de 2 000 habitants, cette mesure sera applicable au plus tard le 1er janvier 2028.

⁴Commentaire de Thierry Pompanon, directeur général délégué de SHCB, lors du Conseil d’administration du SNERS, 8 décembre.

⁵ et ¹⁰« Du rififi à la cantine », Gazette des communes, 18/11/2022.

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⁸Commentaire de Pierre Perroy, directeur des Affaires Economiques et Fiscales chez CGF-Confédération des Grossistes de France lors du Conseil d’administration du SNERS, 8 décembre.

⁹Source Vecteur Plus

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