Les ingrédients du changement - Ancrage et engagement territorial

Le 24/10/2022

Lydie Bernard est vice-présidente de la région Pays de la Loire et présidente de la commission Agricultures, agro-alimentaire, alimentation, forêt, pêche et mer, dite Commission 6. Après avoir répondu à l’appel de Bruno Retailleau en 2016, Lydie Bernard a poursuivi son action auprès de Christelle Morançais, confirmée présidente du conseil régional en 2021. Femme d’ancrage et d’engagement, sur le plan de l’agriculture et plus largement au service du territoire, Lydie Bernard est aussi : co-présidente déléguée de la Commission Agriculture de l’Association des régions de France (ARF) et première vice-présidente du Parc naturel du marais poitevin. Par le passé, elle a été membre du bureau de la chambre d’agriculture de la Vendée, a présidé le Syndicat professionnel Atlantic Conseil Élevage, sans oublier bien sûr son rôle d’entraîneur auprès du club de basket SMASH Vendée Sud Loire. Tout cela en parallèle d’une vie d’agricultrice puisqu’au milieu des années 80, Lydie Bernard a repris la ferme de ses parents avec sa sœur Guylaine.

Madame, avant de parler “changement”, il est peut-être utile de resituer le rôle d’élu(e) de région ; cette institution est somme toute encore récente dans sa recomposition et peut-être pas connue de tous.

Vous avez raison, la nouvelle organisation territoriale et les compétences actuelles des régions françaises ont été définies assez récemment, en 2015, par la loi NOTRe, dans le cadre du projet de décentralisation.

Avec cette loi, nous, les régions, avons la responsabilité de coordonner sur le territoire toutes les initiatives en faveur de l’économie. Comme le rappelle régulièrement Christelle Morançais, notre rôle premier est de créer du liant sur le territoire avant d’apporter des euros. Nous sommes là pour accompagner des projets, pour mettre en relation les acteurs concernés, faire en sorte qu’ils collaborent. Parce qu’un projet porté par l’ensemble des parties prenantes, a beaucoup plus de chance d’aboutir et de produire les résultats escomptés. Alors même si les défis sont nombreux, du fait d’une actualité compliquée depuis plus de deux ans, je m’épanouis pleinement dans mon rôle, dans une région à taille humaine et homogène.

Nous sommes la région la plus impliquée au niveau européen, très concernée par l’export. Au sein de ma commission, nous traitons de nombreux projets internationaux, nous travaillons avec trois ministères différents. Mes équipes sont très impliquées, j’ai vraiment de la chance. Christelle Morançais a fait le choix d’une organisation fondée sur les compétences, cela renforce la cohérence du groupe que nous formons autour d’elle. Le fait que chaque vice-président soit également président de commission est un atout considérable pour avancer.

Gérer aujourd'hui et demain de manière conjointe et simultanée

Le mot que j’associe spontanément au changement, c’est “transition”. En particulier la transition agro-écologique, sans opposer le conventionnel au bio. Il faut faire en sorte que les mots environnement et santé prennent une place de plus en plus importante dans les échanges entre acteurs. L’ agriculture conventionnelle et biologique ont toutes deux une actualité autour de l’environnement et de la santé, pour utiliser de moins en moins de chimie et de métaux lourds notamment. En tant que présidente de Commission, j’ai le devoir de faire prendre conscience aux services et aux élus qui m’entourent que cet aspect d’accompagnement des transitions est non seulement inéluctable mais devient une compétence indispensable. Nous avons besoin de nous interroger régulièrement sur la pertinence de nos choix face à la situation du moment. D’ailleurs, le saviez-vous ? Le conseil régional est impliqué dans près de 80 % du quotidien du citoyen. Notre mode de fonctionnement, notamment vis-à-vis de l’Europe, nous oblige à définir une stratégie à 3 ou 4 ans. Pour autant, nous devons tenir compte des réalités. C’est pourquoi nous nous sommes interrogés sur les impacts possibles de la guerre en Ukraine concernant notre plan de marche.
C’est le délicat exercice auquel nous sommes confrontés : fixer les contours d’une politique d’accompagnement à 3 ou 4 ans et adapter nos orientations pour tenir compte des situations rencontrées.

Prévoir est de plus en plus difficile. Si nous essayons d’identifier des facteurs de disruption qui peuvent remettre en cause notre modèle, nous ne pouvons pas toujours allouer de ressources en conséquence car justement, il n’est jamais possible de connaître le moment et l’ampleur de ces changements.

Un fonctionnement en mode ouvert

Il faut rester très humble. Nous enchaînons les crises depuis plus de deux ans, et même si elles faisaient partie du domaine du possible, nous devons reconnaître qu’il était bien difficile de les prévoir. Nous contrôlons somme toute bien moins de choses que nous ne le pensons.

Le XXIe siècle se caractérise par une accélération, une intensification et une plus grande imprévisibilité des composantes de notre monde, du fait des niveaux de plus en plus élevés des flux d’échanges entre les pays. À notre niveau, cela se traduit par un besoin accru d’agilité et de résilience.

Il faut que nous soyons capables d’ajuster notre politique pour faire face aux aléas - s’adapter au moment présent - tout en tenant compte des enjeux de moyen terme. Face à ces incertitudes, il nous faut développer notre capacité à réagir rapidement, disposer d’une vision et en même temps être agile par rapport à la ligne tracée.

Si je prends l’exemple de la grippe aviaire, cela fait 5 ans qu’elle touche notre pays. Nos élevages, contrairement à ceux d’Occitanie et de Nouvelle Aquitaine, étaient protégés jusqu’à présent. Nous avions souhaité anticiper les risques et accompagner les éleveurs en investissant dans la biosécurité. Malheureusement, pour la première fois cette année, les élevages ont été contaminés non pas lors de la migration descendante des oiseaux sauvages mais lors de leur remontée des pays du Sud. Vous voyez, même en anticipant, nous ne sommes pas à l’abri de changements qui provoquent des crises. Une fois cette crise passée, nous inviterons les acteurs de la filière à mener des réflexions.

Ne jamais se croire à l’abri, ne jamais renoncer ! Je crois beaucoup aux approches par expérimentation et c’est ce que nous faisons. Les modes de fonctionnement aussi doivent évoluer. L’approche pyramidale n’est plus adaptée. On ne peut plus cascader les décisions du haut vers le bas. Il faut se donner des marges de manœuvre à chaque étage pour :
- contextualiser les orientations à impulser,
- mettre en œuvre les solutions les plus efficaces,
- encourager les remontées terrain en retour et adapter nos approches en conséquence. Cela nécessite tout au long de la chaine de valeurs : plus d’esprit de coopération, d’ouverture, de flexibilité, et de sens des responsabilités.

Notre besoin de contrôle, nos peurs de l’incertitude, nos schémas de pensées sont sans doute ce qui freine le plus nos capacités d’adaptation. Mais j’en ai fait le constat, plus on partage, plus on se rassure mutuellement.

Facteur humain comme facteur d'accélération

Il faut poursuivre le questionnement de nos pratiques et de nos croyances issues des expériences passées.

Sous l’impulsion de Christelle Morançais, nous avons mis en place plus de transversalité entre les commissions. Cela oblige tout un chacun à étendre sa zone de confort, à développer son sens du collectif. Au-delà de notre propre fonctionnement au sein du conseil régional, il nous faut avoir des interactions plus fréquentes et plus fortes avec l’État, pour encore mieux cibler et augmenter l’efficacité de nos actions, à l’image des relations que nous avons développées avec les intercommunalités.

Autrement dit, il faut poursuivre et accélérer la mise en œuvre de la décentralisation.

Une histoire personnelle marquante de changement

J’ai envie de retenir deux expériences, très différentes, mais qui se rejoignent car elles ont comme point commun la relation à l’autre et la manière dont on peut toujours s’enrichir de nos écarts.

Comme vous l’avez évoqué, en 1984, nous avons repris la ferme de nos parents avec ma sœur Guylaine. Si nous nous sommes toujours fort bien entendues, force a été de constater que nous avions des modes de fonctionnement opposés. Je suis dans le détail et ma sœur dans le global. Inutile de vous dire qu’au début, cela nous a valu quelques tensions dans notre association professionnelle. C’est lors d’un stage de développement personnel que nous avons compris que nos fonctionnements n’avaient pas à s’opposer mais plutôt à se compléter.

À partir du moment où nous avons pris pleinement conscience de cette différence, le problème était réglé.

La seconde expérience s’est passée sur le continent africain, en marge d’un salon alimentaire auquel je participais avec une délégation française. J’ai eu la chance de pouvoir échanger avec des femmes agricultrices issues de milieux défavorisés. Nos différences d’environnement et de conditions de vie moins que les valeurs qui nous rapprochaient et le sentiment de sororité qui s’est dégagé de ce moment partagé m’ont marquée de manière indélébile.

Philippe Prunier

Enseignant à l’ESSEC et à l’ESCP, consultant spécialisé dans le pilotage de projets complexes et la conduite du changement, Philippe Prunier accompagne les PME, PMI, ETI dans leurs réflexions stratégiques et la mise en œuvre des évolutions à apporter (chaîne de valeur, modèle opérationnel, fonctionnement des équipes). 

Retrouvez sa dernière chronique sur Les ingrédients du changement : Entretien avec Audrey Pulvar

Philippe Prunier