En 2022, passons à table !

Le 03/01/2022

Depuis la rentrée, les débats autour de l’alimentation semblent n’avoir cessé de se multiplier, au niveau international comme au niveau hexagonal, à commencer par le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires qui a eu lieu à New York en septembre dernier, suivi des différents salons de grands chefs ou autres webinaires, débats et remises de prix, sans oublier Glasgow où les ONG ont exhorté nos dirigeants mondiaux réunis pour la COP26 à ce que l’impact de notre alimentation et de notre agriculture soit au cœur des discussions sur le changement climatique. Reste le Sommet mondial sur la nutrition en décembre à Tokyo. Tout ceci avant les fêtes de fin d’année...

Dans la même temporalité, le 103e Congrès des maires faisait pâle figure en effleurant la question de l’alimentation essentiellement par le prisme de la précarité et de l’éducation (sans la présence du ministère de l’Éducation nationale). Alors que les élus alertent les instances gouvernementales du développement des inégalités et des besoins croissants de l’aide alimentaire, en particulier chez les jeunes, rares ont été les mentions des services de la restauration collective, sauf pour glorifier telle ou telle action, généralement dans des petites communes.

Si, pour les élus, le triptyque agriculture / approvisionnements / restauration scolaire fonctionne, celui de l’alimentation / précarité / restauration sociale apparaît inexistant ; ou n’a même pas été imaginé ! Parallèlement, alors que la question des ressources budgétaires n’a cessé d’être mentionnée, force est de constater que la grande majorité des collectivités ne connaissent pas le coût réel de leurs repas à la cantine, un coût global qui comprend toutes les charges du service jusqu’aux amortissements, en commençant par les ressources humaines encadrant leur production et assurant le service des repas. Oh bien sûr, « le coût denrées » est évoqué, souligné, utilisé mais est-ce valorisant pour le service apporté par les collectivités? Est-ce faire preuve de lucidité et d’incitation que d’annoncer « un repas à 37 % de bio en moyenne dans les assiettes pour un coût denrées de 2,14 € par repas » ? Est-ce ainsi que l’on s’engage à soutenir une juste rémunération pour les agriculteurs, voire une valorisation des employés de la restauration collective, rappelons-le, dans une période où l’augmentation des coûts, énergie, transports et denrées alimentaires explose ?

S’approvisionner avec des produits de proximité et qualité, cela va sans dire, représente très certainement une partie de la réponse mais soulignons que la restauration scolaire ne fonctionne que de septembre à juin, période qui ne couvre pas les pics des productions agricoles “vivrières”. Pire encore, les chiffres macro-économiques récents présentent une tendance inverse. Comme l’indique l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) : « Les échanges mondiaux de produits alimentaires se sont accélérés et sont sur le point d’atteindre leur plus haut niveau jamais enregistré tant en volume qu’en valeur. » Et si l’on tourne la tête vers 2050, les étoiles, la conquête de l’espace, qui a déjà bouleversé notre civilisation avec ses protocoles (cf. HACCP) comme le proposent les grands millionnaires, de quels produits locaux parlerons-nous ? De produits hors-sols ?

Bien sûr, il faudra aussi lutter pour supprimer les emballages plastiques et se rapprocher du zéro gaspillage. Mais est-ce que ces objectifs sont réalistes? À en croire les instincts philanthropes de l’humanité, ce n’est pas vraiment le cas, car « la loi – économique – contre le gaspillage renie une éthique de la dépense dans laquelle l’humain devient humain aussi en détruisant des richesses plutôt qu’en les accumulant », dixit le philosophe Olivier Assouly (L’Autre Cuisine #12).

Si nous ajoutons à ces difficultés de jugement et de raison de la condition humaine, les échéances de la loi EGAlim imminentes ou encore les échéances environnementales menaçantes, n’est-ce point alors venu le temps, pour la restauration collective, de « déployer une grande inventivité » comme le propose Laurent Aron (page 22), d’imaginer des débats qui se concluent par des accords, de cesser les combats, les guerres de chapelle ou de cantines. 

« L’enjeu est d’interroger la complexité des systèmes alimentaires, du présent et du futur, dans différentes directions clés. » Nous avons besoin de bonnes idées, de belles initiatives. Il faut cesser d’opposer des contraires qui n’en sont finalement pas. Essayons plutôt d’ouvrir de véritables débats constructifs, sans craindre les controverses intelligentes qui cherchent à dire ce qui est, pour enfin regarder la réalité telle qu’elle est. Peut-être alors à partir de ces évidences pourrons-nous envisager un avenir alimentaire pour tous, plus serein, plus équitable, en un mot plus social et solidaire ?

Et comme les discussions ont plus de goût autour d’un repas, alors n’hésitons pas à passer à table, ensemble, collectivement !

Laurent Terrasson