Table ronde : Environnement - Défis & Controverses de la restauration collective

Le 29/10/2019

Les défis environnementaux de la restauration collective face à la loi Egalim ?

A l'aune des bouleversements climatiques, la question environnementale dans l'alimentation semble évidente à poser, en lienavec la production, la distribution et la transformation. Avons-nous actuellement les bons outils pour évaluer ces exigencesenvironnementales, et ces « coûts imputés aux externalités environnementales liées au produit pendant son cycle de vie » ?

 

Participants à cette table ronde :

Cédric Prévost, sous-directeur de la politique de l’alimentation, ministère de l'Agriculture

Frédérique Lehoux, directrice du GECO Food Service

Nathalie de Noblet-Ducoudré, chercheuse (GIEC- CEA)

Caroline Faraldo, FNH, responsable Agriculture et Alimentation

Florence Denier Pasquier, administratrice de France, nature, environnement, membre du CESE, section de l’agriculture, de lapêche et de l'alimentation, et section de l’environnement

Jean-Marc Lévêque, directeur du développement durable chez Triballat Noyal, et président du Synabio

 

Preuve par l'exemple : Jean-Marc Levêque

L'industrie agroalimentaire est un des gros consommateurs d'énergie, puisque nous transportons des matières, nous les transformons, puis nous les retransportons. Par conséquent, notre bilan énergétique n'est en général pas très bon. Nous avons donc essayé progressivement de gérer, de maîtriser, d’atténuer, en commençant par mettre en place des programmes de mesures, sur nos  sites, ainsi que surnos lignes de fabrication, afin d'optimiser et de réduire ces consommations. Dans un deuxième temps, nous avons diversifié nos sources d'énergies, en allant vers les énergies renouvelables. Dans le cadre de la construction de nouveaux bâtiments, nous utilisonsdes éco-matériaux ainsi que des matières et des ressources produites autant que possible sur place.

Nous développons des liens avec les collectivités, communautés de communes, villes, en travaillant sur les plans de déplacement des collaborateurs. Nous cherchons également à optimiser les transports en commun. A partir de 2021, nous souhaitons être en neutralité carbone sur nos activités végétales. Cela suppose de réduire encore plus nos consommations d'énergies, de les diversifier mais aussi de les compenser, en plantant notamment des arbres. En tant qu'industrie agroalimentaire, nous travaillons sur la biodiversité, en lien avec les agriculteurs, avec les territoires agricoles qui  choisissent des modèles agricoles qui protègent la biodiversité, l'entretiennent,voire la restaurent. Nous essayons aussi de mettre en place des programmes de mécénat, etde faire en sorte que demainles modèles agricoles évoluent vers une prise en compte de ces enjeux.

Enfin, nous faisons des effortssur la réduction des déchets, et particulièrement des emballages, travaillant avec des mono-matériaux pour faciliter le tri. Nous proposons des contenants plus importants, etréfléchissons à la possibilité de remettre les consignes pour les emballages.

Voir : https://www.youtube.com/watch?v=58PMhaUwuq8

 

Discussion

Cédric Prévost : Revenons sur le cadre posé par la loi Egalim, un cadre venant des Etats généraux de l’alimentation (EGA) qui, de juillet 2017 à décembre 2017, ontreprésenté une période inédite dans notre pays car ils nous ont permis de parler d'agriculture, d'alimentation sous tous les aspects en abordant tous les enjeux, de la question du revenu des agriculteurs jusqu'aux questions d'attentes sociétales. Comme l'a dit Guillaume Garot en introduction de cette journée :"la restauration collective est un lieu incontournable pour l'alimentation des français". A travers ce rappel, on voit bien combien la restauration collective est un lieu incontournable, mais aussi un espaceà la confluence de nombreux enjeux et de politique publique. Il était important que dans la traduction  des EGA, c'est à dire la loi Egalim, il puisse y avoir des dispositions qui concernent la restauration collective. Le président de la République, le 11 octobre 2017 lors du discours de Rungis, avait fixé un cap assez clair en précisant que,dans la loi,serait fixéun objectif d'approvisionnement, un objectif de 50% de produits de qualité, durables, dont 20% de produits bio d'ici 2022. Un des défis, aujourd'hui, est bien de se préparer pour atteindre collectivement cet objectif pour le 1er janvier 2022 dans un contexte assez complexe parce que de fait, nous sommes dans un secteur très éclaté.

Cet objectif est consacré par la loi Egalim, à l'article 24, qui a considérablement évolué au fil des mois de discutions parlementaires entre l'Assemblée Nationale et le Sénat, un article qui comprend différentes catégories qui rentrent dans cet objectif et dans ces 50%.

Les catégories, quelles sont-elles ? Tout d'abord, il y a les produits bio, y compris ceux issus des exploitations en reconversion, et nous sommes bien dans l'objectif de favoriser une distribution de produits qui permette de fabriquer une alimentation durable à partir de produits qui eux-mêmes sont produits dans des conditions durables. Deuxième catégorie, les signes de qualité, AOP, AOC, IGP,etc.L'idée du législateur est de poursuivre un autre objectif, celui de favoriser etde valoriser une alimentation de qualité. Le législateur a souhaité aller plus loin dans la finalité environnementale, et a introduit la catégorie des produits issus d'exploitations certifiées HVE. A ce jour peu d'exploitations, 1000 à 1200, essentiellement en viticulture ont un objectif qui s’inscrit  dans le "plan biodiversité" d'atteindre en 2030 plus de 50.000 exploitations certifiées HVE. Il existe un seuil intermédiaire de certification HVE de niveau 2 qui est une cible au niveau dusourcing de produits qui sont élaborés dans des exploitations respectant des conditions environnementales intéressantes. Cela correspond à une reconnaissance par le ministère de l'Agriculture et peut correspondre à diverses démarches privées notamment pour les fruits et légumes, comme les démarches "Agri-confiance" dans le cadre des coopératives. Pour le secteur de la pêche, il y a une catégorie qui concerne l'écolabel pêche de manière à favoriser l'approvisionnement en produits de la pêche qui sont acquis en tenant compte d'une bonne gestion de la ressource halieutique.Autre catégorie : le local, qui renvoie à un logo créé par la réglementation européenne et qui concerne les régions ultrapériphériques, autrement dit l'outremer. Pour ces territoires, il existe une dérogation, notamment le droit de la concurrence qui permet de privilégier directement les produits locaux à travers le logo "régions ultrapériphériques". http://logisteamedia.fr/labellisation/les-labels-rup/

 

Un sujet important à noter : dans la loi, il n'y a pas de critère concernant les produits locaux parce que la loi ne pouvait pas être en contradiction avec le droit de la commande publique au niveau européen, comme le code des marchés, et favoriser le critère local à travers des appels d'offres.

Viens alors la question des externalités environnementales et leurs coûtsliés aux cycles de vie. Cette catégorie a été introduite par le législateur pour cibler un achat public qui soit mieux-disant d'un point de vue environnemental. Cette notion est issue de la directive de 2014 au niveau européen, qui a réformé le code de la commande publique, et a introduit ce critère. Il a été transposé dans la réglementation française avec le décret de mars 2016. C'est un outil, soyons franc, pas complètement opérationnel. Il fonctionne avec certaines catégories de produits qui n'ont rien à voir avec le secteur alimentaire, par exemple, avec des modalités d'achat de véhicules. Certains pays européensl'ont appliqué au secteur du BTP. Néanmoins, nous n'avons pas attendu la fin de la loi pour travailler avec l'Ademe et lancer une étude sur la faisabilité de la transposition de ce système au secteur agricole et agroalimentaire. Une première étude présentée au CNRC a été élaborée et nous travaillons sur sa faisabilité dans le secteur agricole et pour la restauration collective.

Cela pourrait fonctionner en sélectionnant des externalités environnementales pas forcément toutes dans le cadre d'un cycle de vie de production agricole, mais certaines, comme la lutte contre la déforestation, la réduction des intrants de pesticides, la question de la pollution de l'air, le cycle de l'eau... On peut prendre ainsi certaines externalités environnementales, et si l'on dispose de base de données sur des productions typiques, pour des grandes catégories de produits, avec la possibilité de monétariser et de transformer en coût carbone, et d'y rapporter une valeur, alors nous serons capables de distinguer et de faire des appels d'offres en faisant du mieux-disant environnemental.

 

Parallèlement, l'Ademe a construit une base de données qui s'appelle AGRIBALYSE® qui permet d'avoir des données très précises sur les cycles de vie de la plupart des produits.

Ce travail débute et la loi nous donne une direction pour d'une certaine façon révolutionner,dans le cadre des appels d'offres, et pour construire des cahiers des charges plus exigeants en matière environnementale, comme le bilan carbone.

Devant nous, il y a des défis et des chantiers que nous menons ensemble dans le cadre du CNRC et de différents groupes de travail, que ce soit sur le suivi des approvisionnements, sur la statistique et la connaissance du secteur.

Précédemment, François Mauvais disait qu'il y avait très certainement besoin d'un observatoire de la restauration collective, et dans le cadre du CNRC, nous nous attelons à resserrer toutes les données, à les mettre en cohérence pour avoir une vision la plus complète possible, avec en toile de fond l'accompagnement des acteurs, pour savoir comment avancer et rendre opérationnelles toutes ces catégories de produits, et ainsi tendre vers cet objectif qui nous a été fixé par le législateur.

 

Frédérique Lehoux : Le Geco Food Service regroupe des entreprises tournées vers tous les marchés de la consommation alimentaire hors domicile, dont les différents modèles derestaurations collectives. Les entreprises de transformation alimentaire s'adaptent aux choix de société et aux préoccupations environnementales, que ce soit dans les modes de production, l'éco-conception des produits, les emballages, lesourcing. Nous constatons un énorme décalage entre ce que font les entreprises et la perception qui en est faite à l'extérieur.

En France, c'est plus de 17.000 entreprises agroalimentaires, à 98% des PME / TPE, et 76% des TPE. Elles sont présentes sur tout le territoire hexagonal, et elles représententun très fort ancrage territorial. Leursourcing est essentiellement français, et elles transforment 70% de la production agricole française. Historiquement cela se comprend car les sites de production sont créés au plus près des bassins de production agricole.

Le prisme déformant que nous avons est autour de cette idée de transformation. On a le sentiment qu'en transformant, on met la matière agricole hors-sol. Nous évoquions précédemment les légumes appertisés ou surgelés. Ce n'est pas parce qu’ils ont été appertisés ou surgelés qu'ils ne sont pas locaux. Les entreprises agroalimentaires en France font du local, elles font des produits bio, elles font des produits de qualité, ainsi elles rentrent dans le champ de la loi Egalim et dans le champ de l'article 24.

Produire et servir3,8 milliards de repas par an en restauration collective, nécessitent des volumes et forcément de passer par les produits de la transformation alimentaire. Ce système apporte également des revenus réguliers à la filière agricole. Or, sinous ne consommons en saison que ce qui est produit, nous allons considérablement réduire les productions agricoles.

Nous avons la nécessité de recourir à des produits de la transformation alimentaire. Dans la charte "pour une alimentation durable", nous avons travaillé autour de 5 axes : rappeler l'ancrage territorial, comment les entreprises sont mobilisées et responsables dans l'amélioration continue de leurs produits et de leurs ingrédients, réduire l'impact environnemental des produits dans le sourcinget l'accompagnement du monde agricole, dans des modes d'élevage et de production plus vertueux, et réduire le gaspillage alimentaire en apportant aux cuisiniers des portions, des grammages, plus de sécurité autour des valeurs nutritionnelles, de l'information et des services dans l'utilisation qu'ils font des denrées alimentaires.

La gamme des produits issus de l'agroalimentaire est très vaste et variée. Elle ne se limite pas à des produits prêt à l'emploi, il y a aussi des produits de base comme la farine, le lait, les lardons, le jambon... qui servent à faire de la cuisine. Nous devons avoir une approche nuancée des produits issus de l'agroalimentaire et se souvenir que l'on a besoin de ces produits pour faire de la restauration collective de qualité en France, nutritionnellement diversifiée et répondant aux volumes dont nous avons besoin.

 

Nathalie de Noblet-Ducoudret :

Permettez-moi de planter le décor global de la réalité du climat aujourd'hui, et de la contribution du système alimentaire face à cette réalité. Nous sommes à 1 degré de réchauffement de notre planète par nos activités humaines depuis l'époque préindustrielle, depuis environ le milieu du XIXe siècle, et nous souhaitons rester en-dessous des 1,5 degrés.Mais nous sommes déjà à 1,5 degré sur les continents, c'est-à-dire sur nos lieux de vie. 1 degré à l'échelle du monde, mais 1,5 degré à l'échelle des continents. Pour ne pas dépasser ces 1,5 degrés à l'issue des accords de Paris et du rapport spécial du GIEC publié en 2018, il nous faut diminuer de 45% nos émissions totales de gaz à effet de serre d'ici 2030, 45% par rapport au niveau de 2010, et il nous faut arriver à des émissions nulles en 2050. C'est-à-dire que si nous émettons, il faut que nous capturions aussi du Co2 et que nous en enfouissions. Cela veut dire que nous arriverons d'ici à 2050 à une énergie totalement décarbonée. C'est un challenge et un défi !Vous avez un défi dans la restauration collective, nous avons collectivement aussi un autre challenge à relever.

Ce changement climatique s'accompagne d'effets qui sont importants pour la production agricole. Un climat qui se réchauffe est un climat qui s'accompagne d'événements extrêmes, plus intenses, plus durables, plus fréquents. Ce que l'on voit arriver depuis quelques années, ce sont des combinaisons de canicules, d'inondations et de sécheresses à quelques mois, voire quelques semaines d'intervalles. Nous connaissons une succession et une combinaison qui affectent non seulement nos modes de production, mais également nos modes de consommation.

Les effets du changement climatique sur la production est déjà évidente, les agriculteurs le savent, le changement climatique affecte la production partout dans le monde avec de grandes inégalités et plus le climat se réchauffe et plus on sait que les zones où les cultures qui vont bénéficier du changement climatique vont diminuer. Par contre, le nombre de zones et le nombre de cultures qui vont souffrir du changement climatique vont augmenter. En gros, les pertes en rendement seront plus importantes que les gains.

L'augmentation des événements climatiques extrêmes va s'accompagner aussi d'une très grande instabilité de la production. Instabilité d'autant plus importante, dans un monde où l'on protège notre environnement. Nous devons limiter les intrants, les pesticides, car nous rendons nos cultures beaucoup plus sensibles au climat.

Concernant les changements de saisonnalité, nous avons des hivers qui deviennent très doux et posent des problèmes pour un grand nombre de production. Sous nos latitudes, il y a des arbres fruitiers, des végétaux qui ont besoin de froid, ce que l'on appelle les principes de vernalisation. On constate déjà un retard à l'émergence de bourgeons sur certains arbres fruitiers parce qu'il y a des hivers beaucoup trop doux. Cela va de pair avec nos modes de consommation, si nous n'arrivons plus à cultiver certains produits.Ce changement de saisonnalité induit aussi des problèmes de maladies émergentes, de parasites.

Alors quel est le rôle des systèmes alimentaires dans ce contexte ? Le réchauffement climatique est un contexte d'émission de gaz à effet de serre. L'ensemble du système alimentaire, de l'usage des sols à la consommation, contribue pour 25 à 30% de ces émissions de gaz à effet de serre, donc un peu moins d'un tiers qui sont liés au système alimentaire dans son ensemble. Dans cette masse, 2/3 proviennent des activités agricoles et de l'usage des terres, et 1/3 provient des autres aspects du système alimentaire, c'est-à-dire le stockage, la transformation, le transport et la consommation. Ce n'est pas négligeable et cela signifie que les acteurs ont un rôle pour le futur et pour améliorer ces effets.

Si l'on parle de l'empreinte de nos systèmes alimentaires, ce n'est pas que le climat,dans le changement global. Aujourd'hui 72% de nos terres émergées,non englacées, sont utilisées par l'homme. Il nous reste moins de 30% de la planète qui est à peu près vierge et ce ne sont pratiquement que des déserts. L'homme prélève entre 1/4 et 1/3 de la production primaire nette de la planète. Ce que les écosystèmes de notre planète produisent chaque année nous en prélevons à peu près 1/3 que nous extrayons du système naturel du climat. Cela est une empreinte écologique très importante. Depuis 1960, nous avons multiplié par neuf l'utilisation des engrais azotés, nous avons multiplié par deux l'utilisation de l'eau pour l'irrigation, 70% de l'eau douce est utilisée pour l'irrigation. Les déchets par habitant représentent 25 à 30% de la nourriture produite, soit une augmentation de 40% depuis 1960. Tous ces chiffres là, vous les retrouverez à partir du 8 août lors de la parution du rapport spécial du GIEC, dans lequel il y a une grosse partie dédiée à la sécurité alimentaire.

Nous parlons beaucoup de malnutrition, de sous-nutrition, et nous avons moins d'un milliard d'individus qui sont en état de sous-nutrition,  mais plus de 2 milliards en état de surnutrition. Cela veut dire que nous avons quand même une marge pour nos réflexions. On sait aussi que l'augmentation du dioxyde de carbone dans l'atmosphèrechange le taux de protéines dans les aliments que nous consommons, diminue le taux en zinc, et en fer. Cela a évidemment des conséquences sur nos modes de consommation.Les systèmes alimentaires sont une partie de la solution au changement global et au changement climatique.25% à 30% de pouvoir pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, c'est très conséquent. Par exemple, les pertes et le gaspillage contribuent à 10% des émissions de gaz à effet de serre, et là nous pouvons agir, c'est très faisable et quasi immédiat.

 

Caroline Faraldo : Nous sommes dans une crise climatique mais aussi de la biodiversité. C'est le système agroalimentaire qui est pointé du doigtsur ce sujet. Et de plus, nous connaissons une crise sociale. Entre 2008 et 2015, les bénéficiaires de l'aide alimentaire sont passés de 2,8 à 4,8 millions de personnes. Pire encore, nous avons une crise sanitaire avec le développement de maladies chroniques ou non. Nous avons donc vraiment ce besoin de renforcer la qualité de notre alimentation.

On sait aussi que manger plus bio réduit les risques de cancer comme le soulignent des études épidémiologiques de 2018, pour les gros consommateurs de bio de 25%, et cela peut aller jusqu'à 75% pour les lymphomes.

La restauration collective a un rôle essentiel danscette transition écologique et sociale. Elle permet d'assurer un repas sur deux hors domicile, une spécificité française et il faut vraiment s'en servir pour lancer ces changements structurels. La loi alimentation a pris ce chemin, mais il ne faut pas que l'on en reste là. La normalisation ne suffit pas. Le Grenelle de l'environnement avait déjà fixé des objectifs en terme d'approvisionnement en bio en restauration collective, et les objectifs n'ont vraiment pas été atteint. En 2012, nous devions avoir 20% de bio dans les services de restauration collective d'état et nous en sommes loin. On devait être à 6% en 2012 de surface agricole utile en bio, et ce n'est pas le cas. Il va falloir vraiment un accompagnement financier de l'Etat pour cela. Il va falloir accompagner les besoins en investissement.  Nous avons calculé près de 1 euro de coût d'investissement par repas estimé pour la restauration collective qui n'a pas engagé sa transition écologique. Le besoin d'investir est extrêmement important.

Il va falloir faire des campagnes de sensibilisation, former les personnels, du diététicien au cuisinier en passant par legestionnaire. Il va falloir aider la restauration collective à se reconnecter dans les territoires, voire à participer à la gouvernance, à l'élaboration, de projets alimentaires territoriaux, et faire vraiment partie du dialogue territorial, car trop souvent ce secteur ne se sent pas acteur de ces changements alimentaires.

Question du public

Jean-Claude Tuffery, président du GOEES : Notre débat actuel pose deux questions. La restauration collective, à la différence de l'agriculture ne peut pas être hors-sol car nous sommes vraiment ancrés dans les problèmes sociétaux, et la restauration de qualité a un coût. Qui dit coût dit problématique de pouvoir d'achat. Il y a donc un débat qui est politique et n'est pas le débat de la restauration collective seul. Il faut que l'on soit concret. Nous avons donné les autorisations pour l'installation de fermes de 107.000 poules pondeuses en cases, de l'installation de la ferme des mille vaches. Nous travaillons sur les traités transatlantiques, le CETA, ou encore la problématique des OGM, des hormones de croissance. Ici, j'interpelle le Gouvernement car je sais qu'il y a quelques représentants.  On va nous faire croire que nous, la France toute seule, nous allons lutter pour la qualité de l'alimentation et de la restauration ? Donc, il y a bien un problème politique de fond, et ce sont nos politiques qui en sont les responsables.

 

Cédric Prévost :ma réaction sera de montrer tout ce qui est fait pour accompagner la transition alimentaire et agroécologique. La deuxième table ronde en parlera certainement, nous avons connu un bon considérable du développement de l'agriculture biologique en France. Je crois aussi qu'il faut regarder tout ce qui a été fait ces dernières années avec une progression de la surface exploitée en bio qui a évolué de plus de 17% ces deux dernières années, un nombre de conversion de plus de 5.000 exploitations, et je suis persuadé que non seulement il y a une volonté de la part des exploitants agricoles, mais en plus des pouvoirs publics. Il y a un accompagnement.

Il y a eu un premier levier dans le cas des EGA pour activer la qualité des approvisionnements comme évoqué précédemment. Mais en même temps, les pouvoirs publics ont travaillé sur le développement de l'offre en produits bio. Un plan ambition bio a été annoncé et est en train d'être déroulé et doté de 1,1 milliard. Ce sont des avancées extrêmement concrètes et il y a la volonté de développer considérablement l'ensemble de la production dans une montée en gamme qui correspond en particulier à ces critères de la loi Egalim.

Par ailleurs, il faut comprendre qu'il y a différents modèles au sein du paysage agricole et agroalimentaire français. Ici, nous parlons de l'alimentation tournée vers la restauration collective avec des objectifs de se recentrer sur la qualité, sur l'environnement, sur un approvisionnement de proximité. Il y a un enjeu essentiel pour la restauration collective pour être actrice de toutes les démarches locales, notamment les Projets Alimentaires Territoriaux (PAT). Ce sont ces démarches qui sont extrêmement intéressantes parce qu'elles permettent de reconnecter la question de l'approvisionnement de la restauration collective avec tous les besoins, toute l'offre locale.

Le deuxième élément, c'est la gouvernance. Elleest un élément que nous avons mis en place dans la loi Egalim, avec des CRALIM qui associent toutes les parties prenantes. L'idée étant de ne pas arrêter l'esprit des EGA, et au contraire de maintenir cette impulsion pour faire en sorte, au niveau régional, qu'il y ait une appropriation de ces enjeux, avec un pilotage régional, des PAT, et des forces qui permettront de développer cet approvisionnement pour la restauration collective.

 

Valérie Lenglen, Compass Group France : Pour moi, ce n'est pas très clair entre la loi Egalim et la loi d'application. Vous avez évoqué l'Ecolabel pêche et les produits issus d'outremer. Nous ne les retrouvons pas du tout dans le décret d'application.

 

Cédric Prévost : Les textes que vous citez doivent être lus de manière complémentaire. Il y a le "grand véhicule", c'est la loi Egalim avec l'article 24, et le "petit véhicule", qui est le décret d'application. Concrètement, l'Eco label pêche et le logo RUP sont bien dans les 50%, ils sont énoncés par la loi et par ailleurs la loi a détaillé quels étaient les signes de l'identification, de qualité et de l'origine qui rentrent dans le cadre de la loi, avec par exemple l'ajout de la mention des produits fermiers. C'est donc une lecture combinée.

 

Danièle Pautrel: Je propose des designs de service alimentaire dans les entreprises. L'alimentation est une question globale et systémique. J'aimerais que vous me précisiez la question de la gouvernance. La politique alimentaire revient au ministère de l'Agriculture. Mais lorsque l'on fait cette approche systémique, il y a aussi le ministère de la Santé, de l'Environnement, de la Culture, de l'Education, du Tourisme... Et comme nous parlons de budget, je pense que chaque ministère pourrait contribuer à cette question. C'est Paul Ariès qui dit « que toutes les sociétés, les communautés, se sont organisées autour des questions alimentaires », et je pense que pour réinventer un nouveau contrat social, la question alimentaire est déterminante etchaque ministère doit y contribuer.

 

Cédric Prévost : Nous l'avons dit, la politique de l'alimentation est à la confluence de plusieurs enjeux interministériels. Je suis le représentant du ministère de l'Agriculture parce que nous avons porté les EGA et la loi Egalim, mais nous l'avons fait dans un cadre collectif et gouvernemental. A l'issue de ces 5 mois de débats, les EGAreprésentent une feuille de route qui est co-signée par 11 ministres. De ce point de vue, il y a une vraie équipe de France autour de cette politique de l'alimentation. Elle a donné lieu à la loi Egalim, et il y a des dispositions qui concernent d'autres ministères comme la Santé, la Transition écologique, l'Economie. Autre résultat, le Programme Alimentation Nutrition (PAN)annoncé par le Premier ministre le 25 mars dernier lors du comité interministériel de la santé. Ce programme a été construit pour donner une suite au PNNS et au PNA, de manière totalement articulée et encore une fois interministérielle. Ce programme est piloté par le ministère de la Santé avec le ministère de l'Agriculture, avec le MTES, avec le ministère de l'Economie et également le ministère de l'Education Nationale.

 

Danièle Pautrel: Je vous entends bien, mais de mon côté, sur le Territoire, j'interpelle l'ARS sur l'alimentation au travail, et la réponse est "non ce n'est pas nous". Idem avec la DIRECCTE, ou la DRAC. "Non ce n'est pas moi ! "

 

Cédric Prévost : Aujourd'hui, il y a toute une séquence qui est sur une conception d'une politique de l'alimentation nouvelle et renouvelée dans le cadre des EGA, avec une mobilisation, vous avez raison, plutôt des administrations centrales. La deuxième étape est au niveau des services déconcentrés, avec une mobilisation de l'ensemble des services, dans tous les territoires, et précisément dans les CRALIM, nous avons fait en sorte pour que tous les services soient représentés, les ARS avec le préfet de région, les DREAL, les DRAAF, mais également les rectorats.Depuis l'apparition du décret qui a fixé la composition des CRALIM, plusieurs comités régionaux de l'alimentation se sont tenus et se tiennent dans ce format nouveau créant une synergie entre les services.

 

Laurence Perrin, référente nutrition à l'ARS en Ile-de-France :Nous ne sommes pas en responsabilité de l'alimentation dans les entreprises. En revanche, le PNNS a développé des chartes, pour les établissements et entreprises actives du PNNS, à travers lesquelles on peut valoriser les actions alimentation et les activités physiques en direction des salariés de l'entreprise. C'est une réelle façon  d’apporter des pistes pour améliorer la qualité nutritionnelle dans le monde de  l'entreprise.

 

Caroline Faraldo : Je voudrais réagir à ces questions de gouvernance, c'est très intéressant, et cela rejoint la question des cohérences des politiques publiques.Effectivement quand on parle du PNNS, nous avons aussi une stratégie bas carbone qui fait des recommandations sur un rééquilibrage des protéines, tout comme le Haut Conseil de la santé publique fait des recommandations à travailler avec des produits plus bruts, et tout cela doit venir s'ancrer dans la révision du PNNS et au niveau territorial. C'est aux ARS de se sentir intégrées dans les questions de démocratie participative et les questions de démocratie alimentaire, et même au niveau des restaurants, des structures de restaurants. Il y a de nombreux outils qui existent et qui sont mis à disposition des acteurs de la restauration collective, pour avoir ces approches beaucoup plus participatives. Nous devons pouvoir faire dialoguer les ARS ou d'autres acteurs qui sont complémentaires, sur toutes les politiques publiques qui doivent être cohérentes entre elles.

 

Nicolas Bricas, chercheur au CIRAD et directeur de la chaire UNESCO Alimentation du Monde : Pour revenir sur la question des enjeux environnementaux du système alimentaire, tous les calculs aujourd'hui montrent que le transport dans notre système alimentaire représente moins de 15% d'émission de gaz, et que parmi ces émissions, entre un tiers et la moitiéont pour origine le déplacement des ménages de chez eux au lieu d'achat de leur alimentation. Cela veut dire que la réduction des kilomètres parcourus par les aliments jusque dans les frigos ou les placards des ménages, c'est finalement assez peu sur la réduction des gaz à effet de serre. Or, il y a une certaine tendance à focaliser la tension sur la relocalisation qui a des tas d'autres intérêts par ailleurs, mais il ne faut pas oublier que quand on cherche à calculer la marge de manœuvre pour la réduction des émissions, c'est plus la réforme du dernier kilomètre qui est porteur d'une énorme marge que la réduction des kilomètres parcourus depuis le producteur jusqu'au consommateur.

En outre, je trouve intéressantela réflexion menée dans un gros travail collectif, le Drawdown Project, qui n'est pas un calcul de quels sont les secteurs qui émettent le plus et le moins, mais qui estun calcul de la marge de manœuvre pour réduire les émissions. Ce collectif a étudié 80 mesures possibles des réductions des émissions et montre que dans les cinq premiers qui font 30% des émissions de la réduction possible, quatre concernent le système alimentaire et le premier, assez inattendu, nous concerne particulièrement dans la restauration collective : ce sont les gaz réfrigérants des systèmes de réfrigération. On sait que ces gaz,remplacés depuis quelques années pour lutter contre la dégradation de la couche d'ozone, sont des gaz effroyablement émetteurs de gaz à effet de serre. Et simplement le changement de ces gaz représenterait 8% de réduction. Le second, c'est la nature de la production électrique, le troisième, c'est le gaspillage alimentaire, le quatrième c'est la réduction de la consommation de viande et le cinquième c'est la déforestation. Cela veut dire que l'on pourrait piloter les efforts environnementaux en particulier sur la question du changement climatique. Il y a plein d'autres effets environnementaux, par rapport aussi aux coûts de la réduction et à la marge de manœuvre que l'on a, et de raisonner « marge de manœuvre » et non pas « secteurs qui émettent le plus », et quels sont les secteurs dans lesquels on a le plus la capacité à réduire.

 

Cédric Prévost :

J'insiste sur la mobilisation de tous les acteurs, et cet événement en est la bonne illustration. Cette nécessité de mobiliser tous les acteurs pour faire passer les informations, pour transmettre les meilleures pratiques, les meilleures actions des territoires, et elles sont nombreuses. Il faut capitaliser sur ces initiatives, et pour capitaliser, il faut mobiliser tous les acteurs pour faire savoir, faire connaître ces initiatives, les partager et les essaimer.

 

Caroline Faraldo :

Dans ce contexte de crise multiple, il faut vraiment avoir un effet accélérateur et généralisateur de l'alimentation durable en restauration collective. Nous avons un Etat normalisateur, incitateur, mais il faut aussi qu'il soit investisseur, il faut qu'il accompagne vraiment les besoins d'investissements nécessaires dans les changements de pratiques, la sensibilisation, la structuration des filières locales durables. Il faut aussi  permettre aux collectivités de travailler moins avec les produits ultra-transformés qui sont problématiques au niveau de la santé, du climat et de l'environnement.

 

Frédérique Lehoux :

Nous avons constaté aux EGA que tous les acteurs de la restauration collective étaient mobilisés pour une montée en gamme, vers une alimentation plus durable. Ce qu'il y a dans l'assiette, c'est ce qui est commandé, et lorsque l'on voit le coût denrée alimentaire moyen de 1,8 euros par exemple dans les lycées, ces coûts sont extrêmement bas, et si l'on veut faire évoluer le contenu de l'assiette, la qualité alimentaire, il faut aussi faire évoluer les appels d'offre et les cahiers des charges, et investir dans cette filière.

 

Nathalie de Noblet-Ducoudré

Je n'aime pas les messages culpabilisants. Notre société a évolué, a fait des choses merveilleuses, et même si on voit aujourd'hui les conséquences de certains de nos actes, je pense que nous avons besoin de prises de conscience, et voir le lien entre le système alimentaire et notre empreinte sur notre environnement. Cela doit être mis en avant, être appris, observé. Nous avons donc besoin de se former les uns les autres sur ces chiffres, ces mesures, ces observations de manière à pouvoir évoluer dans nos comportements.

 

Jean-Marc Lévêque

Si le dérèglement climatique et le réchauffement climatique représententnotre futur proche, certains pensent que la nature et notre agriculture auront du mal à s'adapter, donc le problème sera global. En complément d'une évolution de la gouvernance pour s'adapter à ces enjeux, oui je pense que la conscience individuelle et collective, à tous les niveaux, sera la bienvenue, parce que c'est elle qui permettra de s'adapter et de remporter ces défis. Prendre conscience avant un nouveau monde.

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