Vers une cuisine éco-créative ?

Le 09/12/2021

La France vient de remporter « le plus grand concours de cuisine du monde », le Bocuse d’Or. Si l’on en juge par les réactions de soulagement des professionnels présents, l’attente de cette performance a été longue (2013, Thibaut Ruggeri). Le public semble voir dans les assiettes du vainqueur national une créativité aboutie, une expression et une reconnaissance de l’excellence de la gastronomie française. Performance ou créativité ?

Davy Tissot, chef du restaurant Saisons à Écully (69), Meilleur Ouvrier de France 2004 et Bocuse d’Or 2021

Cet événement souligne en effet un des paradoxes du cuisinier : les concours ne sont pas le lieu idéal pour la création. Ils sont davantage celui de la répétition, de la performance. L’excellence s’y exerce sur les tendances, thématisées dans le concours, plus qu’elle ne les invente.

Autre paradoxe : si la cuisine permet de nourrir les humains, sa créativité est parfois plus au service de la distinction, de l’ostentation, du “futile” que de l’utile.

Certes, là encore, le “génie” français de la cuisine s’exprime dans sa “grammaire”. De fait, après en avoir codifié le langage (chef…) les pratiques (brigades, service…) et enfin en partie organisé la hiérarchie à travers les guides (Michelin), ou les concours (Bocuse d’Or, MOF), on peut contester l’influence de la cuisine française sur la planète mais on ne peut pas la nier.

Quelle planète culinaire ?

Cependant, de quelle planète parlons-nous ici ? Quels sont les impacts de ces “créations” dans nos assiettes ? Les productions de la planète des chefs, de celle des gastronomes fait-elle assez évoluer nos choix alimentaires, dans notre quotidien ?

Nul doute, la cuisine est créativité par essence. Cette gastronomie permet d’envisager de nouveaux modes de production, de nouvelles formes de cuisson, simplement de nouvelles idées. Elle s’adapte aux contraintes.

C’est l’essence même de la cuisine par ses origines comme dans sa fonction, rendre nos ressources disponibles appétentes, comestibles dans un contexte donné.

On peut néanmoins se demander dans quels autres champs essentiels la créativité culinaire gagnerait à être davantage explorée, développée.

Explorer de nouvelles voies

Au risque de remettre en question nos traditions, nos bases culinaires…, il s’agit alors d’explorer en profondeur d’autres horizons de créativité. Face aux défis à venir, il nous faut déployer une grande inventivité. L’enjeu est d’interroger la complexité des systèmes alimentaires, du présent et du futur, dans différentes directions clés…

Celle de la recherche où la cuisine peut être centrale, pour comprendre en profondeur et avec moins de croyances les enjeux d’écosystèmes complexes. La cuisine a toute sa place, en dialogue avec les sciences qui les décryptent.

Celle de l’éducation, où l’alimentation et la cuisine ne seraient pas des sujets à “rééduquer” mais des ferments pour l’éveil des générations futures.

Celle du quotidien et de ses choix complexes de consommation, avec des applis ou sans, pour ne pas déléguer systématiquement nos choix à des récits que nous ne maîtrisons pas, que nous ne questionnons plus. La créativité du quotidien est alors un acte de courage et un lieu de résistance de notre libre arbitre et de notre conscience face aux enjeux alimentaires (impact carbone, relation au vivant, relation homme-animal, animal-végétal, “glocalisation”des ressources…) dont nous méconnaissons la complexité.

Mais peut-être qu’en matière alimentaire comme en d’autres domaines nous préférons souvent des consommateurs qui croient, des suiveurs de régimes, des affiliés aux labels, plutôt que des citoyens, qui pensent et cherchent en amont de leurs coups de fourchettes ?

#planèteculinaire - Des initiatives de la recherche en créativité

La chaire “Homo Creativus”, créée sous l’égide de la fondation Université de Paris, va consacrer une partie de ses ressources aux projets #planèteculinaire, initiés en son sein et qui relèvent de ces enjeux essentiels pour l’alimentation. Explorer et orienter les intelligences culinaires vers une cuisine éco-créative adaptée aux enjeux des systèmes alimentaire et culinaire complexes de notre siècle sera sa mission.

Laurent Aron

Sémiologue, consultant, formateur, conférencier et chercheur associé au sein de la chaire Homo Creativus / #planèteculinaire de l’université de Paris.

Laurent Aron