Edito - Qui dit mieux ?

Le 17/03/2022

Editorial du numéro de mars de L'Autre Cuisine. Pour le recevoir, abonnez-vous.

« La restauration collective est en danger. » Les parties prenantes de la fourche à la fourchette sonnent l’alarme au Salon de l’agriculture en ce lundi de fin février. Au-delà de l’inflation, les agriculteurs nous alertent sur leurs revenus, le secteur agro-alimentaire se demande s’il ne va pas se désengager de la restauration collective, les distributeurs s’affolent, pris dans un étau entre leurs fournisseurs et les contrats, les sociétés de restauration demandent la revalorisation des prix de vente, non plus sur la base d’indices Insee liés à la consommation mais bien d’indices liés à la production, le réseau Restau’Co évoque la nécessité de revaloriser le prix moyen d’un repas, en particulier pour répondre aux objectifs de la loi EGAlim. Résultat de cette équation de revendications, pour tous ces interlocuteurs de la filière, le coût “denrées alimentaires” « en moyenne de 1,80 € par repas » doit être revalorisé.

1,80 €, ne trouvez-vous pas cela ridicule ?

A fortiori, si l’on souhaite mieux rémunérer les agriculteurs, développer les produits bio, durables, de qualité à la cantine, en résumé, répondre aux objectifs de la loi EGAlim. Mais alors pourquoi annoncer ce coût “matière” qui n’a aucune valeur de référence avec la qualité d’un repas, ni aucun rapport avec le coût complet de production et rien à voir avec le prix payé par le convive ? Ce n’est pas ainsi que l’on pourra valoriser la restauration collective sociale et responsable.

Lors de cette conférence au Salon de l’agriculture, certains d’avouer hors micro : « La restauration collective est le plus mauvais acheteur du marché ». Mais alors il faut se tourner vers les acheteurs et surtout vers les collectivités, les responsables d’établissements voire d’associations, les conseils d’administration, tous ceux que nous définissons comme les autorités organisatrices du service de la restauration collective… ceux qui étaient absents de cette assemblée !

Dans notre précédent numéro (décembre 2021), nous avions mené l’enquête pour mieux identifier et évaluer les coûts de ce service pour les collectivités. Mais force a été de constater qu’il est bien difficile d’en cerner les composantes et que les professionnels ramènent le coût de cette restauration à ce coût “denrées alimentaires” qui ne représente que 20 % du coût global de ce service.

Comment un élu peut-il alors souhaiter une restauration de qualité sans identifier l’ensemble de ses coûts et les marges de manoeuvre dont il dispose pour améliorer le service ? Comment un gestionnaire fait-il pour jongler entre les injonctions purement économiques de ce coût alimentaire tout en respectant les normes, les tendances de consommation, parfois la saisonnalité voire les objectifs de la loi EGAlim ? La situation est pire encore dans le secteur médico-social, même si tout le monde aime à rappeler que l’alimentation est une composante indispensable du soin des personnes.

Tout cela devient presque grotesque et on peut comprendre que des fossoyeurs s’emparent de ces sujets.

Mais alors comment valoriser le service de restauration collective ? Ne pouvons-nous pas changer de paradigme ? Notre proposition :

1. Arrêter de se limiter au coût “denrée” et évoquer plutôt le coût global. Nous éviterons ainsi les effets d’annonces sans lendemain, les dépenses pour des projets irréalistes, et surtout nous pourrons identifier les véritables leviers pour la restauration collective.

2. Inviter autour de la table les collectivités, les directeurs d’établissements et les opérateurs. N’ayons pas peur de mettre à plat toutes les charges liées à la restauration collective et en regard les bénéfices de ce service social, en n’oubliant pas d’évaluer voire de réévaluer la rémunération des femmes et des hommes qui l’assurent, ni les amortissements difficilement amortissables des investissements (fonctionnement 40 heures par semaine, 150 jours par an pour certains). Arrêtons surtout de dire “augmentons” si nous ne savons pas “combien cela coûte”. La transparence des coûts devrait pouvoir stopper l’hémorragie causée par les “bradeurs de marché”. Elle devrait permettre de mettre en oeuvre des actions en lien avec la réalité des budgets et de l’ensemble des bénéfices mesurés. Elle devrait surtout bénéficier à chacun des citoyens concernés par la restauration collective.

Si cela n’est pas fait maintenant, nous allons encore mieux “nous fracasser”, car aujourd’hui la crise augmente d’une ampleur inédite et le scénario peut devenir catastrophique. Nous devons tous agir, réagir – tous les acteurs de la filière – sans oublier les autorités organisatrices de ce service, et bien sûr nous aussi, la presse professionnelle.

C’est pourquoi en 2022, L’Autre Cuisine souhaite plus que jamais envisager l’avenir de la restauration collective et trouver “les ingrédients du changement”, revoir le concept d’éducation alimentaire, revenir “aux sources de l’expérience”, et développer une réflexion sur le végétal et les menus végétariens. Tout au long de l’année, nous travaillerons avec vous sur ce que représente aujourd’hui l’acte de cuisiner avec une enquête diffusée largement. Nous devons agir collectivement pour envisager l’avenir car oeuvrer pour l’avenir stimule et la co-construction rend optimiste !

L'autre cuisine