Conscience et puissance de la cuisine au XXIe siecle

Le 08/03/2022

Faisons un pari sur l’avenir, l’avenir de la cuisine et de notre planète. Et si la cuisine se révélait un levier créatif, puissant et stimulant, face aux nombreux défis environnementaux ? Nous vous proposons d’examiner collectivement – avec un questionnaire en ligne – cette assertion et voir si et comment nous pouvons tenir ce pari.

Où et comment cuisinons-nous ? Où et quand voulons-nous cuisiner ?... Autant de questions que nous nous poserons tout au long de l’année 2022 dans L’Autre Cuisine, des questions de fond et des réponses ouvertes, à retrouver dans le magazine et sur le web. Et pour lancer le(s) débat(s)...

Accédez à notre questionnaire : 10 questions à se poser pour concevoir une cuisine agissante au XXIe siècle.

La cuisine développe les cerveaux

C’était presque hier. La cuisine, grâce à la maîtrise progressive du feu par l’espèce humaine, a favorisé une évolution majeure. En cuisant les aliments, les hommes ont développé physiologiquement leurs cerveaux individuels. L’humanité a dès lors fait un saut cognitif prodigieux. Nos sociétés complexes, sédentaires, agricoles puis urbaines se sont répandues sur la Terre.

Depuis lors et notre entrée dans l’anthropocène, nous avons creusé sous nos pas un canyon. Il nous faut désormais faire un nouveau saut, un saut cognitif, vers un cerveau collectif cette fois. Notre éco-système n’est plus la tribu, mais la planète. Le “cerveau culinaire”, celui de tous les cuisinier(e)s est un ressort important pour prendre notre élan.

Conscience et pouvoir de transformation

Dans tous les scénarios de la décarbonation et de la sobriété nécessaires ou souhaitables, la cuisine aura un rôle central et critique. Les circuits courts, souvent plébiscités, ne sauraient par exemple bien se développer sans déployer aussi des pratiques culinaires efficaces, c’est-à-dire conscientes et réfléchies. Qu’il s’agisse de restauration commerciale, de restauration collective ou de cuisine domestique, le système culinaire impacte directement l’alimentation et l’agriculture, notre planète.

Chaque aspect de la cuisine inspire, oriente, influence, forme les autres. Quand nous cuisinons, y pensons-nous toujours, y avons-nous vraiment réfléchi, de façon systémique, globale, prospective... réfléchi bien au-delà de vouloir rouvrir les restaurants, convertir les cantines au bio et “instagrammer” nos plats “responsables” une ou deux fois par semaine. Est-ce que je peux le cuisiner ? Est-ce que je dois le cuisiner ? Est-ce que je veux le cuisiner ? Qui va le cuisiner pour moi ? Comment ? Est-ce que cela sera toujours de la cuisine ? Ces questions ont chaque fois un rôle dans les choix, les pratiques et les récits.

À l’instant où nous transformons un aliment, nous prenons conscience de ce qui va nous nourrir. Nous portons dans ce geste l’avenir de l’humanité. N’est-ce pas là la mission et la puissance de la cuisine ?

Ce pouvoir requiert, plus que jamais dans l’histoire humaine, conscience, lucidité et créativité.

Un nouveau grand récit à écrire

Au fil des siècles et jusqu’à l’arrivée des restaurants, la cuisine s’est située dans la domesticité, “au service de”. Ce fait social a laissé longtemps des traces dans l’esprit des cuisiniers. Au XXe, elle s’est organisée, militarisée même – brigades, coups de feu. Elle s’est révélée à elle-même, médiatisée, théâtralisée dans la désirable expérience des chefs. Le risque maintenant serait de la réduire à cela comme une belle sauce gastronomique.

Pour entrer vraiment dans le XXIe, à l’heure de l’alimentation dans l’espace mais aussi de la faim sur Terre, des écosystèmes complexes, la cuisine doit écrire un nouveau grand récit. Elle peut (re)conquérir les esprits autour de valeurs originelles, nourrir, partager, transmettre, au-delà de la seule “réussite”.

Dans tous les lieux d’exercice de la cuisine – foyers, restaurants commerciaux ou collectifs – pour comprendre la cuisine, des sujets méritent le débat, l’échange, le croisement de points de vue : impact environnemental, éducation culinaire et alimentaire, vocation et avenir professionnels, relation aux sciences, organisation de l’espace et du temps, cuisine domestique, fin de la violence, visibilité des métiers, champs de la créativité, et toute autre question clé envisagée par le lecteur… Tout cela peut et doit susciter la réflexion et l’éveil.

L'instant et le moment

Le confinement a stoppé la restauration hors-foyer. Tous nous sommes devenus plus ou moins cuisiniers. À travers ces gestes devenus quotidiens, avons-nous retrouvé un sens, une réflexion, un questionnement sur la signification de cuisiner ?

Chez les professionnels, les éléments ont évolué. Les Dark Kitchens, les livraisons se sont développées. L’expérience culinaire a changé. Certains s’en inquiètent, d’autres appellent aux états généraux de la restauration, d’autres renoncent à la cuisine. Et pour les consommateurs qui s’éloignent des produits bruts, de la cuisine, les craintes augmentent, les questionnements s’amplifient, les pratiques hésitent.

Les questions ouvertes se multiplient

Il nous apparaît donc nécessaire de se questionner et de lancer un débat autour de la cuisine. Nous souhaitons poser ces questions à des acteurs effectifs du métier pour explorer leurs points de vue face aux enjeux sociétaux, environnementaux, économiques, politiques, et évaluer la conscience des défis à relever ainsi que le rôle et la légitimité de cet acte que représente la cuisine !

C’est le pari de la rédaction de L’Autre Cuisine.

Répondez à notre questionnaire : 10 questions à se poser pour concevoir une cuisine agissante au XXIe siècle

Laurent Aron et Laurent Terrasson