12 Déc
Chronique de Gilles Charousset

En 2015 SODEXO « réinventait » la restauration d’entreprise avec son concept 360 (plages d'ouverture larges qui offrent la possibilité, notamment à la génération Y, de se nourrir à tout moment de la journée, diversification de l'offre avec des produits du terroir, de la viande labellisée et des plats végétariens).

Le 13 novembre dernier, en avant-première, ELIOR dévoilait son nouveau concept MA CANTINE qui « révolutionne » le self-service traditionnel. Que recouvre cette guerre des superlatifs dans la restauration collective et qu’apporte le nouveau concept d’Elior ?

Entre les nouvelles formes de travail (travail en home office notamment qui s’étend à tout type d’entreprise), la délocalisation industrielle dont a souffert la France sur les dernières décennies, le remplacement de l’homme par la machine, mais surtout toutes les offres alternatives de restauration qui se sont développées de manière accélérée en quelques années, l’activité de restauration en entreprise qui se définissait parfois comme captive, devient à la fois très concurrentielle et plus difficile à capter pour les opérateurs historiques.

« Le rapport à l’alimentation évolue lui aussi : consommer des produits frais, sains et de qualité́ dans un véritable lieu de vie est devenu essentiel. La pause déjeuner n’est plus un passage obligé, à heure fixe et à menu unique. Le restaurant d’entreprise doit fournir une variété́ de solutions répondant à ce besoin de vivre le travail autrement et contribuer ainsi au bien-être des collaborateurs », déclare Jean-Yves Fontaine, le nouveau Directeur Général du marché entreprises d’Elior France .

L’ambition de MA CANTINE est de faire évoluer la raison d’être (l’obligation de nourrir ses salariés) et l’image du restaurant d’entreprise (la cantoche) en un lieu de vie, ouvert tout au long de la journée (versus la classique plage 11h30-14h00), avec un choix extrêmement large, répondant à toutes les attentes et modes d’alimentation, dans les moments de consommation les plus variés (moment de détente, de convivialité, de travail en mobilité ou en équipe, seul ou à plusieurs).

Le concept consiste en un assemblage de 12 briques représentatives d’un univers spécifique de restauration à l’identité définie à chaque fois en termes culinaire, visuel et de servuction.

Ces 12 briques sont présentées en 3 groupes de 4 concepts qui reposent sur trois savoir-faire :

. le savoir-faire des chefs (La Cuisine de Chef, Le Barbecue, L’Escale, Mon Mix) ;

. le savoir-faire artisan (Le Primeur, le Four, la Pâtisserie Boulange, le Terroir) ;

. les services aux convives (la Boutique, MaCantine Express, la Table à Partager, la Brasserie M).

 

On peut s’étonner de trouver le Four (pizza, tarte salées ou gratins) dans la rubrique savoir-faire artisan, quel artisan ? Ou que la Pâtisserie Boulange ne soit pas dans le savoir-faire des chefs (même pâtissiers ?). Que Mon Mix (personnalisation et « sur-mesure » pour le convive, libre de composer sa recette et de confier la touche finale de préparation au chef), intègre le savoir-faire des chefs, vraiment ?

Soulignons dans cette nouvelle offre d’Elior l’attention portée à chacune des briques culinaires. Avec un vrai travail sur les recettes, élaborées par les chefs Elior et des chefs partenaires de renom (Michel Sarran et les équipes Ducasse Conseil). Les descriptifs annoncés permettent de s’assurer que toutes les tendances (terroir, végétal, proximité, …) sont cochées. Et la caution des équipes de nutritionnistes garantit le respect de menus équilibrés sur la durée.

En complément, avec un certain parti pris esthétique, tous les univers ont été pensés, du mobilier à son agencement, en passant par les ustensiles, la vaisselle, la décoration, l’affichage (ou non) des offres du jour. Aspect notable la marque Elior n’est pas mise en avant, dans un souci certainement d’intégration plus forte à tout type d’univers.

La restauration rapide n’est pas traitée au sein des 12 univers. Elior s’appuie sur ses concepts déjà existants (tels que BonSens) et garantit la capacité de coexistence des 2 approches. En revanche, la rapidité et la vente à emporter sont intégrées dans la brique Ma Cantine Express, un concentré d’offres du jour présentes sur le self MaCantine, à emporter, en format individuel, et réunies dans une échoppe où l’aménagement est optimisé pour permettre un parcours rapide le midi.

Parmi les éléments bien vus de nouvelle offre citons l’Escale. Ce stand digitalisé symbolise l’évasion et concentre les cuisines du monde (de l’Amérique à l’Asie en passant par l’Afrique). Via l’application TimeChef, les convives ont l’opportunité́ de voter pour la thématique de goût qu’ils souhaitent découvrir prochainement et visualiser en temps réel l’avancée des préférences. Expérience intéressante à suivre qui surfe sur le désir croissant d’autonomie et de participation des individus. Obligation pour le restaurateur de proposer un certain renouvellement afin que le stand ne devienne pas typé définitivement d’une seule destination. Avantage complémentaire, la maîtrise du processus d’animation des restaurants (recettes, visuels, communication) qui a largement vécu et qui peut rapidement brouiller l’image d’un restaurant. Plus de tombola, plus de primes à gérer, cette facilité saura-t-elle résister aux demandes des clients ?

Autre univers intéressant, MonMix, où le convive peut composer lui-même sa recette (avec l’aide du chef pour la touche finale), mais également le Barbecue, où chacun peut composer son propre burger à partir d’une foultitude d’ingrédients à disposition. Personnalisation et sur-mesure sont activés avec des signes très tangibles. Espérons qu’ils résisteront à l’aspect opérationnel d’une offre qui doit tenir sa promesse tout au long du service, sans avoir le ketchup mélangé à la mayonnaise, elle-même souillée par les cornichons …

La convivialité n’est pas en reste avec en particulier La Table à Partager, un espace à réserver au sein de la zone de distribution pour déguster autour d’une table d’hôte des plats à partager évoluant au fil des thématiques du moment. Présageons un large succès pour cette offre tant que l’isolation (phonique et sensorielle) sera au rendez-vous. L’évolution de cet espace en salle de réunion sera certainement appréciée, si l’organisation du travail et du nettoyage des espaces le permet réellement.

Enfin, espérons que la coexistence des différentes briques est d’une simplicité et fluidité à toute épreuve. D’autant que le restaurateur imagine s’implanter en version intégrale ou partielle (en complément d’une offre existante), sur des sites en création ou en rénovation là encore totale ou partielle.

La force du projet réside dans le fait d’avoir travaillé chaque brique de manière indépendante et avec une identité propre. Cela laisse présager de nombreuses possibilités de combinaisons. C’est le pari apparent de traiter désormais un restaurant d’entreprise non pas comme un tout avec plusieurs offres mais comme un Lego de plusieurs solutions individuelles.

Mais c’est peut-être également sa faiblesse, s’il n’y a pas de recommandation éprouvée d’associations performantes (en termes de fluidité, de répartition de la popularité, de l’équilibre des prix, de l’approche économique).

Même si chaque stand porte son lot de tendances, de fraîcheur, de végétal, d’accessibilité prix, de fluidité, il sera intéressant de visualiser la répartition des flux de convives à l’avenir.

En effet, que le restaurant d’entreprise évolue en un véritable lieu de vie, tout au long de la journée, est très motivant et séduisant. Pour autant que sa vocation première qui reste de nourrir en nombre soit toujours remplie dans des conditions de choix, de renouvellement, de goût et d’accessibilité prix.

En conclusion, MA CANTINE concept "sur-mesure standardisé" est complet, moderne, réfléchi et semble-t-il bien exécuté, intégrant nombre des tendances et attentes actuelles.

Chaque brique donne l’impression d’être individuellement très formatée et donc standardisée. Un réel bénéfice pour l’image d’Elior. Une diffusion nationale homogène peut être envisagée, avec une promesse qui peut ainsi être tenue.

Le concept est d’autant plus complet qu’il dispose du maximum de briques proposées, avec un choix incomparable de recettes et produits, de formats et d'ambiances pour satisfaire toutes les envies à tous les moments.

Or seuls des restaurants d’une capacité d’au moins 1 000 couverts/jour peuvent prétendre à un tel choix et ceux de moins de 300 couverts/jour ne sont pas concernés. Cela peut calmer quelques ardeurs.

Sur le papier, avec ses 12 briques Elior propose 12 manières d’organiser les pauses repas. Mais dans la réalité ? Si la capacité (et les finances) ne le permettent pas, comment seront assemblées les différentes propositions possibles ? Il y a-t-il des incontournables ? Des modules de base ? Des associations performantes et d’autres rédibitoires ? Quelles sont les recommandations d’Elior ?

Tous les secteurs (Industrie, Adminsitration, Tertiaire) sont-ils concernés ? De la même manière ? A Paris, en Ile de France et dans les Régions ?

Peut-on croire que les convives vont choisir leur configuration ? Qui en prend la responsabilité ? Sur quelles bases ? Pour quelle durée ?

Pour vérifier que cette offre standardisée est également sur-mesure, rendez-vous début 2019 pour l’ouverture annoncée de la première réalisation … pour de vrai !!

Gilles Charousset

Ingénieur agronome, expert marketing et business development FoodChain, de la production à la consommation, en passant par la distribution et la restauration.