Brèves

07 Déc

Marc Fesneau, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a adressé un message de mobilisation à l’occasion du Conseil national de la restauration collective (CNRC) qui se tenait le 7 décembre dans les locaux du Ministère. Les acteurs de la restauration collective sont invités à accroître rapidement leur taux d’approvisionnement en produits issus de l’agriculture biologique pour atteindre l’objectif de 20% fixé par la loi EGAlim, ce dernier n’étant que de 13 % d’après la dernière enquête menée par les services du ministère auprès des établissements inscrits sur la plateforme « ma cantine ». Ce soutien est fortement attendu par la filière « bio », confrontée depuis plus d’un an à de fortes difficultés économiques.

Devant l’ensemble des acteurs de la restauration collective, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a appelé l’ensemble des acteurs à poursuivre leur mobilisation pour atteindre au plus vite l’objectif de «50% de produits durables et de qualité, dont au moins 20% de produits bio dans les assiettes de la restauration collective ». Il s’agit d’une politique prioritaire du Gouvernement, et les établissements de restauration collective sous la gestion des administrations relevant de l’Etat sont engagés à atteindre ces objectifs dès 2024.

En ce sens, certains types d’établissements et certaines administrations ont déjà atteint ces objectifs. C’est par exemple le cas des cantines des écoles primaires ou des crèches inscrites sur la plateforme « ma cantine », ainsi que l’Economat des armées et de la cantine du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.  

Malgré les progrès réalisés par l’ensemble du secteur de la restauration collective dans un contexte d’inflation particulièrement prégnant en 2022, Marc Fesneau a souligné la nécessité de soutenir davantage les filières de produits de qualité et de produits bios. L’atteinte des objectifs EGAlim par l’ensemble de la restauration collective représenterait un marché de près de 2 milliards d’euros supplémentaires pour l’agriculture biologique. Pour accompagner cette mobilisation générale, le ministre a annoncé les mesures suivantes :

  • La publication d’une circulaire interministérielle en fin d’année 2023 destinée à mobiliser l’ensemble des restaurants collectifs sous la tutelle des ministères et des préfectures, avec un double objectif : l’inscription de ces restaurants sur la plateforme numérique « ma cantine » et la mise en œuvre de projets de restauration durable pour atteindre les obligations fixées par la loi ;
  • Le dispositif de Tarification sociale avec un reste à charge de 1€ maximum pour les familles les plus précaires va évoluer et permettre un « bonus » EGAlim pour les communes qui s’engagent à tout mettre en œuvre pour atteindre les obligations de la loi ;
  • Une conférence des solutions sera organisée au 1er trimestre 2024, pour valider une feuille de route destinée à lever les freins identifiés par les opérateurs.

Mesures en faveur de l’agriculture biologique

  • Au-delà des mesures liées à la restauration collective, plusieurs dispositifs destinés à soutenir la filière bio ont été annoncés au cours de ces derniers mois :
  • Une aide d’urgence de 10 millions d’euros aux exploitations biologiques en grave difficulté économique (mars 2023) ;
  • Un fonds d’aide dotée de 60 millions d’euros pour aider les agriculteurs bio en difficulté (mai 2023) augmenté d’un montant de 34 millions d’euros additionnel sous réserve de l’accord de la Commission européenne ;
  • Un renforcement des moyens de l’Agence Bio pour la communication avec un budget exceptionnel de 8M€ en 2024.
25 Sept

Suite à notre participation au salon Tech&Bio (1), nous avons pu constater la situation préoccupante du marché bio en France actuellement. En effet, en grande distribution, les ventes ont connu une baisse significative au premier semestre de 2023, enregistrant une chute de 13 % en volume (2). Cette baisse s’explique non seulement par l’augmentation des prix des produits alimentaires, mais aussi par la montée de la concurrence des autres labels écologiques et les préoccupations liées aux approvisionnements locaux.

Plus encore, pour la directrice de l'Agence Bio, Laure Verdeau, nous assistons à « une défiance grandissante et à une ignorance croissante chez les consommateurs à l'égard des produits bio ». L'inflation a accentué la perception du bio comme un produit coûteux, au point que « certains producteurs ont choisi de ne plus afficher le logo bio pour éviter de faire fuir leur clientèle », a déclaré Philippe Camburet, président de la FNAB.

Lors des débats, tous les acteurs du secteur ont unanimement reconnu l'impérative nécessité de communiquer pour inverser cette tendance à la baisse des ventes. « Il faut réexpliquer l’intérêt de manger bio, pour la santé, pour l’environnement, pour plus de biodiversité », a souligné Philippe Camburet.

Malgré ces difficultés, certains acteurs de la filière bio restent optimistes quant à l'avenir, comme Pierrick de Ronne, administrateur du réseau Biocoop. S'il demeure perplexe sur notre souveraineté alimentaire, en particulier pour les productions animales françaises, il note une légère reprise du marché dans ses magasins. Mais avant toute chose, pour sortir de cette crise, il est important d’avoir un discours cohérent, des messages soutenus et engagés pour une transition efficace.

Le rôle moteur de la restauration collective

Au cours d’une table ronde portant sur le bilan des 20 % de bio requis en restauration collective, objectif de la loi EGAlim, nous avons pu mettre en lumière la spécificité de ce secteur et son rôle déterminant dans le développement de la bio en France. Cette loi exprime une volonté politique forte de promouvoir les produits bio dans les cantines. Cependant, nous sommes loin du but avec seulement 7 % de bio dans les cantines (2), bien en deçà des 20 % prévus par la loi. Pour l’Agence Bio, si la loi était respectée, cela représenterait un marché potentiel de 1,4 milliards d'euros pour les agriculteurs.

D'autres pays européens, tels que l'Allemagne, l'Italie, la Suède et le Danemark, ont fixé des objectifs plus ambitieux concernant le pourcentage de bio dans les cantines - 30%, 50%, 60% et 100% respectivement -, « ce qui montre qu'il y a d’autres exemples à suivre en Europe, avec des programmes plus ambitieux encore », indique Laure Verdeau. En France, ne négligeons pas les initiatives locales comme Bègles, Nancy, Roubaix, ou encore les collèges de la Dordogne, sans oublier Mouans-Sartoux, où les cantines atteignent une part élevée de produits bio dans les menus, tout en maintenant des coûts de fonctionnement acceptables dans le cadre de ce service public.

Pour l’Agence Bio, une des priorités est de promouvoir les produits bio dans la restauration hors domicile, en particulier dans la restauration commerciale, grande absente de ces débats sur la bio. « En France, les 170 000 restaurants ne proposent que 1 % de bio à leur carte », exposait Laure Verdeau à l’occasion du Sirha Omnivore, ce qui est bien en deçà de l’engagement des restaurants de collectivité. Face à ce constat, l’Agence Bio lance sa campagne « Cuisinons plus bio ». À cette occasion, une équipe de 13 ambassadeurs, du pizzaïolo aux propriétaires de food-trucks, sans oublier des représentants de la restauration collective, a été constituée pour sensibiliser tous les restaurateurs à l'intérêt d'intégrer des produits bio dans leurs menus.

En fin de compte, l'avenir du secteur bio en France repose sur l'engagement collectif de tous les acteurs, de la production à la distribution, en passant par la politique et la société civile.

Laurent Terrasson

 

1 Le salon Tech&Bio est un salon international agricole qui se tient tous les deux ans dans la Drôme. Il représente le premier salon de la bio en Europe et accueille des exposants de plus de 20 pays.

2 Source Agence Bio

31 Août

La loi EGalim est pavée de bonnes intentions. Parmi celles-ci faire entrer le repas végétarien en restauration collective. Bientôt tous les secteurs, donc le public comme le privé, seront concernés. La mise en place d'une telle stratégie ne va pas de soi. S'approprier un tel sujet dans un pays qui a un rapport unique avec la nourriture, où la viande est encore synonyme d'un vrai repas, d'un bon repas, peut encore déboucher sur des débats houleux. Et puis, en restauration collective, nous ne construisons pas un plan de menu simplement en enlevant la viande du plat principal.  Alors, pour créer un nouvel imaginaire autour du menu végétarien, un nouvel équilibre pas que nutritionnel, les cuisiniers doivent revoir leurs habitudes. Cela passe par l’information, la formation, l'adaptation des approvisionnements, et des temps d'échanges avec d'autres professionnels de la restauration et bien entendu des convives.

Autant de sujets que nous traitons dans ce dossier en compagnie de spécialistes, d’experts, avec même une invitation au voyage et une petite incursion hors de nos frontières.

A découvrir dans le prochain numéro de L’autre cuisine, numéro d’octobre.

A découvrir aussi, notre prochain webinaire Défis & Controverses qui aura lieu le 3 octobre de 14 h à 15 h 30 et portera sur ce même thème des repas végétariens à la cantine. 

Ce webinaire mettra en lumière les diverses facettes de leur mise en place dans le contexte de la loi EGalim qui a posé les bases d'un changement positif dans notre système alimentaire.

Inscrivez-vous dès maintenant pour participer https://lnkd.in/ej2fP7Mu

29 Juin
DOSSIER "LE HANDICAP AU TRAVAIL"

Si les programmes d'inclusion en direction des personnes en situation de handicap prennent des formes différentes selon les sociétés de restauration, ils ont un point commun, détenir une place de plus en plus importante dans les politiques RSE. Nombreuses sont les actions visant à retenir les talents, à en attirer de nouveaux, comme à faire évoluer les mentalités.

Les principaux opérateurs de la restauration collective ont commencé à déployer des politiques en direction des personnes handicapées peu après la promulgation de la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances. Dans son programme d’inclusion des diversités et de tous les talents, Compass Group France s’attache à déployer depuis plus de 10 ans « une dynamique humaine respectueuse des singularités de chacun ». Si la Mission handicap de ce groupe a été créée en 2018, le handicap est un sujet de préoccupation pour l’entreprise depuis 2005, sans que cela ait été formalisé. De la même manière, « depuis ses origines, Sodexo fait de la RSE mais de manière informelle et non systématique » comme le souligne Alain Masson, responsable RSE au sein du groupe. Et de préciser : « nous nous sommes engagés sur la thématique du handicap depuis 2006 grâce à un Accord handicap qui a permis de créer une Mission handicap ».

Chez Compass, depuis 2019, l'entreprise est signataire d’un accord handicap agréé par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) et l’ensemble de ses partenaires sociaux.

Maintien et formation

Parmi les objectifs de toutes ces politiques, le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Les entreprises ont donc imaginé toute une panoplie de solutions. Il peut ainsi être question de temps partiel ou de mi-temps, de l’achat de matériel spécifique, de réorganisation de l’espace de travail, de financement de petits appareillages (matériels auditifs, souris et claviers ergonomiques, etc.), ou bien encore de l'affectation à un poste plus adapté. La formation est aussi un axe fort des politiques déployées dans le domaine du handicap. Selon Thierry Dufief, responsable de la Mission handicap Compass Group France : « La meilleure manière de gérer la carrière d’un collaborateur en situation d’handicap est de considérer d’abord ses compétences, son savoir, savoir-faire, savoir-être ». Il est aussi primordial de respecter le principe d’égalité des chances, tout en tenant compte des contraintes ou restrictions medicales de la personne concernée. Une personne autiste a des compétences, mais elles ne sont pas les mêmes que celles développées par une personne valide. Dans tous les cas, « il faut parfois adapter les objectifs et donner les moyens de les atteindre. Pour cette raison, tous nos managers sont formés. » Les missions handicaps vont souvent bien plus loin, en assurant une aide dans les démarches administratives. « Nous menons un important travail de renouvellement de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) », poursuit Thierry Dufief. Cette reconnaissance est attribuée pour une durée de 1 à 10 ans ou de manière définitive si le handicap est irréversible. « En novembre 2021, nous avons ainsi récupéré 150 reconnaissances qui étaient proches de l'expiration. Nous avons mis en place des mesures spécifiques pour ces collaborateurs en situation de handicap, par exemple un entretien professionnel tous les deux ans au lieu de cinq, afin de vérifier que le poste est toujours adapté. »

Sensibilisation de tous

Pour Alain Masson, la clé du succès d'une politique handicap réside également dans la sensibilisation des tous les collaborateurs. « Sensibiliser l'ensemble des collaborateurs sur les situations de handicap est indispensable. Pour être la plus efficace possible, notre communication prend différentes formes, notamment via les réseaux sociaux. Mais ce qui fonctionne le mieux reste la plaquette dédiée et la newsletter. Cela passe par une sensibilisation aux particularités des personnes en situation de handicap, en insistant sur les conséquences des pathologies plus que sur ces dernières. S’il est important de soutenir les aménagements de postes de travail que chaque service peut être amené à réaliser, il est essentiel de prendre en compte la dimension humaine. Il s'agit d'un véritable travail de pédagogie. »

Communication interne et externe

Ce cadre pédagogique se retrouve dans le kit d’accueil (description synthétique de l'accord agréé, contacts, démarches, etc.) en cours de préparation chez Compass, et les nouvelles pages du site internet dédié à la Mission handicap accessible depuis décembre 2022. Cette communication se veut aussi externe, avec pour objectif d'attirer de nouveaux talents.

La majeure partie des sociétés de restauration s'impliquent dans des actions telles que la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées et/ou les Duodays, qui font découvrir leurs métiers à des personnes en situation de handicap et débouchent sur la signature de contrats de stages et de CDI.

Collaborations plus inclusives

Des actions plus ciblées se développent, à l'image de la collaboration avec des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou les entreprises adaptées (EA) dans le cadre d'achats inclusifs, comme l’explique Alain Masson : « Sodexo a ainsi accru ses achats inclusifs en 2021, et lancé le programme Impact+, qui permet d’accompagner le développement des fournisseurs engagés dans l’économie inclusive. Car si des programmes d’achats inclusifs sont en place depuis plusieurs années, ce nouveau dispositif favorise directement le développement des entreprises inclusives. Deux collaborateurs de Sodexo sont en effet chargés, l’un des aspects achats, l’autre des aspects business, et partagent conseils et expériences avec les dirigeants des entreprises intégrées dans le programme. »

Identification de tous les handicaps

Autre axe d’amélioration au sein des entreprises, l'identification du handicap en interne. « Trop souvent des collaborateurs craignent de déclarer leur handicap » insiste Thierry Dufief. Et les situations sont très variées. Au-delà d’un handicap moteur, visuel ou auditif, des maladies telles que le cancer, le diabète, la sclérose en plaques, les maladies de l’appareil digestif, le VIH, entraînent des problèmes de santé et des incapacités nécessitant une prise en charge et ayant des répercussions sur le travail. Ces maladies invalidantes sont officiellement reconnues depuis 2005 comme un handicap. Sur ce sujet, Alain Masson reconnaît : « Après toutes ces années de politique en entreprise, nous sommes toujours obligés de communiquer, notamment parce que 80% des handicaps sont invisibles, il faut en permanence parler de ce sujet et surtout l’intégrer dans le monde du travail ».

Croissance des intégrations

Un monde du travail encore globalement frileux. Au niveau national, le taux d'emploi est de 3,5% (chiffres Dares 2022). « Depuis la création de la Mission handicap au sein de l’entreprise, le taux d’employabilité des personnes en situation de handicap a augmenté de plus de 1% », atteste Thierry Dufief. « Il était situé à 3% en 2018. Nous avons atteint 4,95% fin 2021 et certainement 6% fin 2022. L’augmentation de ce taux d’employabilité est due tout autant au nombre de personnes identifiées et déclarées en interne qu’aux nouveaux recrutements. Nous avons pour objectifs de recruter 100 collaborateurs en situation de handicap d’ici fin 2024 et de faire baisser de 10% le taux des licenciements pour inaptitude. »

Chez Sodexo, le taux d'emploi est en constante progression. Il était de 6,09% en 2022. Selon Alain Masson, tous les types de postes sont concernés : « L'engagement de l'ensemble de la ligne hiérarchique est indispensable et c'est le cas chez nous. Nous avons réussi à embarquer tout le monde, car si c'est juste l'appétence d'une petite équipe ce n'est pas suffisant. Le handicap n'est pas la thématique principale de la RSE, il faut le reconnaître. Il y a encore beaucoup à faire, notamment pour déconstruire les stéréotypes. Mais nous ne lâchons pas l'affaire. Travailler sur un tel sujet est valorisant. C’est pour ça que je me lève tous les matins. »

De son côté Thierry Dufief souligne : « Je me sers de mon vécu. Je suis arrivé chez Compass en 1998 en tant que commis de cuisine avant de devenir chef de production en 2002. C’est à cette période que j’ai perdu l’usage de mon bras droit dans un accident de moto.  Compass Group et mon responsable de secteur ont fait le choix de me garder dans les effectifs en tant qu’adjoint de directeur de site, puis chef de secteur. Aujourd’hui, je suis responsable de la Mission handicap depuis novembre 2022. Le handicap est un sujet transversal, qui doit impliquer tous les collaborateurs. Ce n'est pas du marketing, ce n'est pas pour faire joli. Nous devons faire évoluer les choses, même si le combat va encore durer des années. Avec les autres sociétés de restauration, nous échangeons nos pratiques et confrontons nos expériences. Il n'est absolument pas question de concurrence sur un tel sujet. » Il s’agit bien de partage d’expériences et d’enrichissement philanthropique.

Hélène Dorey

29 Juin
DOSSIER "LE HANDICAP AU TRAVAIL"

Derrière la différence se cache un véritable trésor trop souvent inexploré. Olivier Tran, le créateur de Biscornu, en a toujours été persuadé, mais il fallait convaincre. Convaincre des chefs et des dirigeants d'entreprises que des jeunes en situation de handicap pouvaient travailler dans la restauration et proposer des prestations de qualité. Retour sur un projet exceptionnel.

Comme tant d'aventures, celle de Biscornu est née d’une colère. Celle d'un père, Olivier Tran, dont le fils Alexandre, porteur de troubles autistiques sévères, se retrouvait dans une impasse sans école ni structure spécialisée pour l'accueillir. Olivier Tran a donc décidé de quitter son travail afin de pouvoir se consacrer à 100% à son projet : créer des emplois pour des jeunes en situation de handicap. La restauration s'est imposée d’elle-même. « C’est un domaine universel, où solidarité et partage nous réunissent », affirme Olivier Tran.

Le projet est construit autour de deux structures complémentaires. La première est l’association Afuté. Un nom qui ne doit rien au hasard puisque Afuté signifie Association pour la formation universelle aux tâches élémentaires. Cette association a pour but de former les jeunes en situation de handicap, notamment grâce à une méthode d'apprentissage par illustrations qui s’affranchit de mots (dessins et vidéos uniquement), et indique ce qu'on attend d'eux. Par exemple, éplucher un légume, couper une viande, préparer une sauce… et bien sûr, comment réaliser cette tâche. Les porteurs de troubles du spectre autistique ont des difficultés à mémoriser. Avec cette méthode, ils savent ce qu'ils ont à faire. Une méthode unique, qui permet à tous d’apprendre, sans savoir lire ou écrire.

Les formations sont assurées par deux chefs et se déroulent dans la cuisine du restaurant du personnel de la ville de Colombes (Hauts de Seine). Comme les participants bénéficient d'une convention de formation, l'enseignement est gratuit.

« Notre premier contact a été téléphonique, 30 minutes de discussion », se souvient, José Villarroel, alors Directeur général du syndicat intercommunal CoCliCo, chargé de la restauration collective territoriale des villes de Colombes et Clichy. « Nous nous sommes rapidement rencontrés et nous avons parlé pendant deux heures. Tout de suite j'ai eu envie de participer à cette aventure humaine. Mais comment l'accompagner ? Les maires des deux villes et les élus du SIVU ont d’emblée accepté ma proposition de prêter leurs locaux et le matériel de notre unité centrale de production alimentaire. Les équipes produisant de 6h du matin à 14h, nous ouvrons donc nos portes à Biscornu à partir de 14h. Il est impossible d'assurer une formation et de faire cohabiter deux équipes et des fabrications différentes, pendant le même temps de production. Notre accompagnement va même plus loin, en participant et en accompagnant notamment les équipes de Biscornu sur des expertises comme le choix et la dégustation des recettes élaborées par des chefs étoilés, mais aussi sur les aspects réglementaires en vigueur ou encore sur les techniques de pasteurisation. » 

La seconde entité se nomme Biscornu. Une entreprise de l’économie sociale et solidaire. Là encore, le nom ne doit rien au hasard. Les verrines qui sont fabriquées dans l’unité centrale de production alimentaire des villes de Colombes et de Clichy se veulent elles aussi atypiques. Les commis qui les préparent travaillent le plus possible des fruits et légumes bio déclassés parce que hors calibre, abîmés ou tordus et qui, sinon, finiraient à la poubelle. Une prestation engagée, sans compromis sur le goût car ces produits possèdent évidemment les mêmes qualités nutritionnelles ou organoleptiques que les autres et ils ne sont pas moins bons. Afin de réduire au maximum l’empreinte écologique de son activité́, l'entreprise fait autant que possible appel à des producteurs locaux (90% origine France métropolitaine pour ses verrines). Ces dernières, qui sont en verre, ont été choisies pour répondre à un enjeu de réutilisation. Biscornu travaille pour remettre la consigne au goût du jour afin de valoriser toute la chaîne. Les jeunes porteurs de handicap sont salariés en CDI et sont rémunérés au smic.

Comment un homme seul a-t-il réussi en à peine deux ans à embarquer avec lui autant d'acteurs ? « Olivier n'a pas eu de difficultés à nous convaincre puisqu'il nous a prouvé qu'il était possible pour des jeunes en situation de handicap d'assurer un service traiteur d'excellence. Intégrer une start-up dans un système administratif public est une première et une belle réussite », affirme José Villarroel.

Rapidement, plusieurs entreprises franciliennes (Mazars, Scor, MSD, etc.) disposant d'un restaurant ont également ouvert leurs cuisines aux heures où elles ne sont pas utilisées. Les grands noms de la restauration collective (Sodexo, Elior, Compass) leur ont emboîté le pas. Les parrains chefs étoilés ont immédiatement joué le jeu et des partenariats ont été noués avec les meilleurs ouvriers de France. Le chef étoilé Jimmy Coutel a été le premier à élaborer des recettes. Désormais, c'est Jean-Marie Courtel, ancien chef du Café Joyeux des Champs Elysées, qui est aux commandes. « À la différence de la plupart des restaurants classiques, où on laisse vite de côté́ ceux qui n’avancent pas aussi vite que les autres, en les mettant à la plonge ou au café, nous n’abandonnons personne sur le bord de la route. Il faut qu’ils soient tous considérés. On les pousse, et ils aiment cela. Si l’un des jeunes ne comprend pas ce que je lui demande de faire, c’est que je lui ai mal expliqué. »  Les chefs cuisiniers s’adaptent à leurs commis et non l'inverse.

« La difficulté́ ne se situe pas dans le handicap », poursuit Olivier Tran.  « Elle se niche dans notre capacité collective à exclure ce qui est différent. Il faut rendre le handicap visible et accueillir l'autre tel qu'il est et ne pas le juger à l'emporte-pièce. D'ailleurs, la méthode d'apprentissage que nous avons mise au point gomme les différences. »

Selon José Villaroel, « Le secteur de la restauration n'en fait pas assez. Beaucoup de dirigeants sont dans le discours façade, mais le plus souvent, ils ne font pas grand-chose. Il est temps de travailler ensemble, même si parfois ce n'est pas facile. Il faut changer les modèles existants, être davantage à l'écoute. Intégrer dans une équipe un jeune autiste permet d'avoir une autre vision du handicap. Il est temps de créer un nouveau mode de pensée, de réfléchir sur notre métier. Plutôt que d'inclusivité, je parle d’hybridation (notion issue des travaux de recherche de Gabriel Halperne, docteur en philosophie) car nous travaillons ensemble, avec ces jeunes. C'est important pour la restauration collective de participer à ce type de projet qui a du sens. » 

Aujourd'hui, Biscornu compte plus de trente salariés en CDI et une quarantaine de serveurs en situation de handicap et mobilisables sur des événements. L’association propose en effet une offre traiteur, qui a déjà séduit plus de 70 groupes tels que Natixis, Chanel, Bpifrance, la Fédération française de rugby, FDJ, etc. Orange va encore plus loin, puisque Biscornu est désormais chargée de la restauration et du service lors des événements du groupe. L’entreprise vient également de décrocher le contrat des réceptions de la centaine d’institutions rattachées à Matignon (Cnil, Conseil d’État, Cese…) qui va lui garantir 450.000 euros de chiffre d’affaires de plus par an, l’équivalent de quatre mois d’activité. « Sur un tel contrat, nous étions en concurrence directe avec les plus gros traiteurs d'Île de France. Alors, si nous avons emporté le contrat c'est bien parce que nous proposons une prestation d'excellence », souligne Olivier Tran.

Selon le Plan Autisme 2018-2022 et un rapport de la Cour des comptes, moins de 5% des adultes autistes ont un emploi en milieu ordinaire. Au-delà des chiffres, ce qu'entend prouver cette démarche est que tout est possible. Il faut tout faire pour installer ces jeunes à la place qui est la leur, au cœur de la société. Olivier Tran et ses biscornus ont de grands projets, notamment de dupliquer le modèle au niveau national et de former des jeunes jusqu'à 30 ans à différents métiers grâce à l’association Afuté. Biscornu, quant à elle, se trouve à l'avant garde et ne demande qu'à grandir et à être rejoint par des acteurs de tous horizons. À quand des biscornus dans les cuisines des restaurants d'entreprise de Lille, Lyon ou Marseille... ?

Hélène Dorey

 

Les premiers locaux de Biscornu

Pionnière en Europe par sa dimension et ses méthodes, la ferme urbaine d'aquaponie de Colombe produira à la fois des légumes, des fruits, des algues et élèvera même des poissons. Des aliments produits sans engrais chimiques ni pesticides, qui seront destinés en priorité aux habitants de Colombe et distribués en circuits courts auprès des particuliers, dans les restaurants scolaires ou de proximité et les magasins spécialisés. Lieu de recherche et d’innovation, cette ferme urbaine va contribuer au dynamisme de Biscornu, puisque l’entreprise y installera au premier étage sa propre cuisine. Aujourd’hui, sur un autre poste de Directeur général, José Villarroel accompagne toujours Biscornu et Afuté dans leurs différents projets, dont la construction de cet atelier.