14 Avr

En mai 2022, le ministère de l’Agriculture est devenu celui de la souveraineté alimentaire et depuis lors, et en particulier pendant le Salon de l’agriculture, les tables rondes et débats se sont multipliés sur ce thème. La FNSEA, FranceAgrimer, le Cirad et Interfel ont repris le sujet, n’hésitant pas à convier les acteurs de la restauration collective. Le terme « souveraineté alimentaire », introduit par le mouvement paysan Via Campesina à l’occasion du sommet mondial de l’alimentation à Rome en 1996, est à l’origine un concept altermondialiste1 .Depuis, il s’est enrichi en intégrant les dimensions de durabilité et de droit du travail. Lors du Salon de l’agriculture, ce concept a pris une orientation plus économique et politique dans les discours des acteurs professionnels. Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a laissé entendre que la souveraineté alimentaire s’impose tant les constats sont alarmants. Rien que dans l’hexagone, un tiers des exploitations agricoles ont disparu entre 2010 et 2020 et le nombre d’exploitants a chuté de 18% depuis 2010. En Europe, le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 32% entre 2003 et 2016 et pourrait atteindre 62% d’ici à 2040. Revenons à l’hexagone. Si l’on regarde le secteur des volailles, il est à noter que les filières avicoles françaises subissent de plein fouet depuis 2021 des épidémies d’IAHP (Influenza aviaire hautement pathogène), lesquelles ont conduit à des abattages massifs, y compris d’animaux reproducteurs. De ce fait, sur un laps de temps très court, les filières ont basculé d’une situation plutôt excédentaire à une situation de dépendance, sauf pour les volailles Label Rouge. En conséquence, la restauration hors domicile a désormais un recours important aux importations : 46% des poulets consommés en France provenaient de pays étrangers au 1 er semestre 2021, contre 41% en 2020 2 .Autre exemple révélateur de ce qui se passe en France : 50% seulement des fruits et légumes consommés sont produits sur le territoire. En ce qui concerne les fruits (hormis les fruits tropicaux), la baisse continue de la production nationale (-17% en 10 ans) a fait basculer le secteur « d’un niveau moyen de quasi auto-approvisionnement apparent à une situation de dépendance aux importations », comme le souligne FranceAgrimer. En ce qui concerne les légumes (hors pommes de terre), si les exportations restent stables, la baisse de la production se traduit par un surcroît d’importation. Alerté depuis de longs mois par les responsables d’Interfel (l’interprofession des fruits et légumes), le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fesneau a annoncé le 1 er mars le déploiement d’un plan de souveraineté « fruits et légumes » de 200 millions d’euros dès 2023, avec pour objectif de remonter le niveau d’autosuffisance national à 60% d’ici dix ans. Clairement, la dépendance aux importations fragilise la capacité de la France à exercer sa souveraineté alimentaire. Et si on continue sur cette voie, non seulement le destin de nos approvisionnements alimentaires peut être soumis de plus en plus aux évolutions du marché mondial, aux risques de pénuries ou à d’autres incidents géopolitiques, et les acheteurs de la restauration collective devront faire de multiples pirouettes pour acheter des produits de qualité et d’origine France. Cette période de crise et cette volonté politique affichée doivent donc nous permettre d’imaginer une souveraineté alimentaire responsable comportant de nouvelles manières de nous organiser pour acheter et consommer tout en réduisant nos impacts environnementaux. « Nous devons remettre de la valeur dans des chaînes de valeur qui en détruisent », souligne le député Frédéric Descrozaille. « La grande consommation alimentaire fonctionne comme un sablier, 330 000 exploitations agricoles, quelques dizaines de milliers d’entreprises de transformation, et au milieu six centrales d’achat3 ». Même si la restauration collective ne représente que 7% du marché alimentaire global en France (contre 70% pour la grande distribution), c’est le seul secteur de la restauration hors-foyer qui s’engage à améliorer nos modes de consommation alimentaire grâce aux objectifs de la loi Egalim. Ne pouvons-nous pas aller plus loin grâce à la commande publique et à tous les acteurs de la restauration collective ? Ne pouvons-nous pas imaginer d’ajouter une disposition législative, une loi Egalim, qui viserait les achats alimentaires de la restauration collective pour soutenir la souveraineté alimentaire ? J’imagine alors que la restauration collective deviendrait, par effet d’entraînement, la référence du modèle alimentaire français.

Laurent Terrasson

 

1 « La souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire son alimentation de base en respectant la diversité culturelle et agricole. Nous avons le droit de produire notre propre alimentation sur notre territoire. La souveraineté alimentaire est une condition préalable d’une véritable sécurité alimentaire ».

2 Source : Itavi / Eurostat et SSP, Mapama, Defra, Destatis, Istat

3 Frédéric Decrozaille, député Renaissance ayant présenté une proposition de loi sur l’encadrement des promotions et les négociations commerciales entre les industriels et la grande distribution.