29 Juin
DOSSIER "LE HANDICAP AU TRAVAIL"

Si les programmes d'inclusion en direction des personnes en situation de handicap prennent des formes différentes selon les sociétés de restauration, ils ont un point commun, détenir une place de plus en plus importante dans les politiques RSE. Nombreuses sont les actions visant à retenir les talents, à en attirer de nouveaux, comme à faire évoluer les mentalités.

Les principaux opérateurs de la restauration collective ont commencé à déployer des politiques en direction des personnes handicapées peu après la promulgation de la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances. Dans son programme d’inclusion des diversités et de tous les talents, Compass Group France s’attache à déployer depuis plus de 10 ans « une dynamique humaine respectueuse des singularités de chacun ». Si la Mission handicap de ce groupe a été créée en 2018, le handicap est un sujet de préoccupation pour l’entreprise depuis 2005, sans que cela ait été formalisé. De la même manière, « depuis ses origines, Sodexo fait de la RSE mais de manière informelle et non systématique » comme le souligne Alain Masson, responsable RSE au sein du groupe. Et de préciser : « nous nous sommes engagés sur la thématique du handicap depuis 2006 grâce à un Accord handicap qui a permis de créer une Mission handicap ».

Chez Compass, depuis 2019, l'entreprise est signataire d’un accord handicap agréé par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) et l’ensemble de ses partenaires sociaux.

Maintien et formation

Parmi les objectifs de toutes ces politiques, le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Les entreprises ont donc imaginé toute une panoplie de solutions. Il peut ainsi être question de temps partiel ou de mi-temps, de l’achat de matériel spécifique, de réorganisation de l’espace de travail, de financement de petits appareillages (matériels auditifs, souris et claviers ergonomiques, etc.), ou bien encore de l'affectation à un poste plus adapté. La formation est aussi un axe fort des politiques déployées dans le domaine du handicap. Selon Thierry Dufief, responsable de la Mission handicap Compass Group France : « La meilleure manière de gérer la carrière d’un collaborateur en situation d’handicap est de considérer d’abord ses compétences, son savoir, savoir-faire, savoir-être ». Il est aussi primordial de respecter le principe d’égalité des chances, tout en tenant compte des contraintes ou restrictions medicales de la personne concernée. Une personne autiste a des compétences, mais elles ne sont pas les mêmes que celles développées par une personne valide. Dans tous les cas, « il faut parfois adapter les objectifs et donner les moyens de les atteindre. Pour cette raison, tous nos managers sont formés. » Les missions handicaps vont souvent bien plus loin, en assurant une aide dans les démarches administratives. « Nous menons un important travail de renouvellement de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) », poursuit Thierry Dufief. Cette reconnaissance est attribuée pour une durée de 1 à 10 ans ou de manière définitive si le handicap est irréversible. « En novembre 2021, nous avons ainsi récupéré 150 reconnaissances qui étaient proches de l'expiration. Nous avons mis en place des mesures spécifiques pour ces collaborateurs en situation de handicap, par exemple un entretien professionnel tous les deux ans au lieu de cinq, afin de vérifier que le poste est toujours adapté. »

Sensibilisation de tous

Pour Alain Masson, la clé du succès d'une politique handicap réside également dans la sensibilisation des tous les collaborateurs. « Sensibiliser l'ensemble des collaborateurs sur les situations de handicap est indispensable. Pour être la plus efficace possible, notre communication prend différentes formes, notamment via les réseaux sociaux. Mais ce qui fonctionne le mieux reste la plaquette dédiée et la newsletter. Cela passe par une sensibilisation aux particularités des personnes en situation de handicap, en insistant sur les conséquences des pathologies plus que sur ces dernières. S’il est important de soutenir les aménagements de postes de travail que chaque service peut être amené à réaliser, il est essentiel de prendre en compte la dimension humaine. Il s'agit d'un véritable travail de pédagogie. »

Communication interne et externe

Ce cadre pédagogique se retrouve dans le kit d’accueil (description synthétique de l'accord agréé, contacts, démarches, etc.) en cours de préparation chez Compass, et les nouvelles pages du site internet dédié à la Mission handicap accessible depuis décembre 2022. Cette communication se veut aussi externe, avec pour objectif d'attirer de nouveaux talents.

La majeure partie des sociétés de restauration s'impliquent dans des actions telles que la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées et/ou les Duodays, qui font découvrir leurs métiers à des personnes en situation de handicap et débouchent sur la signature de contrats de stages et de CDI.

Collaborations plus inclusives

Des actions plus ciblées se développent, à l'image de la collaboration avec des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou les entreprises adaptées (EA) dans le cadre d'achats inclusifs, comme l’explique Alain Masson : « Sodexo a ainsi accru ses achats inclusifs en 2021, et lancé le programme Impact+, qui permet d’accompagner le développement des fournisseurs engagés dans l’économie inclusive. Car si des programmes d’achats inclusifs sont en place depuis plusieurs années, ce nouveau dispositif favorise directement le développement des entreprises inclusives. Deux collaborateurs de Sodexo sont en effet chargés, l’un des aspects achats, l’autre des aspects business, et partagent conseils et expériences avec les dirigeants des entreprises intégrées dans le programme. »

Identification de tous les handicaps

Autre axe d’amélioration au sein des entreprises, l'identification du handicap en interne. « Trop souvent des collaborateurs craignent de déclarer leur handicap » insiste Thierry Dufief. Et les situations sont très variées. Au-delà d’un handicap moteur, visuel ou auditif, des maladies telles que le cancer, le diabète, la sclérose en plaques, les maladies de l’appareil digestif, le VIH, entraînent des problèmes de santé et des incapacités nécessitant une prise en charge et ayant des répercussions sur le travail. Ces maladies invalidantes sont officiellement reconnues depuis 2005 comme un handicap. Sur ce sujet, Alain Masson reconnaît : « Après toutes ces années de politique en entreprise, nous sommes toujours obligés de communiquer, notamment parce que 80% des handicaps sont invisibles, il faut en permanence parler de ce sujet et surtout l’intégrer dans le monde du travail ».

Croissance des intégrations

Un monde du travail encore globalement frileux. Au niveau national, le taux d'emploi est de 3,5% (chiffres Dares 2022). « Depuis la création de la Mission handicap au sein de l’entreprise, le taux d’employabilité des personnes en situation de handicap a augmenté de plus de 1% », atteste Thierry Dufief. « Il était situé à 3% en 2018. Nous avons atteint 4,95% fin 2021 et certainement 6% fin 2022. L’augmentation de ce taux d’employabilité est due tout autant au nombre de personnes identifiées et déclarées en interne qu’aux nouveaux recrutements. Nous avons pour objectifs de recruter 100 collaborateurs en situation de handicap d’ici fin 2024 et de faire baisser de 10% le taux des licenciements pour inaptitude. »

Chez Sodexo, le taux d'emploi est en constante progression. Il était de 6,09% en 2022. Selon Alain Masson, tous les types de postes sont concernés : « L'engagement de l'ensemble de la ligne hiérarchique est indispensable et c'est le cas chez nous. Nous avons réussi à embarquer tout le monde, car si c'est juste l'appétence d'une petite équipe ce n'est pas suffisant. Le handicap n'est pas la thématique principale de la RSE, il faut le reconnaître. Il y a encore beaucoup à faire, notamment pour déconstruire les stéréotypes. Mais nous ne lâchons pas l'affaire. Travailler sur un tel sujet est valorisant. C’est pour ça que je me lève tous les matins. »

De son côté Thierry Dufief souligne : « Je me sers de mon vécu. Je suis arrivé chez Compass en 1998 en tant que commis de cuisine avant de devenir chef de production en 2002. C’est à cette période que j’ai perdu l’usage de mon bras droit dans un accident de moto.  Compass Group et mon responsable de secteur ont fait le choix de me garder dans les effectifs en tant qu’adjoint de directeur de site, puis chef de secteur. Aujourd’hui, je suis responsable de la Mission handicap depuis novembre 2022. Le handicap est un sujet transversal, qui doit impliquer tous les collaborateurs. Ce n'est pas du marketing, ce n'est pas pour faire joli. Nous devons faire évoluer les choses, même si le combat va encore durer des années. Avec les autres sociétés de restauration, nous échangeons nos pratiques et confrontons nos expériences. Il n'est absolument pas question de concurrence sur un tel sujet. » Il s’agit bien de partage d’expériences et d’enrichissement philanthropique.

Hélène Dorey