29 Juin
DOSSIER "LE HANDICAP AU TRAVAIL"

Le constat du Défenseur des droits est sans appel. Le critère du handicap est, depuis plusieurs années, le premier motif de saisine en matière de discrimination, celle-ci se manifestant en particulier dans l’accès à l'emploi. Si des avancées sont à signaler, le recrutement des personnes en situation de handicap reste globalement problématique, tout comme le maintien dans l'emploi et la garantie d'une carrière.

Soyons précis, la notion de handicap est à différencier de la notion de handicap au travail. L’article L.5213-1 du Code du travail dispose que « Est considéré comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique. » Le handicap recouvre une multiplicité de situations : handicap visible, invisible, physique, mental, psychique, etc. Faute de données unifiées entre les différents services de reconnaissance des handicaps, déterminer la part exacte de la population en situation de handicap en France est mission impossible. Selon l'enquête de l'Insee « Emploi 2020 », 5,6 millions de personnes en activité (au chômage ou employées) âgées de 15 à 64 ans déclarent être en situation de handicap, ou avoir une maladie ou un problème de santé affectant leur vie quotidienne. Parmi ces 5,6 millions de Français, un peu moins de la moitié sont reconnus comme souffrant d’un handicap ou d’une perte d’autonomie par l’administration. Demander la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), c’est faire reconnaître officiellement par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) son aptitude au travail, suivant ses capacités liées au handicap. Cette reconnaissance s’accompagne d’une orientation vers un établissement ou service d’aide par le travail, vers le marché du travail ou vers un centre de rééducation professionnelle (CRP).
Mais, pour obtenir la RQTH, il faut parvenir à déposer un dossier complet à l'administration dédiée et c'est, une fois encore, un vrai parcours du combattant. Qui plus est, les délais d’examen des dossiers sont très longs, même pour les renouvellements - le délai moyen est en effet compris entre 4 et 18 mois.

Juridiquement, le maintien dans l’emploi est défini par l’article L.5213-6 du Code du travail : « Afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés [...] les employeurs prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs [...] d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, sous réserve que les charges consécutives à la mise en œuvre de ces mesures ne soient pas disproportionnées, compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur. » Depuis 1987, les entreprises de plus de 20 salariés ont une obligation d’emploi de travailleurs handicapés, qui s‘élève à 6% de leurs effectifs. Celles qui ne respectent pas ce niveau minimal sont soumises à une contribution financière, comprise entre 400 et 600 fois le SMIC horaire par bénéficiaire manquant. Les dispositions ne se limitent pas à l'embauche des personnes en situation de handicap. Elles prévoient également un maintien de l’emploi de toute personne présentant une inaptitude (ou même un risque d’inaptitude) pour son poste de travail, et ce en prenant toutes les mesures nécessaires aux besoins du travailleur (aménagement du poste, des locaux de l’entreprise, etc.). Trente-six ans après, quelle est la situation ? La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a publié, en novembre 2022, les chiffres 2021 de l'emploi des travailleurs handicapés. Le taux d’emploi est resté stable en 2021, atteignant 3,3% pour les entreprises de 20 à 49 salariés contre 4,5% pour celles de 250 à 499 salariés et 6,1% pour celles de 2 500 salariés ou plus. Ainsi, 35% des entreprises de 2 500 salariés ou plus atteignent le seuil qui leur est imposé contre 25% de celles comptant entre 100 et 2 499 salariés. Entre les grandes entreprises -  mieux informées, plus habituées et donc mieux armées face à ces situations - et les PME (99% des entreprises en France), les difficultés relevées par l’étude n'étaient pas les mêmes. Ainsi, plus l’entreprise est petite, plus il lui sera compliqué de trouver les acteurs en mesure de l'accompagner pour trouver des solutions.

Du côté du nombre de demandeurs d’emploi, celui-ci est passé en dessous du seuil des 500 000 pour la première fois en novembre 2019 (chiffres Dares) et n’a pas cessé de diminuer avec, fin décembre 2021, 474 170 personnes inscrites à Pôle emploi contre 515 530 en décembre 2018. Le taux de chômage atteint 14% (8% tout public) contre 18% en 2018 (9% en tout public). Les embauches des personnes en situation de handicap ont augmenté de 26% en un an. Cette dynamique se retrouve également dans les chiffres de l’apprentissage puisqu’ entre 2019 et 2021, le nombre d’apprentis en situation de handicap a bondi de 79%, passant de 4 562 à 8 159, grâce à des incitations essentiellement financières.

En revanche, les actifs en situation de handicap exercent une variété de métiers plus réduite. Dans une étude parue en 2023, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a constaté que 20 professions représentaient 37% de l’emploi des personnes handicapées, contre seulement 25% pour les autres actifs. Un phénomène qui s’observe dans le secteur privé comme dans le public, mais plus fortement chez les femmes (52% des postes occupés dans les 20 professions les plus répandues contre 36% pour les hommes), les jeunes et les non-diplômés (59% et 58% respectivement). En outre, seulement 8% des personnes handicapées occupent un poste de cadre, soit 2,3 fois moins que pour les autres actifs.

D'après une étude de la Fondation Handicap Malakoff-Humanis publiée en 2021, le premier frein à l'embauche réside dans le regard que les salariés concernés portent sur leur handicap. Ils éprouvent notamment des difficultés à admettre que leur invalidité les rend inaptes (ou moins efficaces) à certaines tâches, à évoquer ces difficultés avec leurs collègues, leur hiérarchie ou les ressources humaines. Selon le cinquième baromètre Agefiph-IFOP sur la perception de l’emploi des personnes en situation de handicap, paru en décembre 2022, 61% des personnes interrogées déclarent qu’elles n’ont pas signalé leur situation sur leur CV, par crainte que cela ne leur soit préjudiciable. Près de la moitié des répondants ayant mentionné leur handicap sur le CV ou lors de l’entretien d’embauche constatent que cela avait constitué « plutôt un frein ». Pourtant, les recruteurs conseillent majoritairement aux candidats d'évoquer leur handicap lors des entretiens d'embauche, voire même dès le CV. L'étude pointe toutefois une « évolution générationnelle » sur cette question, les jeunes s’avérant plus enclins à mentionner leur handicap. Ainsi, 73% des plus de 65 ans indiquent ne l'avoir jamais fait contre 52% des moins de 25 ans.

Les entreprises s'engagent de différentes manières. Elles rejoignent des communautés (Les entreprises s’engagent, Le Manifeste Inclusion, entre autres) et participent à des événements comme le DuoDay. Un temps fort de la semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, dont le principe est le suivant : une entreprise, une collectivité ou une association accueille, à l'occasion d'une journée nationale, une personne en situation de handicap, en duo avec un professionnel. Une opportunité unique de découvrir un métier, une entreprise et de dépasser les préjugés. La dernière édition du DuoDay, qui s'est déroulée le 18 novembre 2022, a battu tous les précédents records, aussi bien celui du nombre d'employeurs inscrits sur la plateforme de l'événement (11 506, soit + 26% par rapport à l'édition 2021), que celui du nombre de personnes en situation de handicap inscrites (30 165, soit +13% par rapport à 2021) ou du nombre de duos enregistrés (20 746, soit + 22% par rapport à l'édition 2021). « Le DuoDay est désormais une journée identifiée par tous les employeurs pour recruter de nouveaux talents. Avec près de 20% de débouchés professionnels, c'est un outil essentiel pour atteindre le plein-emploi des personnes en situation de handicap » constate Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, chargée des Personnes handicapées. À en croire la 5e édition du baromètre Agefiph-Ifop de 2022, 62% des dirigeants seraient prêts à embaucher une personne en situation de handicap. Un taux qui s'accroît selon la taille de l'entreprise, s'élevant à plus de 92% dans celles qui comptent 20 salariés et plus. Une nette amélioration déjà observée lors des deux précédentes vagues. Les employeurs sont de plus en plus nombreux à mettre en place une politique handicap, parfois ambitieuse, estimant que celle-ci est facteur de progrès, tant pour la performance de l’entreprise que pour les enjeux de qualité de vie au travail (QVT), de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), de stratégie « marque employeur » pour attirer des talents, etc.  Une évolution encouragée par des tensions de recrutement qui perdurent. En effet, depuis six mois, 77% des recruteurs rencontrent des difficultés pour pouvoir leurs postes vacants. Dans ce contexte, deux tiers d'entre eux déclarent qu'ils pourraient « s'ouvrir à de nouveaux profils ». Les résultats de l'étude révèlent toutefois « le caractère discriminant de la taille de la structure », les dirigeants des plus petites se montrant bien plus réservés (57% pour celles embauchant un à neuf salariés contre 97% pour celles de 100 salariés et plus). Tout comme les grandes entreprises, celles ayant été accompagnées par l'Agefiph sont plus nombreuses à envisager l'embauche d'un travailleur en situation de handicap (78%).

 

En 2024, Pôle emploi disparaîtra au profit de France Travail et Cap emploi au profit de France Travail handicap. Les associations et les personnes handicapées s'interrogent sur cette bascule. Le gouvernement se veut rassurant et affirme que celle-ci permettra d'améliorer la formation, l'insertion professionnelle et la recherche d'emploi grâce à une meilleure coordination entre les différents acteurs concernés. France Travail assure qu'il « a intégré pleinement dans ses réflexions les spécificités des personnes en situation de handicap », en y associant les acteurs dédiés (l'Agefiph, le Fiphfp, les Caf, les CPAM, etc.). Des propositions sont intéressantes, comme celle d'offrir à toutes les personnes en situation de handicap qui le nécessitent de bénéficier d'un accompagnement vers l'emploi. Avant sa généralisation, cette proposition devra faire l'objet d'un pilote mené dans plusieurs départements.
Autre mesure tout aussi intéressante, garantir que l'offre de formation de France Travail soit accessible à tout demandeur d'emploi handicapé. Un pilote devrait être lancé en 2023 dans quelques départements. Sans oublier cette autre mesure qui consiste à garantir que France Travail favorise la rencontre entre recruteurs et demandeurs d'emploi. Une expérimentation devrait être lancée en 2023 dans quelques agences pour tester le système d'information et mesurer ses effets sur le retour à l'emploi. Ces initiatives seront-elles vraiment suivies d'effets ? Les associations de personnes handicapées émettent des doutes. Les termes « un pilote devrait être lancé », « une expérimentation devrait être lancée » peuvent effectivement laisser planer un doute. Une enquête récente menée par l’Agefiph et l’Ifop révèle que moins d’une personne handicapée sur cinq pense que le plein-emploi peut être atteint d’ici à 2027.

Les différents gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, ont tous fait du handicap une de leurs priorités. Les démarches spécifiques visant à favoriser l'emploi des personnes en situation de handicap s'enchaînent depuis plusieurs décennies. Selon Elisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, « les décisions prises depuis 2017 pour améliorer l’insertion des personnes en situation de handicap dans l’emploi et l’engagement de l’ensemble des acteurs mobilisés sur le sujet ont permis une vraie amélioration. Nous devons poursuivre ce combat et ne pas relâcher nos efforts ». La 6e Conférence nationale du handicap (CNH), qui a eu lieu le 26 avril, a été l’occasion pour le gouvernement Macron d’affirmer ses ambitions en la matière pour les années à venir. La question du handicap « doit être une question naturelle et au cœur de toutes les politiques publiques et de ce qui fait la vie de la nation ». Parmi les mesures promises, les 120 000 salariés qui travaillent en ESAT (Établissement et service d'aide par le travail) devraient disposer, comme tout autre salarié, de tous les droits sociaux, le droit de grève, le droit à la représentation syndicale ou la complémentaire santé. « Il n'est pas admissible non plus que ces travailleurs ne soient rémunérés qu'à 60% du SMIC ». Là encore, les associations émettent des réserves et regrettent « beaucoup de flou », « beaucoup de déclarations d'intention sans calendrier », mais ne demandent qu'à croire à la concrétisation de ces mesures.