Table ronde : L'accessibilité de ce service au public - Défis & Controverses de la restauration collective -

Le 29/10/2019

Quelles attentes sociales et sociétales pour la restauration collective, pour lutter contre la précarité alimentaire et agir pour le

droit au bien manger pour tous ?

L'accessibilité à la restauration collective doit se poser lorsque l'on fait le constat de l'augmentation de la paupérisation dela population, des déséquilibres alimentaires, de la population des séniors grandissante, en particulier au regard du nombrede services de restauration effectués en restauration scolaire.

Témoignage de Jacques Pélissard, Maire de Lons-le-Saulnier

Jean-Louis Cabrespines, membre du CESE - cohésion sociale et territoriale et vie associative, ancien président du Conseil

national des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire

Isabelle Maincion, Maire de la Ville-aux-Clercs, co-présidente du groupe de travail restauration scolaire de l’association desMaires de France

Dominique Paturel, chercheuse, Institut national de la recherche agronomique

 

Témoignage  de Jacques Pélissard

Notre expérience de Lons-le-Saunier, dont je suis le maire depuis quelques décennie, est transversale. Au commencement était une histoire d'eau, de nappes phréatiques. Constatant que nos réserves en eau étaient polluées par des nitrates, des pesticides, des intrants qui avaient percolés dans la nappe phréatique, nous avons chercher une solution pour agir en amont.

Tout d'abord, avec un de mes adjoints,Jacques Lançonqui était adjoint de l'environnement et du développement durable, nous avons mis en place des conventions avec les agriculteurs, puis ensuite, il a eu le courage d'accepter de construire ensemble des dispositifs environnementaux assez pertinents, cela depuis 30 ans. Le mécanisme de l'offre et de la demande fonctionne toujours bien. Quand il y a une demande forte, cela permet de proposer une offre responsable et adaptée à la demande. C'est ainsi que nous avons structuré la demande en matière de restauration municipale.

Nous avons voulu doper la demande en matière de restauration collective et sociale tous azimuts. Pour le scolaire, nous avons créé un syndicat qui permet de desservir les écoles dans les communes périphériques, un vaste réseau autour de Lons. Deuxième étape, nous avons fusionné la cuisine municipale et la cuisine hospitalière.. Les deux cuisines ont été réunies en une seule, en une cuisine centrale que j'ai fait construire. Troisième chose, nous avons développé le portage des repas à domicile dans la ville et élargie à toute la périphérie autour de Lons. C'est ainsi qu'en 2018, nous arrivons à produire 1,5 million de repas pour servir les écoles, l'hôpital, les personnes âgées, les Ephad, les administrations, quelques comités d'entreprise, des personnes du centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), ce qui permet d'avoir une demande massive, pérenne et solvable, puisque la ville par hypothèse est solvable.

Cette demande a généré une offre de produits bio. Ayant développé la culture du bio autour de Lons, dont le blé, qui est moulu localement, nous avons commencé à servir du pain bio, puis des laitages en lien avec l'école nationale de l'industrie laitière de Poligny, puis du bœuf bio -les montbéliardes étant abattues à l'abattoir municipal.A partir de 2015, nous avons installé une légumerie, avec des personnes qui viennent de l'APEI, conçue comme une plateforme pour accueillir les produits d'une dizaine de maraîchers locaux, près de 200 tonnes par an.Nous avons eu des difficultés avec le code des marchés publics car nous avons favorisé les produits de proximité.Le bio c'est bien, mais s'il vient de l'extrémité de la planète, cela n'a aucun intérêt. Nous avons trouvé une solution intéressante pour le bœuf que nous achetions sur pieds. Par la suite, le code des marchés publics a été modifié. L'Association des Maires de France s'en est occupée, et ce code de 2011 nous a permis, pour la filière agroalimentaire, de privilégier la proximité.

Aujourd'hui, nous avons créé un dispositif qui fonctionne bien avec trois éléments que je tiens à souligner. Premièrement, si l'on souhaite avoir une restauration qui fonctionne bien, il faut que les prix soient maîtrisés. Notre coût denrée est de 1,95€ par repas parce que nous avons réussi à créer des filières avec les agriculteurs, des rapports de confiance, année après année. Nous fixons à l'avance un prix à l'année pour les produits et on n'y déroge pas. Les agriculteurs sont certains d'avoir la garantie de leur recette et nous sommes certains de ne pas avoir de dérapage en terme de prix. En  matière de fluides et de frais fixes divers et variés, nous sommes à 0,48 € par repas, avec une recherche permanente d'économie d'énergie. Nous faisons par exemple des cuissons de nuit. Nous avons une soixantaine de salariés, et le coût de personnel est à 1,61 € en moyenne sur le prix de repas parce que nous avons atteint la taille critique, la taille optimale, pour un prix moyen de repas de 4 €. Cette taille nous permet d'avoir des diététiciennes, une productivité par équivalent temps plein intéressante : 87 repas produits par équivalent temps plein. Notre personnel est bien formé, et tout cela encadré avec Didier Thévenet qui est aussi vice-président de l'association Agores.

Deuxièmement, il faut qu'il y ait une éducation à l'alimentation. Au début de chaque repas, il y a un élève qui est désigné pour lire le menu et l'animatrice commente le menu, comment c'est préparé, l'origine des produits... Sur le site internet de la ville, il y a un mois à l'avance les menus que tout un chacun peut consulter. Les parents peuvent aussi choisir des menus pour leur enfant, par exemple des menus sans viande, et plus encore, nous leur préconisons des menus pour le soir en fonction de ce que les enfants ont mangé. Nous avons vraiment mis en place un accompagnement des parents à l’éducation alimentaire des enfants.

Troisièmement, la restauration collective est ouverte à tous, tous les citoyens de Lons-le-Saunier. Je pense que c'est intéressant d'avoir cette ouverture, cette confrontation, et ce véritable lien social. Il y a des tables de 6 personnes ce qui y contribue aussi. Un restaurant c'est un lieu où l'on discute, on échange, ce qui est essentiel dans une démocratie. La réussite de ce restaurant municipal m'a été confirmé récemment parce qu'une de mes amies m'a conseillé de faire des chèques cadeaux pour offrir aux parents d'aller à la restauration municipale. Cela prouve l'intérêt pour les habitants de ce lieu à la fois de qualité alimentaire et de convivialité.

Par rapport aux restaurateurs privés, je leur ai précisé que ce service ne fonctionnait que le midi. Nous refusons donc même tout service traiteur le soir. Les associations me demandent souvent ce service, mais je réponds qu'il y a aussi un secteur privé qui doit fonctionner.

Ce type de restaurant n'est pas duplicable comme cela. Pour moi, il faut une taille suffisante. Pour servir 1,5 million de repas, nous drainons sur un périmètre relativement étendu dans le département du Jura. Pour gérer la restauration, j'ai créé un syndicat mixte qui regroupe la ville, le CCAS, le syndicat qui assure le portage des repas dans les communes périphériques, l'hôpital, ainsi que le Conseil Départemental auquel nous servons des repas. Le syndicat mixte permet d'avoir une bonne souplesse et une bonne association des différents partenaires au fonctionnement de la structure.

Jean-Louis Cabrespines : travaillant dans le champ de l'économie sociale et solidaire, je considère que la question de la relation créée au moment du repas pour les personnes qui participent à ces repas, est essentielle.  Ces moments de convivialité dans lesquels on peut se retrouver et créer du lien. Pour moi une des missions lorsque l'on est une association ou une collectivité, c'est aussi de créer toutes les opportunités qui vont permettre aux personnes de se rencontrer et de s'apprendre mutuellement. Du côté des associations, j'ai regardé la première cantine qui a été créée, ce serait à Lannion. Le maire aurait créé la première cantine parce qu'il avait constaté qu'il y avait une partie de la population qui ne mangeait pas à sa faim. Très vite, on constate dans cette expérience qu'il y a eu une organisation locale et les associations ont répondu à ce besoin. Elles ont été très rapidement impliqué à la fois dans la fabrication des repas, dans ce que çà signifie l'égalité alimentaire pour chacun. Aujourd'hui, j'aborderai la question de la place des associations en restauration collective autour de 3 axes. Tout d'abord l'approche éducative qui permet aux enfants à différencier les aliments, on la retrouve dans les centres de vacances, les centres de loisir. Le 2e axe, c'est l'utilisation de la cuisine comme outil d'insertion. Il a des entreprises d'insertion quasi concurrentielles de certaines SRC, je pense au groupe Id'ees à Dijon, le groupe Sos, ou encore les Tables de Cana. Ce matin, nous avons mentionné le chiffre de 3.500 associations qui interviennent dans la restauration collective, et je trouve cela très intéressant, parce que cela montre l'importance du secteur associatif dans ce domaine, et cela montre l'investissement qu'il peut y avoir.

Dans les appels d'offres ou dans les conventions pour la gestion de la restauration,en temps scolaires et périscolaires, de nombreuses associations interviennent. Ici, on dépasse à chaque fois la question de la restauration même, parce que cette volonté de donner aux personnes de se rencontrer, est à mon avis un élément primordial de ce que l'on peut faire.

Je vais prendre l'exemple d'une ville proche de chez moi, Saint-Apollinaire, une ville périphérique de Dijon. Ils ont créé un centre intergénérationnel, où les personnes âgées et les enfants se retrouvent au moment du repas. Cela aide les personnes âgées dans leur propre vie, et cela fait découvrir aux enfants des personnes âgées. C'est bien cela le plus important.

Dans les centres de loisirs ou de vacances, la possibilité qui est donnée aux jeunes de participer à l'élaboration des repas me semble primordiale, parce que l'éducation passe aussi par là. Cela crée au delà de la convivialité des apprentissages et une autre manière de manger. Dans le cadre de l'éducation populaire, je trouve les séjours de découverte à la ferme important. Cela permet de découvrir l'origine des aliments et représente un des éléments de lien avec les aliments.

J'ai constaté que la DRAAF Rhône-Alpes avait édité un guide de la restauration collective pour développer les dons aux associations caritatives. J'espère que cela puisse se diffuser sur tous les territoires car c'est un bon exemple de la collaboration qui peut exister entre les acteurs de la restauration collective et le monde associatif.

Isabelle Maincion : lorsqu'en 2003, l'AMF m'a envoyé siéger à un groupe de travail autour du PNNS, et des communes, cela m'a entraîné à une réflexion autour de la restauration collective scolaire. Dans ma commune de 1.350 habitants, j'ai hérité d'un système un peu particulier : un syndicat scolaire avec deux autres communes de 200 et 300 habitants et un seul lieu de restauration. L'école est à 100 mètres de la maison de retraite et c'est la maison de retraite qui sert de cuisine centrale. Estimant qu'il n'y avait pas énormément de passerelles entre la maison de retraite et l'école, nous avons mis en place un concours de cuisine afin de pouvoir imaginer les limites de l'acceptabilité des recettes pour ces deux populations. Cela a donné lieu à de grands repas, à un livre de recettes, à des échanges intergénérationnels très enrichissants, et surtout, cela a donné envie aux cuisiniers d'aller plus loin.

Il faut jouer en équipe, et nous devons tous jouer le jeu, être impliqués, les parents comme les enseignants, les élus comme les cuisiniers. Les enfants sont allés voir les agriculteurs, les éleveurs. Lorsqu'ils savent d'où çà vient, il n'y a plus de gaspillage, plus de restes.

Maintenant, en temps que représentante de l'AMF, nous, les élus, sommes entrés dans une complexité folle. Nous avions fait un vrai sujet sur la restauration scolaire, la laïcité, le lien social, le cultuel, le philosophique, le culturel, tout ce que cela entrainait et qui était la part de la responsabilité de la collectivité. A chaque fois que l'on aborde un sujet, celui de la restauration revient. C'est tellement transversal. Cette restauration collective et sociale est en lien avec l'agriculture, les ressources humaines, l'environnement, etc. En tant qu’élus, nous revenons régulièrement devant nos électeurs pour savoir si nous sommes en accord. Si cela ne va pas, nous sommes sanctionnés. Nous sommes regardés sur ce que nous faisons, et nous le faisons en équipe. Nous sommes sous le feu de la critique, y compris de notre personnel. Mais, nous sommes dans l'action, et si nous pouvons montrer de beaux exemples, c'est parce que les élus ont imaginé avec leur entourage, ces solutions. Et beaucoup de ces solutions qui sont apporté dans différents textes de lois, sont issues des expérimentations que nous faisons dans le territoire.

Dominique Paturel : La question de la démocratie alimentaire est une revendication des citoyens à reprendre la main sur la façon d’accéder à l’alimentation dans sa reconnexion à l’agriculture. Ainsi émerge un terreau particulièrement propice à la construction d’une nouvelle citoyenneté. Grâce à leurs décisions et non plus leurs simples actes d’achat, les individus agissent sur l’évolution de leur système alimentaire.Dans ce contexte, faut-il élargir le rôle de la restauration collective ?La restauration collective est un levier intéressant sur la question de l'accès à l'alimentation, mais avant d’aborder cette question, rappelons que nous avons aujourd'hui, 5,5 millions de nos concitoyens qui accèdent à l'alimentation par l'aide alimentaire. C'est un peu plus de 8% de la population française, et nous allons vers 10 millions de personnes probablement, sachant que ce 5,5 millions à doubler en moins de dix ans.

Nous avons donc des enjeux autour de l'égalité dans l'accès à l'alimentation, ce qui est rarement pris en compte. On l'aborde dans la question de l'équité, mais l'équité cela ne fait pas forcément l'égalité. Par exemple à travers ces initiatives qui existent sur les territoires, mais on ne voit pas souvent des. Je travaille beaucoup avec des centres communaux d'actions sociales, en particulier sur tous les projets alimentaires des territoires, et ce que j'entend c'est que ces populations en ont ras le bol qu'on leur bassine les oreilles avec les questions d'éducation à l'alimentation. Ils ont des difficultés d'accès à certains produits comme les produits frais. Pour eux, dans ces questions, il y a  un enjeu autour de la dignité. La France est un pays particulier, nous faisons le choix de distribuer des produits alimentaires issus du gaspillage, en plus grâce à une loi sur le gaspillage. Je n'ai rien contre le fait que l'on travaille la question du gaspillage, mais il paraît normal pour tout le monde que les destinataires soient cette population.

On a une population qui est confrontée non seulement à des questions de précarité, mais en plus des formes de mépris social dans le fait de cette question de l'accès à l'alimentation, uniquement à partir de ce que les autres ne veulent pas. Ce traitement là en direction de cette population pose des problèmes d'égalité, d'où l'enjeu du droit à l'alimentation que vous avez évoqué ce matin.

Et là, remarquons que nous faisons parti des pays qui n'appliquent pas le droit à l'alimentation. Nous sommes en France dans ce paradoxe et ces difficultés majeures, qui est d'un côté, d'essayer de faire avancer ces enjeux autour de l'alimentation durable pour l'ensemble de la population, et en même temps, nous avons des pratiques qui remontent au début des années 80.

Vous voyez bien qu'en direction de cette population là, la question de la restauration collective est un enjeu extrêmement important. Comment on va ouvrir cette possibilité pour une partie de cette population pour accéder à une alimentation correcte ? Ce n'est pas juste une question de prix. C'est un changement assez important du modèle alimentaire. 50 ans d'un modèle alimentaire basé sur une alimentation ultra-transformée, avec peu de produits frais, une place pour la viande, qui n'est pas toujours de la viande, de façon extrêmement importante. Cela ne va pas changer du jour au lendemain. Ce n'est pas juste le problème de cette population sur laquelle on se focalise, 5,5 millions de personnes, mais le problème de 80% de la population française. Les étudiants du Crous représentent aussi une population extrêmement fragile autour de ces habitudes alimentaires, et là que se passe-t-il pour ces jeunes ? Le témoignage de ce matin disait que c'était une population très versatile, qui changeait d'avis régulièrement, mais qu’en est-il de l'offre alimentaire proposée dans les Crous ? A-t-on essayé d'emmener ces étudiants vers une alimentation plus diversifiée ? Tout cela pour vous dire qu'autour de ces histoires d'accès à l'alimentation pour tous, l'enjeu est extrêmement important, en particulier par le biais de cet outil que représente la restauration collective.

Isabelle Maincion : De mon côté, j'ai construit une cuisine pédagogique, une manière pour nous d'apprendre aux enfants à cuisiner. Demain, des enfants viennent avec quelques parents. Reprenant les propos de Dominique Paturel, je trouve effectivement  méprisant de donner les aliments, les restes que nous ne mangeons pas. Pour ma part, j'avais imaginé, étant donné que mes 28% de logements sociaux possèdent tous un petit jardin, de créer des cours de jardinage avec les enfants pour amener les parents à s'occuper de ces jardins, reconnaissant qu'ils ont là une ressource. Mais je n'ai pas trouvé la solution. Nous avons planté des pommiers, des poiriers, à l'école, espérant que cela puisse fournir du frais à beaucoup de gens, mais je ne sais pas quel sera le succès. Le cerisier un échec. Personne ne les mange.

Jacques Pélissard : En tant qu’élu d'un département rural,  je peux témoigner que la connaissance de la terre est plus facile qu'en zone urbaine. Chaque enfant a un parent proche agriculteur. L'histoire de la production alimentaire est mieux connue. Parfois nous présentons des produits peu connus. Nous avons une dynamique qui s'est mise en place, un marché bio qui s'est créé, des AMAP, des grandes surfaces spécialisées, et tout cela a irrigué les populations. C'est une culture qui s'est insérée dans l'achat alimentaire des habitants, et la restauration collective est au coeur de ce projet alimentaire.

Jean-Louis Cabrespines : à la base de loisir d'Auxonne, nous accueillons 2 à 3.000 jeunes des quartiers sensibles de Dijon, tous les ans. C'est le lieux où il y a tous les marchés du coin. Nous faisons la cuisine avec les jeunes, par équipe et ils vont rencontrer les maraîchers. Nous leur apprenons le tri sélectif. Le constat que nous avons fait, est qu'ils réapprennent aux parents à manger autrement. L'éducation alimentaire vient par là. Et je pense que c'est par là que la restauration collective doit agir. Reconsidérer la place du repas.

Jacques Pélissard : nous avons fait des jardins partagés sur certains plats de bande de la ville. Les habitants de toute situation, de toute âge, y compris des jeunes, se donnent des plans, partagent sur l'espace publics des éléments de potager qui vont servir à chacun et chacune.

Dominique Paturel : je suis embêtée car on fait comme si le modèle alimentaire, les pratiques, n'était pas en train de changer de manière fondamentale. Certes, nous avons un modèle français, 3 repas par jour, on s'assoit autour de la table, on mange ensemble, etc. Sauf que la réalité n'est pas tout à fait celle là. Je ne suis pas convaincue que vous fassiez tous la cuisine en rentrant chez vous ce soir. Il faut être réaliste, nous sommes dans un modèle qui a évolué avec un certain nombre de personnes qui mangent beaucoup dehors, et peu à la maison. Arrêtons peut-être de parler d'un monde qui n'existe plus. Cela veut dire que le rôle de la restauration collective est au contraire très important et  que l'on pourrait réfléchir à la façon dont nous pourrions utiliser la restauration collective, plus que simplement au-cours des 4 repas de midi par semaine. Nous avons aujourd'hui des petites communes qui proposent des restaurations y compris le soir. Il y a pleins de gens qui veulent des potagers, mais jusqu'à preuve du contraire, ces potagers ne permettent pas de se nourrir complètement, et il y a plein de gens qui n'ont pas envie.

Jean Philippe Milesy : ce que l'on présente comme des modes d'évolutions, traduisent très mal une dépréciation des modes de vie. C'est la mal vie qui génère la malbouffe et nous le constatons un peu partout. Que pensez-vous de la provocation par Paul Ariès "lettres aux mangeurs de viande", d'une gratuité de l'alimentation, d'une alimentation considérée comme sociale, assurée par des sociétés aussi riche que les nôtres, et demandant de travailler sur une expérimentation générale avec la restauration scolaire et hospitalière ?

Dominique Paturel : nous venons d'animer un séminaire qui a duré un an, qui s'appelait Démocratie Alimentaire et nous sommes plusieurs à faire trois propositions. Tout d'abord, faire en sorte que le droit à l'alimentation soit effectif en France. Or, en France, pour qu'un droit soit effectif il faut une loi, et nous trouverions très bien que cela soit dans la Constitution.

Deuxièmement, il faut la régularisation de l'État pour ces questions d'accès à l'alimentation, et cela veut dire un service public de l'alimentation, pas au sein du ministère de l'Agriculture, mais un vrai service de l'alimentation avec une approche transversale.

Enfin, nous proposons une sécurité sociale de l'alimentation, une chose assez proche de ce que propose Paul Ariès, réfléchit sur la question de l'accès à tous, mais aussi réfléchi par rapport à la question de la santé et des effets sur la santé. Nous sommes plusieurs à travailler sur despropositions précises.

Xavier Corval; dirigeant d'Eqosphère :Les restes sont destinés aux pauvres, est une vision réductrice et nous sommes plusieurs en France, depuis 2012 notamment, à accompagner la professionnalisation de la réduction du gaspillage par la gestion du don. Je voudrais relier aussi le défi environnemental avec l'amélioration de la qualité de l'alimentation en restauration collective et la lutte contre la précarité. Nous sommes sur des stratégies qu'il faut absolument affirmer ou les économies que l'on génère sur la réduction du gaspillage doivent être orientée vers l'amélioration de la qualité de l'alimentation en restauration collective, pour éviter que les économies prévues soient affectées ou prévues d'être affectées à l'achat de médicaments supplémentaires par exemple dans les établissements de santé. Nous devons affirmer des stratégies globales de la réduction du gaspillage aux économies générées jusqu'à l'amélioration de la qualité de l'alimentation. Les coûts qui sont évoqués du repas qui peuvent être augmentés par des impératifs d'achats de bio, de circuits de proximité, etc. ils peuvent conduire parfois certaines stratégies à réduire le  nombre de repas distribués par les cantines scolaires. Je l'ai entendu de certains maires qui nous disent qu'avec 40% de gaspillage alimentaire, cela coûte trop cher à la commune, et finalement, on peut désorienter les enfants de la cantine, tant mieux pour les finances de la commune. Une alerte qui est intéressante à prendre en compte.

Sur la co-construction des politiques publiques, très souvent, j'ai été amené à constater qu'il y a des objectifs sociétaux qui sont définis par les pouvoirs publics sur lesquels tout le monde peut s'accorder, mais en réalité il n'y a pas de co-construction des moyens pour y parvenir. Et je me posais la question si par exemple Interfel, la Fnsea avaient été questionnées par les parlementaires, préalablement à la promulgation de la loi pour dire, voilà nos objectifs, comment est-ce que vous pensez y arriver ?

Est-ce qu'il ne faudrait pas créer un secrétariat d'État où un ministère délégué à la Restauration Collective contenu de la multiplicité des enjeux qui sont liés à la transformation de cette restauration collective au profit de la société ?

Isabelle Maincion : oui, au niveau des communes, nous sommes les ordonnateurs, les acheteurs, les gestionnaires, même si nous déléguons, mais nous avons l'entière responsabilité de notre restauration. Je rappelle que c'est un service facultatif. Par contre quand il existe, il devient un service public, à tel point que maintenant il y a eu une législation qui dit que l'on doit accueillir tout le monde. Aucun maire n'a voulu laisser quelqu'un de côté, mais en milieu urbain, il y a quand même des situations qui ont fait que les locaux ne permettent pas de recevoir tous les enfants. Nous devons respecter un certain nombre de critères, comme les mètres carrés, le nombre de personnes encadrantes... Il faut ajouter à cela 30% de baisse des dotations. Des communes ont des problèmes énormes de gestion. Le moindre euro est très tendu. L'État ne nous donne pas forcément les moyens de financer les nouvelles lois.

S'il n'y a pas de mutualisation pour faire de la restauration collective une ressource comme l'a fait Jacques Pélissard, cela ne sera pas possible. Pour moi, la restauration collective va complètement être modifiée. Je préconise les regroupements avec l'hôpital, mais j'ai du mal à me projeter. Lamontée de la qualité est une volonté, mais il faut lever les freins pour favoriser notre agriculture,et 2022, c'est trop court !

Jean-Louis Cabrespines : nous devrions avoir un environnement physique et relationnel qui permette de faire de ce moment de restauration collective, un moment de convivialité, d'échange, de détente. Cela dépasse la relation professionnelle ou scolaire. Nous devrions penser cette pause méridienne comme un moment de vie sociale, de lieu d'apprentissage, du vivre ensemble. Cela veut dire aussi que les professionnels doivent avoir la formation pour pouvoir permettre cette alchimie.

Jacques Pélissard :  la législation française permet d'avoir une restauration collective de bonne qualité, par contre, nous avons quelques scories que nous devrions évacuer, comme ce que je vis actuellement. Nous n'avons pas le même régime en terme de TVA sur le portage des repas par le syndicat que j'ai créé, et la fabrication des repas (et la distribution). Nous devrions tendre à une forme d'uniformisation. Sinon, on entretient la multiplicité de structures, alors qu'une structure globale aurait une cohérence et serait plus efficace.

Dominique Paturel : la restauration collective est un levier extrêmement important sur ces questions d'égalité et d'accès à l'alimentation. Tout ce qui va se réfléchir, tout ce qui se met en place à l'échelle des territoires, est nécessaire pour penser cette égalité. Si je dis cela c'est parce que l'alimentation est un marqueur de pauvreté assez important qui est complètement absent de la statistique. Cela veut dire aussi pour que cette restauration collective prenne sa place et soit soutenue,  qu’elle ne repose pas seulement sur les maires.

L'autre cuisine