Brèves

29 Juin
DOSSIER "LE HANDICAP AU TRAVAIL"

Si les programmes d'inclusion en direction des personnes en situation de handicap prennent des formes différentes selon les sociétés de restauration, ils ont un point commun, détenir une place de plus en plus importante dans les politiques RSE. Nombreuses sont les actions visant à retenir les talents, à en attirer de nouveaux, comme à faire évoluer les mentalités.

Les principaux opérateurs de la restauration collective ont commencé à déployer des politiques en direction des personnes handicapées peu après la promulgation de la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances. Dans son programme d’inclusion des diversités et de tous les talents, Compass Group France s’attache à déployer depuis plus de 10 ans « une dynamique humaine respectueuse des singularités de chacun ». Si la Mission handicap de ce groupe a été créée en 2018, le handicap est un sujet de préoccupation pour l’entreprise depuis 2005, sans que cela ait été formalisé. De la même manière, « depuis ses origines, Sodexo fait de la RSE mais de manière informelle et non systématique » comme le souligne Alain Masson, responsable RSE au sein du groupe. Et de préciser : « nous nous sommes engagés sur la thématique du handicap depuis 2006 grâce à un Accord handicap qui a permis de créer une Mission handicap ».

Chez Compass, depuis 2019, l'entreprise est signataire d’un accord handicap agréé par la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS) et l’ensemble de ses partenaires sociaux.

Maintien et formation

Parmi les objectifs de toutes ces politiques, le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap. Les entreprises ont donc imaginé toute une panoplie de solutions. Il peut ainsi être question de temps partiel ou de mi-temps, de l’achat de matériel spécifique, de réorganisation de l’espace de travail, de financement de petits appareillages (matériels auditifs, souris et claviers ergonomiques, etc.), ou bien encore de l'affectation à un poste plus adapté. La formation est aussi un axe fort des politiques déployées dans le domaine du handicap. Selon Thierry Dufief, responsable de la Mission handicap Compass Group France : « La meilleure manière de gérer la carrière d’un collaborateur en situation d’handicap est de considérer d’abord ses compétences, son savoir, savoir-faire, savoir-être ». Il est aussi primordial de respecter le principe d’égalité des chances, tout en tenant compte des contraintes ou restrictions medicales de la personne concernée. Une personne autiste a des compétences, mais elles ne sont pas les mêmes que celles développées par une personne valide. Dans tous les cas, « il faut parfois adapter les objectifs et donner les moyens de les atteindre. Pour cette raison, tous nos managers sont formés. » Les missions handicaps vont souvent bien plus loin, en assurant une aide dans les démarches administratives. « Nous menons un important travail de renouvellement de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) », poursuit Thierry Dufief. Cette reconnaissance est attribuée pour une durée de 1 à 10 ans ou de manière définitive si le handicap est irréversible. « En novembre 2021, nous avons ainsi récupéré 150 reconnaissances qui étaient proches de l'expiration. Nous avons mis en place des mesures spécifiques pour ces collaborateurs en situation de handicap, par exemple un entretien professionnel tous les deux ans au lieu de cinq, afin de vérifier que le poste est toujours adapté. »

Sensibilisation de tous

Pour Alain Masson, la clé du succès d'une politique handicap réside également dans la sensibilisation des tous les collaborateurs. « Sensibiliser l'ensemble des collaborateurs sur les situations de handicap est indispensable. Pour être la plus efficace possible, notre communication prend différentes formes, notamment via les réseaux sociaux. Mais ce qui fonctionne le mieux reste la plaquette dédiée et la newsletter. Cela passe par une sensibilisation aux particularités des personnes en situation de handicap, en insistant sur les conséquences des pathologies plus que sur ces dernières. S’il est important de soutenir les aménagements de postes de travail que chaque service peut être amené à réaliser, il est essentiel de prendre en compte la dimension humaine. Il s'agit d'un véritable travail de pédagogie. »

Communication interne et externe

Ce cadre pédagogique se retrouve dans le kit d’accueil (description synthétique de l'accord agréé, contacts, démarches, etc.) en cours de préparation chez Compass, et les nouvelles pages du site internet dédié à la Mission handicap accessible depuis décembre 2022. Cette communication se veut aussi externe, avec pour objectif d'attirer de nouveaux talents.

La majeure partie des sociétés de restauration s'impliquent dans des actions telles que la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées et/ou les Duodays, qui font découvrir leurs métiers à des personnes en situation de handicap et débouchent sur la signature de contrats de stages et de CDI.

Collaborations plus inclusives

Des actions plus ciblées se développent, à l'image de la collaboration avec des établissements et services d'aide par le travail (ESAT) ou les entreprises adaptées (EA) dans le cadre d'achats inclusifs, comme l’explique Alain Masson : « Sodexo a ainsi accru ses achats inclusifs en 2021, et lancé le programme Impact+, qui permet d’accompagner le développement des fournisseurs engagés dans l’économie inclusive. Car si des programmes d’achats inclusifs sont en place depuis plusieurs années, ce nouveau dispositif favorise directement le développement des entreprises inclusives. Deux collaborateurs de Sodexo sont en effet chargés, l’un des aspects achats, l’autre des aspects business, et partagent conseils et expériences avec les dirigeants des entreprises intégrées dans le programme. »

Identification de tous les handicaps

Autre axe d’amélioration au sein des entreprises, l'identification du handicap en interne. « Trop souvent des collaborateurs craignent de déclarer leur handicap » insiste Thierry Dufief. Et les situations sont très variées. Au-delà d’un handicap moteur, visuel ou auditif, des maladies telles que le cancer, le diabète, la sclérose en plaques, les maladies de l’appareil digestif, le VIH, entraînent des problèmes de santé et des incapacités nécessitant une prise en charge et ayant des répercussions sur le travail. Ces maladies invalidantes sont officiellement reconnues depuis 2005 comme un handicap. Sur ce sujet, Alain Masson reconnaît : « Après toutes ces années de politique en entreprise, nous sommes toujours obligés de communiquer, notamment parce que 80% des handicaps sont invisibles, il faut en permanence parler de ce sujet et surtout l’intégrer dans le monde du travail ».

Croissance des intégrations

Un monde du travail encore globalement frileux. Au niveau national, le taux d'emploi est de 3,5% (chiffres Dares 2022). « Depuis la création de la Mission handicap au sein de l’entreprise, le taux d’employabilité des personnes en situation de handicap a augmenté de plus de 1% », atteste Thierry Dufief. « Il était situé à 3% en 2018. Nous avons atteint 4,95% fin 2021 et certainement 6% fin 2022. L’augmentation de ce taux d’employabilité est due tout autant au nombre de personnes identifiées et déclarées en interne qu’aux nouveaux recrutements. Nous avons pour objectifs de recruter 100 collaborateurs en situation de handicap d’ici fin 2024 et de faire baisser de 10% le taux des licenciements pour inaptitude. »

Chez Sodexo, le taux d'emploi est en constante progression. Il était de 6,09% en 2022. Selon Alain Masson, tous les types de postes sont concernés : « L'engagement de l'ensemble de la ligne hiérarchique est indispensable et c'est le cas chez nous. Nous avons réussi à embarquer tout le monde, car si c'est juste l'appétence d'une petite équipe ce n'est pas suffisant. Le handicap n'est pas la thématique principale de la RSE, il faut le reconnaître. Il y a encore beaucoup à faire, notamment pour déconstruire les stéréotypes. Mais nous ne lâchons pas l'affaire. Travailler sur un tel sujet est valorisant. C’est pour ça que je me lève tous les matins. »

De son côté Thierry Dufief souligne : « Je me sers de mon vécu. Je suis arrivé chez Compass en 1998 en tant que commis de cuisine avant de devenir chef de production en 2002. C’est à cette période que j’ai perdu l’usage de mon bras droit dans un accident de moto.  Compass Group et mon responsable de secteur ont fait le choix de me garder dans les effectifs en tant qu’adjoint de directeur de site, puis chef de secteur. Aujourd’hui, je suis responsable de la Mission handicap depuis novembre 2022. Le handicap est un sujet transversal, qui doit impliquer tous les collaborateurs. Ce n'est pas du marketing, ce n'est pas pour faire joli. Nous devons faire évoluer les choses, même si le combat va encore durer des années. Avec les autres sociétés de restauration, nous échangeons nos pratiques et confrontons nos expériences. Il n'est absolument pas question de concurrence sur un tel sujet. » Il s’agit bien de partage d’expériences et d’enrichissement philanthropique.

Hélène Dorey

29 Juin
DOSSIER "LE HANDICAP AU TRAVAIL"

Derrière la différence se cache un véritable trésor trop souvent inexploré. Olivier Tran, le créateur de Biscornu, en a toujours été persuadé, mais il fallait convaincre. Convaincre des chefs et des dirigeants d'entreprises que des jeunes en situation de handicap pouvaient travailler dans la restauration et proposer des prestations de qualité. Retour sur un projet exceptionnel.

Comme tant d'aventures, celle de Biscornu est née d’une colère. Celle d'un père, Olivier Tran, dont le fils Alexandre, porteur de troubles autistiques sévères, se retrouvait dans une impasse sans école ni structure spécialisée pour l'accueillir. Olivier Tran a donc décidé de quitter son travail afin de pouvoir se consacrer à 100% à son projet : créer des emplois pour des jeunes en situation de handicap. La restauration s'est imposée d’elle-même. « C’est un domaine universel, où solidarité et partage nous réunissent », affirme Olivier Tran.

Le projet est construit autour de deux structures complémentaires. La première est l’association Afuté. Un nom qui ne doit rien au hasard puisque Afuté signifie Association pour la formation universelle aux tâches élémentaires. Cette association a pour but de former les jeunes en situation de handicap, notamment grâce à une méthode d'apprentissage par illustrations qui s’affranchit de mots (dessins et vidéos uniquement), et indique ce qu'on attend d'eux. Par exemple, éplucher un légume, couper une viande, préparer une sauce… et bien sûr, comment réaliser cette tâche. Les porteurs de troubles du spectre autistique ont des difficultés à mémoriser. Avec cette méthode, ils savent ce qu'ils ont à faire. Une méthode unique, qui permet à tous d’apprendre, sans savoir lire ou écrire.

Les formations sont assurées par deux chefs et se déroulent dans la cuisine du restaurant du personnel de la ville de Colombes (Hauts de Seine). Comme les participants bénéficient d'une convention de formation, l'enseignement est gratuit.

« Notre premier contact a été téléphonique, 30 minutes de discussion », se souvient, José Villarroel, alors Directeur général du syndicat intercommunal CoCliCo, chargé de la restauration collective territoriale des villes de Colombes et Clichy. « Nous nous sommes rapidement rencontrés et nous avons parlé pendant deux heures. Tout de suite j'ai eu envie de participer à cette aventure humaine. Mais comment l'accompagner ? Les maires des deux villes et les élus du SIVU ont d’emblée accepté ma proposition de prêter leurs locaux et le matériel de notre unité centrale de production alimentaire. Les équipes produisant de 6h du matin à 14h, nous ouvrons donc nos portes à Biscornu à partir de 14h. Il est impossible d'assurer une formation et de faire cohabiter deux équipes et des fabrications différentes, pendant le même temps de production. Notre accompagnement va même plus loin, en participant et en accompagnant notamment les équipes de Biscornu sur des expertises comme le choix et la dégustation des recettes élaborées par des chefs étoilés, mais aussi sur les aspects réglementaires en vigueur ou encore sur les techniques de pasteurisation. » 

La seconde entité se nomme Biscornu. Une entreprise de l’économie sociale et solidaire. Là encore, le nom ne doit rien au hasard. Les verrines qui sont fabriquées dans l’unité centrale de production alimentaire des villes de Colombes et de Clichy se veulent elles aussi atypiques. Les commis qui les préparent travaillent le plus possible des fruits et légumes bio déclassés parce que hors calibre, abîmés ou tordus et qui, sinon, finiraient à la poubelle. Une prestation engagée, sans compromis sur le goût car ces produits possèdent évidemment les mêmes qualités nutritionnelles ou organoleptiques que les autres et ils ne sont pas moins bons. Afin de réduire au maximum l’empreinte écologique de son activité́, l'entreprise fait autant que possible appel à des producteurs locaux (90% origine France métropolitaine pour ses verrines). Ces dernières, qui sont en verre, ont été choisies pour répondre à un enjeu de réutilisation. Biscornu travaille pour remettre la consigne au goût du jour afin de valoriser toute la chaîne. Les jeunes porteurs de handicap sont salariés en CDI et sont rémunérés au smic.

Comment un homme seul a-t-il réussi en à peine deux ans à embarquer avec lui autant d'acteurs ? « Olivier n'a pas eu de difficultés à nous convaincre puisqu'il nous a prouvé qu'il était possible pour des jeunes en situation de handicap d'assurer un service traiteur d'excellence. Intégrer une start-up dans un système administratif public est une première et une belle réussite », affirme José Villarroel.

Rapidement, plusieurs entreprises franciliennes (Mazars, Scor, MSD, etc.) disposant d'un restaurant ont également ouvert leurs cuisines aux heures où elles ne sont pas utilisées. Les grands noms de la restauration collective (Sodexo, Elior, Compass) leur ont emboîté le pas. Les parrains chefs étoilés ont immédiatement joué le jeu et des partenariats ont été noués avec les meilleurs ouvriers de France. Le chef étoilé Jimmy Coutel a été le premier à élaborer des recettes. Désormais, c'est Jean-Marie Courtel, ancien chef du Café Joyeux des Champs Elysées, qui est aux commandes. « À la différence de la plupart des restaurants classiques, où on laisse vite de côté́ ceux qui n’avancent pas aussi vite que les autres, en les mettant à la plonge ou au café, nous n’abandonnons personne sur le bord de la route. Il faut qu’ils soient tous considérés. On les pousse, et ils aiment cela. Si l’un des jeunes ne comprend pas ce que je lui demande de faire, c’est que je lui ai mal expliqué. »  Les chefs cuisiniers s’adaptent à leurs commis et non l'inverse.

« La difficulté́ ne se situe pas dans le handicap », poursuit Olivier Tran.  « Elle se niche dans notre capacité collective à exclure ce qui est différent. Il faut rendre le handicap visible et accueillir l'autre tel qu'il est et ne pas le juger à l'emporte-pièce. D'ailleurs, la méthode d'apprentissage que nous avons mise au point gomme les différences. »

Selon José Villaroel, « Le secteur de la restauration n'en fait pas assez. Beaucoup de dirigeants sont dans le discours façade, mais le plus souvent, ils ne font pas grand-chose. Il est temps de travailler ensemble, même si parfois ce n'est pas facile. Il faut changer les modèles existants, être davantage à l'écoute. Intégrer dans une équipe un jeune autiste permet d'avoir une autre vision du handicap. Il est temps de créer un nouveau mode de pensée, de réfléchir sur notre métier. Plutôt que d'inclusivité, je parle d’hybridation (notion issue des travaux de recherche de Gabriel Halperne, docteur en philosophie) car nous travaillons ensemble, avec ces jeunes. C'est important pour la restauration collective de participer à ce type de projet qui a du sens. » 

Aujourd'hui, Biscornu compte plus de trente salariés en CDI et une quarantaine de serveurs en situation de handicap et mobilisables sur des événements. L’association propose en effet une offre traiteur, qui a déjà séduit plus de 70 groupes tels que Natixis, Chanel, Bpifrance, la Fédération française de rugby, FDJ, etc. Orange va encore plus loin, puisque Biscornu est désormais chargée de la restauration et du service lors des événements du groupe. L’entreprise vient également de décrocher le contrat des réceptions de la centaine d’institutions rattachées à Matignon (Cnil, Conseil d’État, Cese…) qui va lui garantir 450.000 euros de chiffre d’affaires de plus par an, l’équivalent de quatre mois d’activité. « Sur un tel contrat, nous étions en concurrence directe avec les plus gros traiteurs d'Île de France. Alors, si nous avons emporté le contrat c'est bien parce que nous proposons une prestation d'excellence », souligne Olivier Tran.

Selon le Plan Autisme 2018-2022 et un rapport de la Cour des comptes, moins de 5% des adultes autistes ont un emploi en milieu ordinaire. Au-delà des chiffres, ce qu'entend prouver cette démarche est que tout est possible. Il faut tout faire pour installer ces jeunes à la place qui est la leur, au cœur de la société. Olivier Tran et ses biscornus ont de grands projets, notamment de dupliquer le modèle au niveau national et de former des jeunes jusqu'à 30 ans à différents métiers grâce à l’association Afuté. Biscornu, quant à elle, se trouve à l'avant garde et ne demande qu'à grandir et à être rejoint par des acteurs de tous horizons. À quand des biscornus dans les cuisines des restaurants d'entreprise de Lille, Lyon ou Marseille... ?

Hélène Dorey

 

Les premiers locaux de Biscornu

Pionnière en Europe par sa dimension et ses méthodes, la ferme urbaine d'aquaponie de Colombe produira à la fois des légumes, des fruits, des algues et élèvera même des poissons. Des aliments produits sans engrais chimiques ni pesticides, qui seront destinés en priorité aux habitants de Colombe et distribués en circuits courts auprès des particuliers, dans les restaurants scolaires ou de proximité et les magasins spécialisés. Lieu de recherche et d’innovation, cette ferme urbaine va contribuer au dynamisme de Biscornu, puisque l’entreprise y installera au premier étage sa propre cuisine. Aujourd’hui, sur un autre poste de Directeur général, José Villarroel accompagne toujours Biscornu et Afuté dans leurs différents projets, dont la construction de cet atelier. 

 

29 Juin
DOSSIER "LE HANDICAP AU TRAVAIL"

Le constat du Défenseur des droits est sans appel. Le critère du handicap est, depuis plusieurs années, le premier motif de saisine en matière de discrimination, celle-ci se manifestant en particulier dans l’accès à l'emploi. Si des avancées sont à signaler, le recrutement des personnes en situation de handicap reste globalement problématique, tout comme le maintien dans l'emploi et la garantie d'une carrière.

Soyons précis, la notion de handicap est à différencier de la notion de handicap au travail. L’article L.5213-1 du Code du travail dispose que « Est considéré comme travailleur handicapé toute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l’altération d’une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique. » Le handicap recouvre une multiplicité de situations : handicap visible, invisible, physique, mental, psychique, etc. Faute de données unifiées entre les différents services de reconnaissance des handicaps, déterminer la part exacte de la population en situation de handicap en France est mission impossible. Selon l'enquête de l'Insee « Emploi 2020 », 5,6 millions de personnes en activité (au chômage ou employées) âgées de 15 à 64 ans déclarent être en situation de handicap, ou avoir une maladie ou un problème de santé affectant leur vie quotidienne. Parmi ces 5,6 millions de Français, un peu moins de la moitié sont reconnus comme souffrant d’un handicap ou d’une perte d’autonomie par l’administration. Demander la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), c’est faire reconnaître officiellement par la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) son aptitude au travail, suivant ses capacités liées au handicap. Cette reconnaissance s’accompagne d’une orientation vers un établissement ou service d’aide par le travail, vers le marché du travail ou vers un centre de rééducation professionnelle (CRP).
Mais, pour obtenir la RQTH, il faut parvenir à déposer un dossier complet à l'administration dédiée et c'est, une fois encore, un vrai parcours du combattant. Qui plus est, les délais d’examen des dossiers sont très longs, même pour les renouvellements - le délai moyen est en effet compris entre 4 et 18 mois.

Juridiquement, le maintien dans l’emploi est défini par l’article L.5213-6 du Code du travail : « Afin de garantir le respect du principe d’égalité de traitement à l’égard des travailleurs handicapés [...] les employeurs prennent, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs [...] d’accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l’exercer ou d’y progresser ou pour qu’une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, sous réserve que les charges consécutives à la mise en œuvre de ces mesures ne soient pas disproportionnées, compte tenu des aides qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l’employeur. » Depuis 1987, les entreprises de plus de 20 salariés ont une obligation d’emploi de travailleurs handicapés, qui s‘élève à 6% de leurs effectifs. Celles qui ne respectent pas ce niveau minimal sont soumises à une contribution financière, comprise entre 400 et 600 fois le SMIC horaire par bénéficiaire manquant. Les dispositions ne se limitent pas à l'embauche des personnes en situation de handicap. Elles prévoient également un maintien de l’emploi de toute personne présentant une inaptitude (ou même un risque d’inaptitude) pour son poste de travail, et ce en prenant toutes les mesures nécessaires aux besoins du travailleur (aménagement du poste, des locaux de l’entreprise, etc.). Trente-six ans après, quelle est la situation ? La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a publié, en novembre 2022, les chiffres 2021 de l'emploi des travailleurs handicapés. Le taux d’emploi est resté stable en 2021, atteignant 3,3% pour les entreprises de 20 à 49 salariés contre 4,5% pour celles de 250 à 499 salariés et 6,1% pour celles de 2 500 salariés ou plus. Ainsi, 35% des entreprises de 2 500 salariés ou plus atteignent le seuil qui leur est imposé contre 25% de celles comptant entre 100 et 2 499 salariés. Entre les grandes entreprises -  mieux informées, plus habituées et donc mieux armées face à ces situations - et les PME (99% des entreprises en France), les difficultés relevées par l’étude n'étaient pas les mêmes. Ainsi, plus l’entreprise est petite, plus il lui sera compliqué de trouver les acteurs en mesure de l'accompagner pour trouver des solutions.

Du côté du nombre de demandeurs d’emploi, celui-ci est passé en dessous du seuil des 500 000 pour la première fois en novembre 2019 (chiffres Dares) et n’a pas cessé de diminuer avec, fin décembre 2021, 474 170 personnes inscrites à Pôle emploi contre 515 530 en décembre 2018. Le taux de chômage atteint 14% (8% tout public) contre 18% en 2018 (9% en tout public). Les embauches des personnes en situation de handicap ont augmenté de 26% en un an. Cette dynamique se retrouve également dans les chiffres de l’apprentissage puisqu’ entre 2019 et 2021, le nombre d’apprentis en situation de handicap a bondi de 79%, passant de 4 562 à 8 159, grâce à des incitations essentiellement financières.

En revanche, les actifs en situation de handicap exercent une variété de métiers plus réduite. Dans une étude parue en 2023, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) a constaté que 20 professions représentaient 37% de l’emploi des personnes handicapées, contre seulement 25% pour les autres actifs. Un phénomène qui s’observe dans le secteur privé comme dans le public, mais plus fortement chez les femmes (52% des postes occupés dans les 20 professions les plus répandues contre 36% pour les hommes), les jeunes et les non-diplômés (59% et 58% respectivement). En outre, seulement 8% des personnes handicapées occupent un poste de cadre, soit 2,3 fois moins que pour les autres actifs.

D'après une étude de la Fondation Handicap Malakoff-Humanis publiée en 2021, le premier frein à l'embauche réside dans le regard que les salariés concernés portent sur leur handicap. Ils éprouvent notamment des difficultés à admettre que leur invalidité les rend inaptes (ou moins efficaces) à certaines tâches, à évoquer ces difficultés avec leurs collègues, leur hiérarchie ou les ressources humaines. Selon le cinquième baromètre Agefiph-IFOP sur la perception de l’emploi des personnes en situation de handicap, paru en décembre 2022, 61% des personnes interrogées déclarent qu’elles n’ont pas signalé leur situation sur leur CV, par crainte que cela ne leur soit préjudiciable. Près de la moitié des répondants ayant mentionné leur handicap sur le CV ou lors de l’entretien d’embauche constatent que cela avait constitué « plutôt un frein ». Pourtant, les recruteurs conseillent majoritairement aux candidats d'évoquer leur handicap lors des entretiens d'embauche, voire même dès le CV. L'étude pointe toutefois une « évolution générationnelle » sur cette question, les jeunes s’avérant plus enclins à mentionner leur handicap. Ainsi, 73% des plus de 65 ans indiquent ne l'avoir jamais fait contre 52% des moins de 25 ans.

Les entreprises s'engagent de différentes manières. Elles rejoignent des communautés (Les entreprises s’engagent, Le Manifeste Inclusion, entre autres) et participent à des événements comme le DuoDay. Un temps fort de la semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, dont le principe est le suivant : une entreprise, une collectivité ou une association accueille, à l'occasion d'une journée nationale, une personne en situation de handicap, en duo avec un professionnel. Une opportunité unique de découvrir un métier, une entreprise et de dépasser les préjugés. La dernière édition du DuoDay, qui s'est déroulée le 18 novembre 2022, a battu tous les précédents records, aussi bien celui du nombre d'employeurs inscrits sur la plateforme de l'événement (11 506, soit + 26% par rapport à l'édition 2021), que celui du nombre de personnes en situation de handicap inscrites (30 165, soit +13% par rapport à 2021) ou du nombre de duos enregistrés (20 746, soit + 22% par rapport à l'édition 2021). « Le DuoDay est désormais une journée identifiée par tous les employeurs pour recruter de nouveaux talents. Avec près de 20% de débouchés professionnels, c'est un outil essentiel pour atteindre le plein-emploi des personnes en situation de handicap » constate Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées, chargée des Personnes handicapées. À en croire la 5e édition du baromètre Agefiph-Ifop de 2022, 62% des dirigeants seraient prêts à embaucher une personne en situation de handicap. Un taux qui s'accroît selon la taille de l'entreprise, s'élevant à plus de 92% dans celles qui comptent 20 salariés et plus. Une nette amélioration déjà observée lors des deux précédentes vagues. Les employeurs sont de plus en plus nombreux à mettre en place une politique handicap, parfois ambitieuse, estimant que celle-ci est facteur de progrès, tant pour la performance de l’entreprise que pour les enjeux de qualité de vie au travail (QVT), de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), de stratégie « marque employeur » pour attirer des talents, etc.  Une évolution encouragée par des tensions de recrutement qui perdurent. En effet, depuis six mois, 77% des recruteurs rencontrent des difficultés pour pouvoir leurs postes vacants. Dans ce contexte, deux tiers d'entre eux déclarent qu'ils pourraient « s'ouvrir à de nouveaux profils ». Les résultats de l'étude révèlent toutefois « le caractère discriminant de la taille de la structure », les dirigeants des plus petites se montrant bien plus réservés (57% pour celles embauchant un à neuf salariés contre 97% pour celles de 100 salariés et plus). Tout comme les grandes entreprises, celles ayant été accompagnées par l'Agefiph sont plus nombreuses à envisager l'embauche d'un travailleur en situation de handicap (78%).

 

En 2024, Pôle emploi disparaîtra au profit de France Travail et Cap emploi au profit de France Travail handicap. Les associations et les personnes handicapées s'interrogent sur cette bascule. Le gouvernement se veut rassurant et affirme que celle-ci permettra d'améliorer la formation, l'insertion professionnelle et la recherche d'emploi grâce à une meilleure coordination entre les différents acteurs concernés. France Travail assure qu'il « a intégré pleinement dans ses réflexions les spécificités des personnes en situation de handicap », en y associant les acteurs dédiés (l'Agefiph, le Fiphfp, les Caf, les CPAM, etc.). Des propositions sont intéressantes, comme celle d'offrir à toutes les personnes en situation de handicap qui le nécessitent de bénéficier d'un accompagnement vers l'emploi. Avant sa généralisation, cette proposition devra faire l'objet d'un pilote mené dans plusieurs départements.
Autre mesure tout aussi intéressante, garantir que l'offre de formation de France Travail soit accessible à tout demandeur d'emploi handicapé. Un pilote devrait être lancé en 2023 dans quelques départements. Sans oublier cette autre mesure qui consiste à garantir que France Travail favorise la rencontre entre recruteurs et demandeurs d'emploi. Une expérimentation devrait être lancée en 2023 dans quelques agences pour tester le système d'information et mesurer ses effets sur le retour à l'emploi. Ces initiatives seront-elles vraiment suivies d'effets ? Les associations de personnes handicapées émettent des doutes. Les termes « un pilote devrait être lancé », « une expérimentation devrait être lancée » peuvent effectivement laisser planer un doute. Une enquête récente menée par l’Agefiph et l’Ifop révèle que moins d’une personne handicapée sur cinq pense que le plein-emploi peut être atteint d’ici à 2027.

Les différents gouvernements, qu'ils soient de droite ou de gauche, ont tous fait du handicap une de leurs priorités. Les démarches spécifiques visant à favoriser l'emploi des personnes en situation de handicap s'enchaînent depuis plusieurs décennies. Selon Elisabeth Borne, ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, « les décisions prises depuis 2017 pour améliorer l’insertion des personnes en situation de handicap dans l’emploi et l’engagement de l’ensemble des acteurs mobilisés sur le sujet ont permis une vraie amélioration. Nous devons poursuivre ce combat et ne pas relâcher nos efforts ». La 6e Conférence nationale du handicap (CNH), qui a eu lieu le 26 avril, a été l’occasion pour le gouvernement Macron d’affirmer ses ambitions en la matière pour les années à venir. La question du handicap « doit être une question naturelle et au cœur de toutes les politiques publiques et de ce qui fait la vie de la nation ». Parmi les mesures promises, les 120 000 salariés qui travaillent en ESAT (Établissement et service d'aide par le travail) devraient disposer, comme tout autre salarié, de tous les droits sociaux, le droit de grève, le droit à la représentation syndicale ou la complémentaire santé. « Il n'est pas admissible non plus que ces travailleurs ne soient rémunérés qu'à 60% du SMIC ». Là encore, les associations émettent des réserves et regrettent « beaucoup de flou », « beaucoup de déclarations d'intention sans calendrier », mais ne demandent qu'à croire à la concrétisation de ces mesures.

22 Juin

Lorsque Cédric Prévost1 a évoqué la Snanc, lors du dernier salon Agores en mai à Auch, tout le monde s’est regardé. Parlait-il Shadok ? Mais à en croire l’actualité, nous devrions entendre de plus en plus cet acronyme qui signifie « stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat », en particulier en restauration collective. Aux origines de cette stratégie, les membres de la Convention citoyenne pour le climat qui proposaient en 2019 de « réfléchir sur un modèle de politique commerciale d’avenir soucieux d’encourager une alimentation saine et une agriculture faible en émissions de gaz à effet de serre en France2 ». Cette proposition de la Convention citoyenne a été reprise dans la loi Climat et résilience de 2021 en venant modifier le code rural et de la pêche maritime dans l’article 265 (Titre VI)3. Ce texte précise que la stratégie nationale doit déterminer les orientations de la politique de l'alimentation durable, favorisant les systèmes alimentaires territoriaux, garantissant la souveraineté alimentaire, et les orientations de la politique de la nutrition, en s'appuyant sur le programme national pour l'alimentation (PNA) et sur le programme national relatif à la nutrition et à la santé (PNNS). Rappelons que le PNA prend en compte notamment la justice sociale, l'éducation alimentaire de la jeunesse et la lutte contre le gaspillage alimentaire. Et pour assurer la souveraineté alimentaire et cet « ancrage territorial », le PNA précise « les modalités permettant d'associer les collectivités territoriales à la réalisation de ces objectifs ». Ce qui, entre parenthèses, apparait comme étant de moins en moins le cas (voir à la page 6 l’étude de Cantines responsables et C-Ways). Revenons à la Snanc. Encore méconnue, cette nouvelle stratégie suscite déjà beaucoup d’attentes de la société civile. Le 15 mai, pas moins de 70 organisations environnementales et de santé publique, et des associations, dont l’Association française des diététiciens-nutritionnistes (AFDN), ont publié une lettre ouverte à la Première ministre, Elisabeth Borne, pour demander que la Snanc « énonce clairement des objectifs ambitieux et précis pour la transition de notre alimentation » et « planifie des politiques structurelles tout au long de la chaîne alimentaire » en faisant de l’accès pour tous à une alimentation durable une priorité. Un tel ralliement et une telle adhésion de la société civile sont chose rare. Et sans nul doute, la pression monte pour le gouvernement mais aussi pour les instances professionnelles de notre système alimentaire. Le 5 avril, la contribution4 du Conseil national de l’alimentation (CNA) à la Snanc a été adoptée par consensus. Les 17 objectifs de ce texte ont entraîné des dissensions, notamment sur la mise en cohérence des politiques publiques nationales agricoles avec les stratégies européennes (Green Deal ou « Pacte vert » ; « De la ferme à la table »), sur l’inscription du droit à l’alimentation dans le droit français ou encore sur le développement de l’agriculture biologique. À L’issue des débats, des changements ont été apportés, par exemple en ce qui concerne l’objectif stratégique 4.2. qui insiste sur la poursuite de l’impact environnemental et l’amélioration de la durabilité de l’offre alimentaire en « modérant l’offre de produits carnés et laitiers ». Il a été modifié à la demande de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), de la Coopération agricole (LCA) et de cinq autres membres du CNA, pour qui la « notion d’équilibre alimentaire entre produits végétaux et animaux » est à privilégier. De même, l’Association nationale de l’industrie agroalimentaire (ANIA), la FNSEA, LCA et deux autres représentants sont en désaccord avec l’idée de « réglementer le marketing et la publicité des produits allant à l’encontre d’une alimentation équilibrée, saine et durable » et disent préférer un « encadrement volontaire ». En tout et pour tout, la moitié des objectifs énoncés par le CNA ont fait l’objet d’avis défavorables de la part de certains membres. Un accord a fait l’unanimité. Il concerne la restauration collective : « <Elle> représente un levier pour assurer une meilleure inclusion et l’accès pour toutes et tous à une alimentation durable et de qualité » et elle doit bénéficier d’un « accompagnement économique ». Nul doute, les acteurs de la restauration collective devront surveiller le contour et le contenu de la Snanc dans les mois à venir.

Laurent Terrasson

 

1 Cédric Prévost, sous-directeur de l’accompagnement des transitions alimentaires et agroécologiques, Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
2 Convention Citoyenne pour le climat
3 Extrait : « La stratégie nationale pour l'alimentation, la nutrition et le climat détermine les orientations de la politique de l'alimentation durable, moins émettrice de gaz à effet de serre, respectueuse de la santé humaine, davantage protectrice de la biodiversité, favorisant la résilience des systèmes agricoles et des systèmes alimentaires territoriaux et garante de la souveraineté alimentaire, mentionnée au 1°du I, ainsi que les orientations de la politique de la nutrition, en s'appuyant sur le programme national pour l'alimentation et sur le programme national relatif à la nutrition et à la santé défini à l'article L. 3231-1 du code de la santé publique. »
4 cna-alimentation.fr
14 Avr

En mai 2022, le ministère de l’Agriculture est devenu celui de la souveraineté alimentaire et depuis lors, et en particulier pendant le Salon de l’agriculture, les tables rondes et débats se sont multipliés sur ce thème. La FNSEA, FranceAgrimer, le Cirad et Interfel ont repris le sujet, n’hésitant pas à convier les acteurs de la restauration collective. Le terme « souveraineté alimentaire », introduit par le mouvement paysan Via Campesina à l’occasion du sommet mondial de l’alimentation à Rome en 1996, est à l’origine un concept altermondialiste1 .Depuis, il s’est enrichi en intégrant les dimensions de durabilité et de droit du travail. Lors du Salon de l’agriculture, ce concept a pris une orientation plus économique et politique dans les discours des acteurs professionnels. Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, a laissé entendre que la souveraineté alimentaire s’impose tant les constats sont alarmants. Rien que dans l’hexagone, un tiers des exploitations agricoles ont disparu entre 2010 et 2020 et le nombre d’exploitants a chuté de 18% depuis 2010. En Europe, le nombre d’exploitations agricoles a diminué de 32% entre 2003 et 2016 et pourrait atteindre 62% d’ici à 2040. Revenons à l’hexagone. Si l’on regarde le secteur des volailles, il est à noter que les filières avicoles françaises subissent de plein fouet depuis 2021 des épidémies d’IAHP (Influenza aviaire hautement pathogène), lesquelles ont conduit à des abattages massifs, y compris d’animaux reproducteurs. De ce fait, sur un laps de temps très court, les filières ont basculé d’une situation plutôt excédentaire à une situation de dépendance, sauf pour les volailles Label Rouge. En conséquence, la restauration hors domicile a désormais un recours important aux importations : 46% des poulets consommés en France provenaient de pays étrangers au 1 er semestre 2021, contre 41% en 2020 2 .Autre exemple révélateur de ce qui se passe en France : 50% seulement des fruits et légumes consommés sont produits sur le territoire. En ce qui concerne les fruits (hormis les fruits tropicaux), la baisse continue de la production nationale (-17% en 10 ans) a fait basculer le secteur « d’un niveau moyen de quasi auto-approvisionnement apparent à une situation de dépendance aux importations », comme le souligne FranceAgrimer. En ce qui concerne les légumes (hors pommes de terre), si les exportations restent stables, la baisse de la production se traduit par un surcroît d’importation. Alerté depuis de longs mois par les responsables d’Interfel (l’interprofession des fruits et légumes), le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fesneau a annoncé le 1 er mars le déploiement d’un plan de souveraineté « fruits et légumes » de 200 millions d’euros dès 2023, avec pour objectif de remonter le niveau d’autosuffisance national à 60% d’ici dix ans. Clairement, la dépendance aux importations fragilise la capacité de la France à exercer sa souveraineté alimentaire. Et si on continue sur cette voie, non seulement le destin de nos approvisionnements alimentaires peut être soumis de plus en plus aux évolutions du marché mondial, aux risques de pénuries ou à d’autres incidents géopolitiques, et les acheteurs de la restauration collective devront faire de multiples pirouettes pour acheter des produits de qualité et d’origine France. Cette période de crise et cette volonté politique affichée doivent donc nous permettre d’imaginer une souveraineté alimentaire responsable comportant de nouvelles manières de nous organiser pour acheter et consommer tout en réduisant nos impacts environnementaux. « Nous devons remettre de la valeur dans des chaînes de valeur qui en détruisent », souligne le député Frédéric Descrozaille. « La grande consommation alimentaire fonctionne comme un sablier, 330 000 exploitations agricoles, quelques dizaines de milliers d’entreprises de transformation, et au milieu six centrales d’achat3 ». Même si la restauration collective ne représente que 7% du marché alimentaire global en France (contre 70% pour la grande distribution), c’est le seul secteur de la restauration hors-foyer qui s’engage à améliorer nos modes de consommation alimentaire grâce aux objectifs de la loi Egalim. Ne pouvons-nous pas aller plus loin grâce à la commande publique et à tous les acteurs de la restauration collective ? Ne pouvons-nous pas imaginer d’ajouter une disposition législative, une loi Egalim, qui viserait les achats alimentaires de la restauration collective pour soutenir la souveraineté alimentaire ? J’imagine alors que la restauration collective deviendrait, par effet d’entraînement, la référence du modèle alimentaire français.

Laurent Terrasson

 

1 « La souveraineté alimentaire est le droit de chaque pays de maintenir et de développer sa propre capacité de produire son alimentation de base en respectant la diversité culturelle et agricole. Nous avons le droit de produire notre propre alimentation sur notre territoire. La souveraineté alimentaire est une condition préalable d’une véritable sécurité alimentaire ».

2 Source : Itavi / Eurostat et SSP, Mapama, Defra, Destatis, Istat

3 Frédéric Decrozaille, député Renaissance ayant présenté une proposition de loi sur l’encadrement des promotions et les négociations commerciales entre les industriels et la grande distribution.