Le 2 avril dernier, le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a organisé la « Conférence des solutions » pour que les acteurs des filières échangent sur le rôle de la restauration collective dans le soutien à l’agriculture française.
« Le compte n'y est pas, y compris pour la restauration collective d'État » a souligné la ministre déléguée Agnès Pannier-Runacher. Effectivement, selon le bilan statistique annuel 2023 de la plateforme ma cantine, la part du bio en valeur dans les achats des télédéclarants seraient, a priori, de seulement 13,1 % (au lieu des 20 % exigés) et le taux de produits durables et de qualité de 27,5 % (au lieu des 50 % exigés).
Cette conférence visait donc à trouver des solutions pour accélérer l'application du volet de la loi Egalim concernant les achats de la restauration collective, en réponse à la colère des agriculteurs : ils espèrent que ce secteur pourra contribuer à sauver l’agriculture française. Il convient toutefois de nuancer l’influence potentielle de l’atteinte des objectifs fixés par la loi Egalim en restauration collective sur les volumes de production agricole de l’hexagone.
En effet, les 3 milliards[1] de repas servis annuellement en restauration collective ne représentent qu’une faible proportion de la consommation alimentaire totale des ménages français, soit moins de 9 % des 49 milliards de repas.
Compte tenu de cette réalité, il est crucial de comprendre que les marchés de la restauration collective ne peuvent pas être considérés comme une solution pour sauver l’agriculture française, même si elle peut y contribuer. En fait, la situation est encore plus complexe car les achats de denrées alimentaires dans ce secteur sont souvent négociés à des niveaux très bas, et tous les leviers ont été utilisés pour les maintenir : groupements d’achat pour augmenter les commandes, standardisation des menus, accords avec l’agroalimentaire pour utiliser des produits pré-élaborés, etc. Tout cela dans le but d’assurer une restauration sociale accessible. Aujourd’hui, il est devenu évident que les achats alimentaires doivent également garantir une rémunération équitable aux agriculteurs. Cette équation complexe nécessite une réflexion approfondie sur les enjeux économiques et sociaux du secteur agricole et de la restauration collective.
Dans le même temps, alors que l’engouement relatif à la souveraineté alimentaire et plus encore celui du localisme se renforcent, il est important de souligner que les régions françaises sont inégales en matière de productions agricoles : heureusement que la Bretagne exporte la majeure partie de ses productions pour les régions pauvres en produits laitiers, en viande blanche et en légumes… Et que dire des besoins de la restauration collective qui s’avèrent bien modestes en comparaison de la demande des industriels et de celle de la grande distribution.
Quant aux petites exploitations, essentiellement celles qui abritent les productions de légumes pouvant répondre aux attentes de proximité des acteurs de la restauration collective, elles se heurtent souvent à une double contrainte : celle des marchés publics, et celle de la saisonnalité. Trop peu de produits bruts et frais entrent dans les menus des cantines, qui sont fermées en été. De plus, ces exploitations ne sont pas en mesure de garantir un minimum de transformation correspondant aux besoins de la restauration collective en proposant leurs productions sous forme élaborée (3e ou 4e gammes), car cela nécessiterait des investissements importants pour leurs transformations … et là encore, une massification pour optimiser ces outils.
Ensuite, cette promotion du localisme ne doit pas nuire à la rémunération, à l’indépendance et aux conditions de travail des agriculteurs.
Il serait plus judicieux de se focaliser sur les achats des principaux acteurs de la restauration collective, à savoir les sociétés de restauration et les grands établissements publics de coopération intercommunale de restauration en gestion directe qui représentent autour de 50 % de la production des repas en restauration.
Alors que les discussions sur l’avenir de notre modèle agricole deviennent de plus en plus animées, il est surprenant de constater que les industries de la transformation restent largement ignorées. Pourtant, les agro-industriels occupent une position clé au milieu de la chaîne alimentaire, influençant à la fois la qualité de l’agriculture en amont et les choix des consommateurs en aval. Leur impact sur la durabilité des systèmes alimentaires est considérable, et la plupart des agriculteurs et des consommateurs sont contraints de s’adapter aux décisions de ces acteurs majeurs qui ont capté une grande partie de la valeur.
Malgré cela, il est essentiel de continuer à soutenir et à poursuivre les objectifs de la loi Egalim en matière de restauration collective pour plusieurs raisons. En effet, cette loi promeut l’utilisation de produits de qualité et durables, favorisant ainsi une alimentation plus saine pour tous et respectueuse de l’environnement. De plus, elle contribue à améliorer la qualité de l'alimentation servie dans les cantines scolaires, les hôpitaux, les maisons de retraite et autres établissements publics.
En somme, la restauration collective peut jouer un rôle clé dans la promotion d'une alimentation plus saine et plus durable.
François Mauvais & Laurent Terrasson
[1] Statistiques d’avant-crise