Soutenir en amont de l’obligation

Le 12/07/2022

Au-delà du respect de leurs obligations légales en matière de tri, les gros producteurs de biodéchets doivent aussi envisager leur collecte en vue de leur valorisation. Avec un soutien inégal des collectivités selon les territoires. Alexandra Gentric, de l’Agence de la transition écologique (Ademe), fait le point sur la dynamique à l’oeuvre.

Quel est le cadre réglementaire établi pour le tri et la valorisation des déchets alimentaires ?

Les obligations de tri pour les gros producteurs de déchets alimentaires, les biodéchets, sont issues du Grenelle de l’environnement, formalisées ensuite par décret, avec des seuils dégressifs : 10 tonnes par an depuis 2016, 5 tonnes par an au 1er janvier 2023, 0 tonne par an au 1er janvier 2024. Depuis 2016, tous les producteurs de plus de 10 tonnes annuelles sont ainsi obligés de mettre en place un tri à la source des biodéchets en vue de leur valorisation soit par compostage, soit par méthanisation. Ceci contraint donc à opérer un tri dans les cuisines et dans les salles de restauration, c’est-à-dire trier à la fois les restes des préparations et les restes de repas.

Toutefois, qui dit tri à la source ne dit pas forcément collecte. Le seul service public obligatoire de collecte pour les collectivités concerne les déchets des ménages. Bien sûr, la plupart des collectivités prennent aussi en charge la gestion d’une partie des déchets assimilés des producteurs non ménagers. Cela dit, dans le cadre classique du code général pour les collectivités territoriales, cette notion d’assimilés est liée à l’absence de sujétions techniques particulières et n’oblige pas la collectivité à mettre en place des équipements ou des services particuliers.

Comment impliquer davantage les collectivités dans la collecte ?

La sujétion technique particulière pourrait s’appliquer ou donner lieu à discussions dès lors qu’une collectivité proposerait un service de collecte de biodéchets professionnels alors qu’elle ne le proposerait à aucun ménage. Un article de la loi Agec(1) de 2020 dit que pendant cinq ans à dater de la promulgation de la loi, les collectivités peuvent commencer leurs collectes de biodéchets uniquement par les professionnels. C’est donc une dérogation jusqu’à début 2025. Sauf que ce service-là a un coût et que la question de son financement se pose, notamment s’il n’est proposé qu’aux professionnels. Il peut y avoir la mise en place d’une redevance spéciale par les collectivités et le coût de cette collecte peut donc y être intégré. C’est d’autant plus facile de mobiliser les professionnels à trier s’il y a un tarif plus incitatif pour les biodéchets que pour les ordures ménagères résiduelles.

La réglementation n’étant pas très précise, tout dépend surtout du contexte du territoire dans lequel la collectivité agit et de sa volonté politique. Certaines collectivités sont engagées seules ou avec des prestataires privés depuis longtemps. Dans les territoires où sont collectés les biodéchets des ménages, c’est assez rare que ne soient pas aussi collectés les déchets assimilés. Le camion tourne de toute façon et ça permet de massifier les collectes. Pour que le service soit bien adapté aux contraintes des professionnels, il faut peut-être un niveau de service et une fréquence plus importants. C’est un point de questionnement assez crucial dans le dimensionnement de la collecte.

Considérez-vous que la dynamique à l’oeuvre va dans le bon sens ?

Globalement, oui. Le contexte économique pousse les collectivités à s’intéresser au moyen de réduire leurs flux de déchets résiduels qui partent, soit en centre de stockage, soit en incinération/valorisation énergétique. C’est la trajectoire de la taxe générale sur les activités polluantes qui s’applique notamment aux tonnages envoyés en stockage ou en valorisation énergétique. Chaque tonne entrant dans ce process est soumise à la taxe qui va augmenter jusqu’en 2025, qu’elle soit apportée par une collectivité, une entreprise ou des prestataires privés.

Ces éléments font réfléchir dans les territoires à la maîtrise des budgets. Je l’ai déjà dit, la collecte des biodéchets a un coût et les collectivités ne veulent pas forcément s’orienter vers une collecte intégrale, en porte-à-porte avec des bacs. Beaucoup réfléchissent à un système d’apport volontaire, forcément moins adapté à la restauration collective. En parallèle, elles réfléchissent à ce qu’elles peuvent proposer aux professionnels de leur territoire, que ce soit une inclusion dans la collecte ou une autre solution.

Toutes les collectivités n’ont pas la même réflexion. Certaines estiment qu’il est préférable d’avoir un apport volontaire pour les ménages et du porte-à-porte pour les professionnels selon leur production, avec une différenciation selon la nature de l’activité. C’est la question de la modalité de collecte qui se pose, celle de sa fréquence aussi. Une collectivité ne peut pas collecter tous les jours un gros producteur, il y a une articulation à trouver avec les prestations privées.

Quel est le champ d’intervention de l’Ademe en la matière ?

Le début du mandat local en 2020 a été très perturbé par le covid, mais depuis, nous recevons beaucoup de demandes d’accompagnement pour des études sur la généralisation du tri à la source en territoires et les bureaux d’études travaillant sur le sujet sont débordés. L’Ademe bénéficie d’une partie du budget du plan de relance pour accompagner les collectivités et les entreprises sur les biodéchets. Fin 2022, nous aurons dépensé 100 millions d’euros en deux ans alors qu’auparavant, nous disposions d’un budget de 5 à 10 millions par an. L’argent du plan de relance a permis d'augmenter d’augmenter les soutiens dont nous faisons bénéficier les territoires et les entreprises.

En parallèle, nous accompagnons bon nombre de projets. L’Ademe ne peut aider que les établissements qui ne sont pas encore obligés. En d’autres termes, conformément à la réglementation européenne sur les aides publiques, nous ne pouvons pas aider les producteurs de plus de 10 tonnes annuelles de biodéchets à se mettre en conformité réglementaire. En revanche, nous pouvons intervenir en amont de l’obligation. Ces dernières années, notamment grâce au plan de relance, nous avons eu la possibilité d’apporter des aides plus facilement à des établissements, surtout à ceux qui se mobilisaient sur un bouquet d’actions. Dans ce cadre-là, on a pu aider par exemple l’acquisition de composteurs dans certains établissements ou la mise en place du tri dans d’autres.

Les écoles sont souvent gérées par les communes ou les agglomérations et peuvent donc être intégrées dans le programme de tri à la source que la collectivité met en place. Celle-ci peut nous solliciter, mais nous ne prenons pas en compte alors des dépenses de collecte liées à la mise en place de ce service pour les professionnels. Il arrive aussi que des départements ou des conseils régionaux nous sollicitent pour leurs collèges ou leurs lycées en tant que maîtres d’ouvrage. À ma connaissance, il n’y a pas eu de groupe de restauration collective qui nous aient sollicités. Globalement, pour l’Ademe, l’enjeu du tri et de la valorisation des biodéchets est l’un des principaux sujets du moment.

(1) La loi Agec du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire entend accélérer le changement des modèles de production et de consommation afin de réduire les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat.

Alexandra Gentric

Coordinatrice au service valorisation des déchets de l’Ademe, elle intervient sur la gestion de proximité et le tri à la source des biodéchets avec les collectivités, donc le tri et la collecte sur toute la France. Son service est national, mais elle travaille en relation avec les directions régionales.

Chrystel Jaubert