Restauration collective 3.0

Le 18/10/2018

Le digital est au cœur des préoccupations des entreprises de la restauration collective. Les leaders du secteur se sont donc donnés les moyens financiers et humains pour réussir leur transition digitale. Confirmation de Sébastien Modat, directeur marketing et activités entreprise chez Sodexo France. « Le digital bouleverse la donne. Une prise de conscience qui remonte à 4-5 ans et qui nous a notamment décidé a mettre en place un service digital et innovation et une équipe dédiée ». Pour Elior Group, le digital constitue l’un des huit chantiers de son plan stratégique 2016-2020. « Inventer la restauration du futur, est effectivement une de nos priorités », précise Frédéric Lézy, son directeur expérience digitale.  Même dynamisme chez Compass. Olivier Malvezin, son directeur digital Europe complète, « la restauration collective est en pleine mutation, elle se réinvente. La question du digital a donc été placée au cœur de la nouvelle stratégie Vision 2022. » La restauration en gestion directe est elle aussi sur le pont. Selon Thierry Mathieu, président de la Commission Salon de Restau'Co. « Deux tendances majeures s'expriment (sur le volet de l'offre alimentaire, l'équipement et les formations) : la digitalisation et le bio ». Cela promet !

Une restauration d'entreprise hyper connectée

 

Révolutionner le parcours client. Rien que ça ! La démarche est ambitieuse mais la situation l'exige. Le client, s'en totalement déserter la traditionnelle cantine, à des envies d'ailleurs. Les tentations sont grandes, entre les foodtrucks et autres enseignes de restauration rapide, parfois implantés à quelques mètres des bureaux. La riposte de la collective s'est organisée et elle dispose aujourd'hui d'armes efficaces. Premier challenge répondre à l'hyper connexion du convive. Rivé à son smartphone ou sa tablette à son domicile, pendant ses trajets, sur son lieu de travail, il veut logiquement l'être avec son restaurant. Aujourd'hui en dégainant l'un de ses outils, il consulte le menu du jour et parfois ceux de la semaine, le solde de son badge avant de passer en caisse et ainsi effectuer le rechargement avec un SMS ou encore vérifie en temps réel l'affluence au self. Il peut aussi être informé des animations, concours et autres promotions à venir.

Parallèlement à ces fonctionnalités basiques, généralement réunies dans une seule et même application pour des raisons de simplicité et d'efficacité, des plus pointues et plus ciblées, ont vu le jour. Vous recevez des collaborateurs ou invités externes et vous souhaitez réserver une table dans le salon de votre restaurant ? C'est possible depuis n'importe quel téléphone. Vous en avez assez de manger seul ? Grâce au digital, la réunion des forces vives du service marketing et comptabilité, n'est plus une utopie. Une occasion de rencontrer de nouveaux collaborateurs et aussi de « démultiplier avec efficacité son réseau interne », promet cette application.

Afin d'être en phase avec les attentes des convives et mieux encore les anticiper, les  majors de la restauration collective se sont aussi engagés dans des partenariats avec des start-ups. « Elles ont l'avantage de travailler vite et sur plusieurs concepts en même temps, » confie Frédéric Lézy. Suite à ces partenariats, les sociétés ont étoffé leurs offres. Parmi les services additionnels novateurs, permettant de s’adapter aux nouveaux phénomènes de consommation et de s’engager dans le numérique et jusqu'à maintenant proposés par la restauration commerciale, les repas à emporter. La commande se fait en 3 clics maximum. Toujours histoire de gagner un peu de temps, une zone de retrait spécifique a été imaginée dans le restaurant. Autre concept, la livraison d'un repas au domicile. Pas envie de cuisiner ce soir et le réfrigérateur est désespérément vide ? Entrées, plats, desserts, boissons... tout y est. La frontière entre la restauration commerciale et collective est vraiment de plus en plus floue.

 

Une implication dans la restauration scolaire

 

Si l'entreprise demeure le segment dans lequel les nouvelles technologies sont les plus présentes, la restauration scolaire est aussi dans le viseur des acteurs de la restauration collective. Les applications destinés aux parents se multiplient et rencontrent un grand succès, selon leurs créateurs, car elles surfent sur la tendance du bien manger. Les parents soucieux de la qualité des repas servis à leurs progénitures peuvent ainsi prendre connaissance d'un simple glissement de doigt des menus proposés à la cantine, de la présence d'allergènes, découvrir des informations nutritionnelles, l’origine des produits ou bien encore les animations. L'une d'elles permet de recevoir une notification lorsque le plat préféré de l'enfant est au menu (si cette information a été saisie). Alors qu'une autre suggère des menus pour le dîner. Des lycéens et des étudiants peuvent pour le moment réserver leur sandwich, burger ou salade préférée dans certaines cafétérias et ainsi éviter l'attente à la caisse et donc l'envie d'aller se restaurer à l'extérieur. Des innovations sont aussi à attendre du côté de la restauration santé, comme l'explique Olivier Malvezin. « Nous devrions par exemple permettre aux patients la réservation de repas, comme c'est la cas depuis longtemps déjà pour les employés des hôpitaux. »

 

Robots vs humains ?

 

« Terminator » de James Cameron, « A.I Artificielle Intelligence » de Steven Spielberg...  les robots ont toujours été source d'inspiration pour le cinéma américain. Pour des scientifiques de renommée internationale comme l'astrophysicien Stephen Hawking (décédé en mars dernier) la menace pour l'humanité est devenue bien réelle. Même Bill Gates nous alerte. « Je suis dans le camp de ceux qui s'inquiètent du développement d'une super intelligence ». Pierre angulaire de la transformation digitale, l'IA marque notre siècle de son empreinte et suscite des interrogations. A quand la machine qui remplacera l'homme en restauration collective ? Car désormais les robots apprennent. Une enseigne américaine de hamburgers intègre un robot dans ses cuisines. Flippy est capable de retourner 300 burgers à l’heure, de repérer le degré de cuisson de chaque steak et, une fois cuits, de les déposer sur un plateau ou sur le pain à burger. Flippy est un robot « intelligent » puisqu'au fil de ses expériences, il est à même d’apprendre de ses erreurs et de rectifier ses actions. Toutes les entreprises contactées se veulent rassurantes. « Nous continuons de créer des emplois, insiste Sébastien Modat. L'humain restera toujours central. Il n'est nullement question de remplacer les équipes, au contraire les nouvelles technologies sont des outils qui visent par exemple à réduire la pénibilité, à faciliter le confort de travail. » « L'emploi de nouvelles technologies implique aussi la création de nouveaux métiers », souligne Frédéric Lézy. Exemple concret avec Smartflow (qui fait actuellement l’objet de demandes de brevets internationaux). Créé par Eric Jacquet président de JES, ce concept répond également à une problématique au cœur des stratégies de tous les pros de la collective, le passage en caisse. Qui n'a en effet jamais passé la tête par la porte du self et à la vue de la longe file d'attente en caisse a préféré déjeuner à l'extérieur ? « Le parcours digital du convive se traduit en 3 étapes, explique Eric Jacquet. Celui-ci dépose son plateau sur un automate, puis badge sur le lecteur de l’automate et le contenu du plateau est automatiquement photographié. Le ticket et la photo sont ensuite transmis sur son smartphone. » Sur un site pilote, cet automate est capable de réaliser 12 passages à la minute, contre 4 ou 6 pour une caissière même ultra entraînée. Quid de la caissière ? Là encore l'entreprise se veut rassurante. Comme dans les enseignes de la grande distribution les caisses classiques vont demeurer et les tâches vont glisser vers l'accueil. Des postes métiers qui se veulent plus valorisant avec une très nette diminution du stress pour les opérateurs lié à la disparition des files d’attente, source de mécontentement des convives au moment du paiement. Avec la digitalisation, une nouvelle ère s'ouvre aussi pour la formation. Dans le cadre de la sécurité au travail, il a ainsi été développé un parcours, qui permet aux salariés munis de lunettes 3D de se projeter dans une cuisine. Bluffant parait-il.

 

La foodtech, la solution pour mieux manger ?

 

La Foodtech passionne. Pas un mois sans que ne se déroule un salon. En France, un concours annuel, intitulé e-food, a même été créé pour distinguer les start-up les plus innovantes du secteur. Cinq start-up, européennes, américaines et chinoises de la FoodTech sont désormais dans le top des « licornes » (start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars). Que nous proposent-elles ? Les fins gourmets vont certainement rester sur leur faim, mais il paraît que c'est bon pour la santé. Citons par exemple, cette start-up créée et financée par Bill Gates, qui a imaginé des viandes dépourvues de protéine animale, ce laboratoire de Maastricht (Pays-Bas) à l'origine du premier steak in vivo. Initiative bien plus délirante encore, l’imprimante 3D. A l’aide de ses bras robotisés celle-ci sélectionne et assemble des cubes de gel dans lesquels ont été préalablement injectés des colorants, des nutriments et des saveurs permettant au produit final de s’approcher le plus possible du visuel, de la texture et du goût des aliments et des plats qu’elle reproduit. Effet de mode ou tendance de fond, il est encore trop tôt pour le dire. Ce qui est certain c'est qu'il est impératif de répondre au désir des convives de mieux se nourrir. Ce n'est pas une surprise pour la collective. Une part de la fameuse expérience se fait dans l'assiette. « C'est bien entendu un tout, confirme Olivier Malvezin, il faut toujours avoir en tête la qualité de l'offre. » Ce n'est évidemment pas un hasard si le fil rouge du dernier salon Restau'Co était le goût.

Alors justement, que pensent les convives de leur restaurant ? Grâce à toutes ces nouvelles technologies, il est facile de le savoir. Le cahier de doléances, la boite placée en bout de self destinée à recevoir les avis, l'enquête annuelle de satisfaction, ne sont plus que de lointains souvenirs. Le fait de connaître, quasiment en temps réel, le ressenti d'un convive sur le contenu de son assiette, mais aussi l'ambiance du restaurant (niveau de bruit, place entre les tables...), l'hygiène... permet la mise en place rapide d'actions correctives. Nouvel outil, déjà employé dans les banques et certaines grandes enseignes de la restauration commerciale, désormais au service de la restauration collective, les bornes tactiles. Les questions sont pour le moment fermées et simples, mais la façon de répondre rapide, grâce à trois smiley. Les commentaires des convives, quel que soit le support, seront-ils toujours « honnêtes » ? Espérons qu'ils jouent le jeu, car en restauration commerciale les avis litigieux pullulent. Des restaurateurs déjà souvent à cran, qui vont désormais devoir se méfier d'algorithmes qui ambitionnent de nous connaître par cœur et savent deviner quel restaurant nous allons aimer ou détester. La collective n'est pas encore concernée, mais à la vitesse où l'IA se développe, elle va l'être un jour.

L'autre cuisine