Relancer la machine

Le 28/11/2022

Le personnel déserte les métiers de bouche et les établissements du secteur des HCR ne parviennent ni à recruter ni à fidéliser. L’attractivité de ces métiers étant un enjeu majeur de sortie de crise, les partenaires sociaux ont engagé des négociations d’abord sur les rémunérations, puis sur les conditions de travail. Si la covid-19 a modifié la relation au travail, des avancées sociales probantes pourraient en effet permettre d’attirer de nouveau les salariés.

Il suffit de regarder sur les portes des cafés et restaurants. Les offres d’emploi, en cuisine et en salle, abondent. Car la main d’oeuvre se fait rare. Comme d’autres secteurs en tension, les HCR peinent à recruter et l’Umih (Union des métiers et des industries de l’hôtellerie) fait état de 150 000 salariés en moins depuis le début de la crise sanitaire. La covid-19 a en effet accéléré le processus de fuite des salariés. Mais ce n’est pas la seule raison. 

Dans son avis de janvier 2022 sur les métiers en tension, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) estime que « La question des difficultés de recrutement doit être replacée dans le contexte de la forte reprise qui a fait suite aux périodes de confinement, elles-mêmes marquées par une grande incertitude en termes d’emploi, tant du fait de la mise à l’arrêt de certains pans de l’économie que du non-renouvellement de nombreux contrats courts ».

Une tension dans laquelle différents facteurs entrent également en ligne de compte : salaires, conditions de travail, formation, politiques publiques. Auxquels il convient d’ajouter les changements de voie des salariés, la crise sanitaire ayant généré un questionnement sur le sens, la finalité du travail et son utilité sociale, ainsi que la recherche d’une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie privée. Selon les chiffres du ministère du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion, 28 % des salariés du secteur disent en effet avoir du mal à concilier vie personnelle et vie professionnelle contre 17 % tous autres secteurs confondus.

Le CESE rappelle que les métiers en tension « ont pour point commun de présenter des conditions de travail difficiles avec des horaires atypiques ainsi qu’une faible reconnaissance et une insuffisante valorisation des compétences notamment du point de vue salarial ». Le secteur des HCR pâtit d’une réputation délétère : bas salaires – c’est en effet le secteur qui paie le moins bien, tous secteurs confondus – et des conditions de travail difficiles avec des coupures, une pénibilité physique, voire des cas de mauvais traitements. Rien d’attractif, ni rien de nature à pallier la pénurie de main d’oeuvre. Outre les difficultés de recrutement, la question de la fidélisation des collaborateurs pose aussi problème. Le turnover est deux fois plus élevé dans la restauration que dans les autres secteurs. Le manque d'ancienneté des personnels et les contrats trop précaires accentuent encore les tensions. D’après Pôle emploi, 39% des serveurs ont une ancienneté dans l’entreprise inférieure à un an, contre 34 % pour les aides de cuisine et les employés polyvalents. La reprise de l’activité, bien que disparate selon les établissements, se fait donc dans un contexte de tension, la pénurie de personnel se faisant grandement sentir. Pour redorer le blason des métiers de bouche et attirer les candidats, les partenaires sociaux ont tenté de renouer avec le dialogue social, les dernières négociations de branche remontant à 2018. Au terme d’une réunion avec Élizabeth Borne, alors ministre du Travail, en septembre 2021, un premier round de négociations s’engage qui a duré jusqu’en décembre. Autour de la table, CFECGC, CGT, FO, CFDT pour les organisations syndicales de salariés et Umih, GNC, SNRTC, GNI pour les organisations patronales. Depuis des mois, les chefs d’entreprise affirment vouloir partager la valeur et se réjouissent de ce que la loi Pacte permet la mise en place de l’intéressement et de la participation. Ils admettent également que la grille des salaires doit être revalorisée, ce que tous les syndicats réclament. Mais en contrepartie, le patronat attend un repositionnement des exonérations de charges sur les salaires intermédiaires, l’Umih jugeant que l’État alourdit « le coût du travail par une politique d’allègement dissuasive ou contreproductive

Pour un secteur aussi largement soutenu pendant la crise sanitaire, ça ne passe pas bien. Pour mémoire, la baisse de la TVA à 5,5 %, réévaluée à 10 % en 2015, devait déjà permettre d’augmenter les salaires. Sans contrepartie exigée, l’effet social annoncé n’avait pas eu lieu. Du point de vue des organisations syndicales de salariés, à quelques nuances près, la revalorisation des salaires, urgente, ne saurait être conditionnée à des baisses de charge. En décembre dernier, au terme de la deuxième séance de négociations, les employeurs proposent une grille conventionnelle de salaires représentant, selon eux, une hausse de 16,3 % par rapport à 2018. La CGT, la CFDT et FO revendiquent alors 25%. Pour autant, la CFDT ayant signé l’accord sous réserve que des négociations sur les conditions de travail s’ouvrent dans la foulée, la nouvelle grille est étendue et entre en vigueur au 1er avril 2022. Pour la CGT des HCR qui a refusé de signer cet accord, « Les 16,3 % d’augmentation moyenne ont été calculés sur la grille des minima de branche de 2018, très largement obsolète et dont les cinq premiers niveaux se situaient en dessous du Smic. La réalité, c’est une augmentation de 4 à 6% par rapport au Smic conventionnel sur les trois premiers échelons, déduction faite du rattrapage obligatoire causé par ces trois ans sans accord ». Insuffisant donc, selon la CGT. Un calendrier de discussions sur les conditions de travail est finalement mis en place en février, avec des groupes de travail sur différentes questions : grille de classifications, égalité professionnelle, handicap, prévoyance, qualité de vie au travail... Car les dérogations au code du travail sont nombreuses dans le secteur et les conditions de travail délétères. Heures supplémentaires majorées de 10 % au lieu de 25 %, absence de 13e mois, coupures, travail de nuit et du weekend non encadrés et non indemnisés, repos insuffisants… la liste des doléances est longue et les attentes à la mesure.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, ces discussions n’ont pas encore abouti sur des avancées patentes. Comme l’indique l’une des représentantes de la CFDT Services,  « Le secteur a du mal avec le dialogue social ». Pour Yannick Peltier, du GOEES (syndicat des employeurs de l’économie sociale), « Des premières réponses ont été apportées, qui ne sont certainement pas au niveau espéré, dans cette négociation de branche. Ce qui va être très attendu, ce sont les discussions sur les amplitudes horaires et au-delà, sur la revalorisation globale des métiers ». Quid de la restauration collective ? Si elle est un peu moins en tension (lire entretien pages suivantes), beaucoup de structures ont été fermées pendant des mois et en entreprise, le télétravail s’est imposé. La crise n’est pas terminée, sanitaire d’abord, économique ensuite avec une inflation record, des prix qui ne sont plus maîtrisés et des fins de mois difficiles pour beaucoup de salariés. Amar Lagha, secrétaire général de la fédération CGT Commerce et Services, rappelle que les grands groupes de restauration collective ont fait des plans sociaux pendant la crise sanitaire et se sont séparés de travailleurs compétents et expérimentés :

« Malgré les aides de l’État dont ces entreprises ont bénéficié, au lieu de mettre ces personnes au chômage partiel, elles ont licencié. Or, nous avions tiré la sonnette d’alarme et prévenu que nous aurions besoin de ces travailleurs au sortir de la crise ». Aujourd’hui, l’activité redémarre, mais les professionnels ne semblent pas vouloir revenir. « Ils ont découvert d’autres métiers, vu qu’ils étaient mal payés dans la collectivité, que le temps de travail et l’amplitude horaire étaient harassants, reprend Amar Lagha. Je ne parle même pas du nombre de temps partiels imposés. Tous ces éléments, en toute logique, n’attirent plus ». Il rappelle aussi qu’il fut un temps où de futurs grands chefs venaient se former dans la restauration collective et où les parcours de formation proposés aux salariés leur permettaient de progresser. « Dans les grosses structures, le métier de cuisinier a pratiquement disparu. C'est l’agroalimentaire qui apporte des solutions. Il n’y a plus qu’à faire chauffer. Quel est l’intérêt pour le personnel ? », interroge-t-il.

Parallèlement, pour Yannick Peltier, il faut revenir sur l’aspect social de la restauration collective, c’est-à-dire permettre aux enfants, aux salariés, aux personnes âgées, et à tous ceux qui profitent des structures de tourisme ou autre, de pouvoir avoir un repas équilibré à un prix maîtrisé avec des produits de qualité : « Il faut vraiment s’appuyer sur ce triptyque pour redonner ses lettres de noblesse à la restauration collective, revenir à son aspect originel ». Pendant la période de fermeture, les personnes qui fréquentaient les structures collectives se sont très vite reportées sur des repas déséquilibrés, beaucoup de sandwichs, du snacking, de la restauration rapide. « Au-delà du volet social, il y a donc aussi, avec la collectivité, des enjeux d’équilibre alimentaire et de santé », conclut-il.

L'autre cuisine