Coût de la restauration scolaire : casse-tête dans l’assiette

Le 18/01/2022

Le coût de la cantine scolaire fait couler de l’encre et pourtant peu de solutions émergent réellement.
Entre les collectivités qui souhaitent une restauration de qualité à moindre prix et les gestionnaires qui jonglent pour répondre aux prérogatives de leurs élus tout en respectant les normes et tendances alimentaires toujours plus exigeantes, le défi est quotidien. Mais l’alchimie ne réside-t-elle pas dans un changement de paradigme ?

 

Gérer des injonctions paradoxales dans la restauration scolaire est le lot quotidien de bon nombre de collectivités. D’un côté, il y a la réglementation qui ajoute des surcoûts de fabrication des repas pour confectionner des menus de qualité, et de l’autre, des réalités économiques qui ne permettent pas d’augmenter le prix de la cantine. Les chiffres montrent combien la marge de manœuvre est serrée pour les gestionnaires : les aliments représentent entre 25 % et 32 % des coûts d’un repas, les salaires de 60 % à 65 % et les frais de fonctionnement environ 10 %. Cerise sur le gâteau, le modèle économique des villes s’appuie sur un fonctionnement des équipements de seulement 140 jours par an contre 220 jours en restauration d’entreprise. Les élus ne voulant pas augmenter les tarifs, ils considèrent alors, pour la plupart, que le sujet est clos. À quoi bon parler ratio coûts-tarifications quand on ne paye pas le vrai prix ?

Dans les années 90, il était dans les usages des collectivités de mentionner sur les factures adressées aux familles le véritable coût subventionné par la commune. Mais cette information détaillée était principalement conditionnée par la réponse à apporter à certaines associations de parents d’élèves qui menaient la vie dure au quotient familial, avec comme principal argument, « ne pas payer pour les autres ». Les élus faisaient alors la démonstration, que même au tarif le plus élevé d’une grille de quotient familial, les familles payaient bien moins que le coût réel de la cantine. Aujourd’hui, ces débats n’ayant plus lieu d’être tant le principe d’une tarification sociale est admise (même si 50 % des communes ne l’appliquent pas), les informations relatives au coût réel d’un repas ont aussi disparu.

Une bouteille à l'encre...

« L’idée que la mission de service public de restauration collective ait pour principe que l’on ne paye pas ce que cela coûte, car ce sont des dépenses prises en charge sur d’autres lignes du budget municipal, est majoritaire, remarque François Mauvais, président de Cantines Responsables. Alors que c’est un débat qui mérite d’être mené. Afficher les coûts réels et les taux de recouvrement est nécessaire pour impliquer davantage les parents, les professionnels et les élus. Cela permettrait aussi de poser les bonnes questions quant à la gestion administratrive, technique et financière à mettre en œuvre. »

Bien manger dans les cantines est une évidence... mais pas une évidence économique

En effet, bien manger dans les cantines est une évidence pour toutes les communes. Mais entre la loi EGAlim, la lutte contre le gaspillage, la suppression du plastique, les achats locaux, les produits bio... comment faire face aux réalités économiques ? « Le prix de revient moyen d’un repas se situe entre 9 et 15 € selon la typologie des autorités organisatrices (urbaines, rurales, types de gestion, compétences des équipes, amortissements...), précise le président de l’association. La différence avec la participation des familles, très en-deçà du véritable prix, est absorbée par le budget général de la commune.

Or, ne faudrait-il pas, comme pour d’autres secteurs tel l’énergie et les bons d’aides distribués par les CCAS, chercher des solutions d’aides sociales pour les familles, sans cacher la véracité des coûts? Ce qui se pratique part d’un bon sentiment mais cela clôt le débat sur les enjeux économiques et financiers autour de la restauration scolaire, sa gestion et ses évolutions. Cela contribue également à faire croire que l’on peut très bien manger pour presque rien du tout. De plus, bien souvent, quand on évoque la mission de service public, cela renvoie à un imaginaire où l’on ne paye pas le vrai prix. Certains entendent même “gratuité”. Ne faudrait-il pas imaginer un fonctionnement d’aides au paiement des factures de cantines sur la base d’une harmonisation nationale, plutôt que de les baisser artificiellement, via les services sociaux des collectivités voire de l’État ? »

La qualité de l'assiette, pas seulement une question de labels

De surcroît, il ne suffit pas d’afficher des labels bio ou en circuits courts pour que nos jeunes convives mangent bien. Le sujet des denrées assemblées, très transformées au détriment d’un repas cuisiné est nettement plus révélateur de la qualité de l’assiette. Pour ce faire, il faut des équipes de cuisine bien formées, reconnues comme telles pour confectionner des vrais repas et réduire les dépenses d’achats de matières premières. Par exemple, acheter une mayonnaise toute faite ou la préparer soi-même n’est pas comparable en matière de prix et de qualité nutritionnelle. Sans parler du goût !

« Il serait nécessaire de se pencher sérieusement sur la question des statuts des professionnels de cuisine, poursuit François Mauvais. Il faudrait créer une véritable filière dans la fonction publique territoriale et des certificats de qualification professionnelle, notamment pour les chefs de cuisine, qui ont de lourdes responsabilités. En dehors des cuisiniers, les embauches sont souvent réalisées sans exigence de diplôme et de qualifications. Cela permet, certes, à des personnes peu qualifiées de trouver un emploi, mais encore faut-il les accompagner dans l’acquisition de compétences. Cela aurait aussi un impact positif sur l’absentéisme, souvent lié aux conditions de travail et qui coûte cher aux collectivités. »

Réduire les coûts en mutualisant, l'exemple du Siresco

Un autre moyen de réduire les coûts de la restauration scolaire sans impacter la qualité de l’assiette est la mutualisation de la production, une planification des achats, voire une compréhension et une cohérence politique. Dans cette optique, l’intercommunalité représente une solution efficace. Ce modèle d’organisation choisi par les 19 villes d’Île-de-France adhérentes au Siresco (Syndicat intercommunal pour la restauration collective) couvre un périmètre de 500 000 Franciliens pour environ 6,2 millions de repas annuels. La preuve d’efficacité n’est plus à démontrer.

« Nous mettons en corrélation les enjeux politiques des communes adhérentes avec leurs besoins financiers dans un esprit de service public, explique Frédéric Souchet, directeur général des services. Avec les élus, nous abordons les coûts réels, même si ce n’est pas dans la culture française. Bien souvent, on ne parle que du prix subventionné. Pour une bonne maîtrise budgétaire, il faut tout aborder. Par exemple, dans la dernière période, nous avons subi une hausse du gaz de 0,2 % et de 1,7 % des denrées alimentaires, impactant nos budgets immédiatement. Durant la crise de la Covid-19, contrairement aux entreprises privées, nous n’avons bénéficié d’aucune aide de l’État pour le personnel alors que nous avons continué à payer les salaires. »

Le Siresco s’emploie à accompagner les villes adhérentes dans l’organisation de la restauration scolaire sans occulter le nécessaire débat sur les orientations budgétaires, les enjeux stratégiques cohérents avec leurs finalités politiques. « Nos cantines scolaires représentent une grande richesse en matière de politique sociale, elles contribuent à l’éducation des plus jeunes, au vivre ensemble et à une culture de partage, rappelle Frédéric Souchet. Dans certaines villes, nous nourrissons des enfants issus de familles en grande difficulté. Nous avons une responsabilité collective qui nous invite à une grande exigence. »

La cantine à 1 euro : un dispositif peu connu

La cantine à 1 euro pour les élèves scolarisés dans le 1er degré ne fait pas recette alors que la France compte 3 millions d’enfants pauvres et que 40 % de ces enfants ne mangent pas à la cantine. Pourtant, au mois de mai 2021, seulement 241 communes sur les 4 000 éligibles avaient déposé leur dossier d’aide.

Cette mesure, mise en œuvre par le gouvernement dans le cadre de sa Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté pour accompagner financièrement les communes, souvent les plus petites et issues de zones rurales, dans leur capacité à nourrir tous les enfants, reste encore peu utilisée. Selon la Banque des Territoires, ce dispositif mis en place en 2019 demeure inconnu et ses critères d’éligibilité sont mal compris.

Mais le gouvernement ne désarme pas et entend déployer coûte que coûte son dispositif, en incitant notamment les communes à construire des tarifications sociales. Il propose aux communes éligibles de passer une convention sur 3 ans pour consolider l’adhésion au dispositif.

Des labels en trompe-l'oeil ?

Dans les cantines, les labels font de plus en plus la loi. « Label affiché, fierté retrouvée ». Pour autant ce n’est pas si simple. « Faut-il encore qu’ils soient attribués par des tiers extérieurs, souligne François Mauvais. Dès 2008, Agores a été le fer de lance pour réaliser une certification de service “restauration scolaire” en construisant un référentiel Afnor. Mais ce qui a bloqué les démarches, une fois la norme “NF Services Restauration scolaire” créée, c’est que la démarche pour les collectivités territoriales coûte cher et que très peu y ont alors adhéré. »

La Fondation Nicolas Hulot a, quant à elle, créé un label “Mon Restau Responsable”, en partenariat avec le réseau Restau’Co dont plus de 1 600 sites de restauration sont déjà parties prenantes. L’idée est de s’engager vers une cuisine plus saine, de qualité et respectueuse de l’environnement. Concrètement, chaque site s’engage à faire évoluer ses usages (lutte contre le gaspillage, économies d’eau et d’énergie, produits d’entretien...), améliorer la qualité des assiettes (bio, local...), favoriser le bien-être des convives et participer à une dynamique économique et sociale de territoire.

Des enquêtes de satisfaction sont réalisées, des légumeries mises en place pour valoriser les produits frais et de saison... Bref ! Les bonnes pratiques ne manquent pas. Les éco-gestes sont aussi de rigueur avec la suppression des barquettes en plastique et des transports de marchandises effectués avec des véhicules à moindre impact carbone. Enfin, le recours à des producteurs issus de coopératives d’agriculteurs de proximité est recommandé. De même qu’il faut des équipements adaptés. Mais ces labels permettent-ils vraiment d’intervenir sur les coûts, de réaliser des économies ? Une étude réalisée en 2019 par la Fondation révèle que « si 75% des restaurants collectifs portent un jugement positif sur la loi EGAlim, ils font également part d’un manque de moyens financiers pour atteindre les objectifs fixés par cette même loi. 78 % d’entre eux considèrent qu’ils n’y parviendront pas sans financements adéquats, notamment pour opérer des investissements matériels et immatériels. »

L’association Un plus Bio défend pour sa part fermement l’idée que mettre plus de bio dans l’assiette tout en maîtrisant son budget est possible. Dans une enquête réalisée en 2020, l’association relève que « 67 % des cantines ont introduit des produits bio sans surcoût. L’absence de corrélation entre la part des denrées par repas se confirme : en 2020, les cantines à moins de 20 % de bio ont un coût par repas plus élevé (2,14 €) que les cantines proposant entre 20 % et 40 % de bio (1,96 €). De plus, les économies réalisées grâce au menu végétarien servent à introduire de la viande de qualité. » Des démarches de progrès vertueuses, certes, mais qui pour autant ne sont pas fédératrices et qui parfois s’opposent entre elles.

Enfin, la question de l’assiette et de son coût va bien au-delà de la consommation des convives. Elle concerne les questions sanitaires et climatiques, le droit des agriculteurs et cultivateurs à vivre dignement de leur production. Le sujet est global. Alors, un changement de paradigme permettant de sortir du casse-tête coût-qualité de la restauration collective serait que cette mission de service public soit appréhendée comme dans le secteur de l’eau et de l’assainissement : d’un point de vue commercial et industriel, avec une obligation d’équilibre des dépenses. À quand la création d’EPIC, Établissements publics à caractère industriel et commercial ?

Carmen Rubia